Reportage: Dans le refuge pour femmes battues

par nordsud.info
Publié: Dernière mise à jour le 355 vues
violence basée sur le genre.

70 % des femmes sont victimes de violences conjugales. Du moins, selon la dernière étude menée à Cocody et à Yopougon, par l’ONG Citoyennes pour la promotion et défense des droits des enfants, femmes et minorités (Cpdefm). Certaines parmi ces femmes savent où aller pour se consoler…  

À première vue, on dirait une résidence privée. Le salon est spacieux, avec un écran géant. Puis, en apercevant des bureaux à gauche, à travers une baie vitrée, on se dit que c’est peut-être un lieu de travail. Mais, ensuite, on comprend qu’il y a un espace de jeux pour enfants au bout de la pièce. Une bibliothèque garnie de bouquins, une piscine…Et tout s’éclaircit lorsqu’on tombe sur des marches, encore plus à gauche, menant au premier étage. Il s’agit d’un centre d’accueil. Trois grandes chambres équipées chacune de plusieurs lits superposés, avec des placards bondés de vêtements, servent de dortoirs. Il y a même des berceaux. À côté se trouve une quatrième chambre destinée aux personnes…VIP.

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C’est peu dire: Le centre d’accueil et d’écoute Bloom cultive la discrétion même. Aucune indication voyante. Emplacement discret. Bâtiment assorti aux nombreux duplex de la Riviera Synacass-CI 2. Et il y a une raison à tout cela. C’est l’un des deux seuls sites majeurs destinés aux femmes violentées, dans le pays.  Le plus important, de loin, avec une capacité de 21 lits. Dans la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG), cette bâtisse anonyme d’un étage sert à la fois de refuge, de confessionnal et de lieu de médiation familiale.

Femme politique battue

Ce mardi, 14 juin 2022, quelques pensionnaires sont sorties pour prendre l’air, accompagnées d’une équipe de Bloom. C’est l’une des règles du centre, pour ne pas que les femmes se sentent comme dans une prison. On les emmène au zoo, dans un espace de détente, etc. Parmi celles qui sont restées, une femme occupe la chambre VIP. Elle a été battue par son époux et est venue trouver refuge ici depuis quelques jours. La dame, nous l’appellerons Eve, est une cadre importante de l’administration. Tout comme elle, son époux est une personnalité du pays, que personne ne soupçonnerait normalement de violence conjugale. Elle ne tient pas à ce qu’on sache qu’elle est venue se réfugier au Centre d’accueil et d’écoute Bloom. Nous allons frapper à la porte VIP, mais la dame refuse d’ouvrir.

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L’équipe de Bloom tente en ce moment d’entrer en contact avec son époux, Monsieur X, pour les réconcilier, dans la discrétion la plus totale. D’autres femmes, avant Eve, ont occupé cette pièce. Il y a même eu une femme politique, connue des Ivoiriens et une star people, arrivée avec un œil au beurre noir, parce qu’elle avait été battue par son partenaire. Elles sont toutes arrivées sur la pointe des pieds. Et, ont filé à l’anglaise, après s’être réconciliées avec leurs conjoints. «Pour les nouveaux, c’est surprenant de voir ces grandes dames être battues par leurs conjoints. Mais pour nous, c’est devenu banal. C’est ce qui se passe tous les jours», explique Daniel Nessemon, le responsable de la communication au sein de la structure. Qui ajoute : «Contrairement à ce qu’on peut croire, beaucoup de femmes qui occupent de grands postes en Côte d’Ivoire sont victimes de violences de la part de leurs époux. Et de nombreux hommes hauts cadres, que vous ne soupçonnerez pas en temps normal, frappent leurs femmes».

Psychologues

Le plus souvent, ces femmes connues du public ne veulent pas que leur situation soit sue de tous. Aller chez un parent ou chez une amie reviendrait à s’exposer. Le Centre d’accueil et d’écoute Bloom reste le refuge idéal. Car, en plus du cadre, elles sont reçues par des psychologues.

Justement, le bureau des psys se trouve juste à côté de la chambre VIP, au premier étage. Une pièce insonorisée qui sert de salle d’écoute. C’est à l’intérieur que Eve et toutes les autres ont fait leurs confessions. Pourquoi leurs époux les frappent-ils ? Ce n’est pas ce qui est important ici. Ni même qui a raison ou qui a tort. Il s’agit pour le centre de les réconcilier, à tout prix. Et ça marche. «Toutes les victimes qui sont arrivées dans cette chambre ont été reconciliées avec leurs conjoints», fait savoir Nessemon Daniel.

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 Après avoir écouté les victimes, ce sont ces psys qui décident ce qu’il y a à faire. Qui démarcher pour parler au mari. Quels éléments mettre en avant. Evidemment, ce qui se passe dans la salle d’écoute reste dans la salle d’écoute.  

  Mariam, l’une des pensionnaires du centre, n’est pas VIP. Elle a droit à une chambre ordinaire. Comment elle s’est retrouvée ici ? «J’étais enceinte de deux semaines. J’étais avec un jeune, qui n’a pas reconnu la grossesse. J’ai été chassée de chez lui. Mon père n’a pas voulu de moi. Je dormais dehors, à Adjamé-Liberté, en bas des immeubles. C’est comme ça que l’ONG Bloom m’a retrouvée et m’a amenée ici», explique-t-elle. C’est ici que Mariam a accouché, d’un gros garçon. «La prise en charge que j’ai eue ici, je ne l’aurais pas eue dehors», ajoute-t-elle.

Menacées

La structure qui est entrée en contact avec son conjoint est parvenue à lui faire accepter la grossesse. Aujourd’hui, la jeune fille s’apprête à vivre une vie de couple, heureuse.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, toutes les victimes ici n’ont pas été battues par leurs époux. Michelle, qui présente encore des bleus à l’œil, a été tabassée par son propriétaire de maison. «Je louais une maison (ndlr, à Cocody-centre). Le gérant m’a demandé de partir, trois jours après être entrée dans la maison. Selon lui, mes affaires étaient trop nombreuses», relate-t-elle. Elle réclame alors sa caution, mais le gérant refuse. «J’ai pris une convocation, à la gendarmerie de Cocody, près du campus. Quand je suis allée lui donner la convocation, il a refusé de la prendre. Il voulait que je prenne le reste de mes affaires dans la maison. Comme je refusais, il m’a tabassée», témoigne-t-elle. Elle reçoit des coups à la tête. Et finira par se trouver ici, après avoir porté plainte. Son agresseur, dit-elle, est encore en liberté, malgré sa plainte. Et un gendarme qui le soutient, la menace, selon Michelle. «On me demande de retirer ma convocation», soutient-elle.  

Une autre femme, battue qui se trouve dans le refuge, est menacée. Elle a été tabassée par un groupe d’étudiants qu’elle pourrait identifier…

Parmi les pensionnaires du centre qui sont sorties, il y a Alice. Elle a pleuré le jour où elle partait du centre, après 3 mois. Malgré sa grossesse de 5 mois, son mari l’a battue et l’a laissée dans un coma, au quartier Feh Kessé, après l’établissement Jules Vernes, à la Riviera-Faya. Les voisins la retrouvent et appellent la police, qui va joindre ensuite Bloom. Alice est prise en charge avec ses deux enfants, jusqu’à son accouchement. (Au total, trois femmes ont déjà accouché au centre).

100 cas

A Bloom, Alice a reçu la visite de son conjoint qui avait été arrêté par la police dans un premier temps, avant d’être relâché. Ce dernier, après avoir perdu son emploi de vigile, est venu implorer son pardon, suite aux médiations d’une équipe du centre.  Aujourd’hui, ils sont réconciliés, et l’époux regrette encore son acte. La structure a même trouvé un autre poste de vigile à Port-Bouët au mari. Et un fonds de commerce a été octroyé à Alice. Le couple rend régulièrement visite à la structure, les bras chargés de cadeaux.

Depuis son ouverture en décembre 2020, Bloom a déjà accueilli 100 cas de VBG. La plupart sont des cas de femmes battues. Sur cette liste, la structure a hébergé une cinquantaine de femmes.  «Nous avons des cas en cours de règlement. Tant que ce n’est pas encore fait, nous avons le devoir de protéger les victimes», explique Daniel Nessemon. Il arrive que le ministère de la Femme, de la famille et de l’enfant réfère des cas au centre d’accueil.

 Avec la piscine, la bibliothèque, trois repas dans la journée et un goûter pour les enfants, le centre d’accueil ne laisse personne indifférent. C’est avec les larmes aux yeux que la plupart des victimes quittent les lieux après leur séjour, qui n’excède pas 6 mois. «Nous organisons des sorties pour permettre à celles qui le désirent de s’aérer l’esprit», ajoute M. Nessemon.

 La structure travaille avec la police. Avant d’accueillir une victime, le cas est d’abord signalé aux limiers. Le 18ème arrondissement est l’un des commissariats les plus sollicités. Depuis son ouverture, l’ONG n’a pas encore porté plainte contre un conjoint. La plupart des cas traités ont abouti à une réconciliation. En collaboration avec des associations comme les Femmes juristes de Côte d’Ivoire ou la Ligue des femmes, Bloom veut être le principal rempart contre les VBG, en Côte d’Ivoire. Et elle est soutenue par deux ministres. Nassénéba Touré, ministre de la Femme, de la famille et de l’enfant et Myss Belmonde Dogo, ministre de la Solidarité et de la lutte contre la pauvreté, fervent soutien du centre et qui n’hésite pas elle aussi à y référer des cas.

Subventions

 Vivant uniquement de dons, l’avenir pour Bloom reste toutefois la subvention. Et la présidente du centre, Douhou Désirée, épouse Cissé, souhaite que le centre sorte de statut d’ONG et devienne un centre public.

Car, le seul autre centre d’accueil capable de recevoir les victimes de VBG, c’est le Centre de prévention et d’assistance aux victimes des violences sexuelles (Pavios) d’Attécoubé, créé en 2013. Il ne dispose pas d’infrastructures adéquates pour héberger les femmes victimes de violences. Grâce à son positionnement dans la prise en charge des VBG, Bloom dit avoir réussi à avoir une audience avec la Première dame, Dominique Ouattara. Un bon début vers une plus grande autonomie. Consciente du problème et fervente défenseuse des droits de la femme et des enfants, la Première dame vient elle-même de mobilier 6 milliards FCFA pour la création d’un Foyer d’accueil pour femmes victimes de violences. C’est donc la course contre la montre. Si la sensibilisation porte aujourd’hui, selon Nessemon, nul doute qu’il faut s’attendre à ce que de plus en plus de femmes dénoncent les violences conjugales. Dans 5 ans, la Côte d’Ivoire aura donc besoin de plus d’infrastructures pour accueillir les femmes battues.

Raphaël Tanoh

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