Crise électorale 2020: Le rapport des atrocités

par NORDSUD
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À la suite de la crise postélectorale de 2010, qui a occasionné 3.000 morts, l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 s’est malheureusement déroulée dans un contexte extrêmement tendu.

     En effet, la coalition des partis de l’opposition dirigée par le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Monsieur Henri Konan Bédié, a ardemment appelé la population ivoirienne « à se mobiliser pour des manifestations sur l’ensemble du territoire » ainsi qu’à la désobéissance civile et au boycott actif.

      Cette désobéissance civile et ce boycott actif visaient, selon leurs initiateurs, à empêcher par tous moyens, la tenue du processus électoral.

    Après ces différents mots d’ordre à l’endroit de la population, l’opposition annonçait la mise en place d’un organe de transition dénommé Conseil National de Transition (CNT) devant se substituer aux institutions républicaines légalement établies.

     Consécutivement à ces différents appels, des actes portant atteinte aux personnes et aux biens tant publics que privés, constitutifs d’infractions graves à la loi pénale, ont été commis dans plusieurs localités du pays.

    Ces violences électorales ont fait officiellement 85 morts et près de   500 blessés dans le pays, entre août et novembre 2020.

    Pour investiguer sur ces faits, apporter une réponse judiciaire appropriée aux infractions graves commises et faire suite aux différentes recommandations des organisations internationales des droits de l’homme, Monsieur le Président de la République a, par décret n°2020-945 du 25 novembre 2020, créé une Unité Spéciale d’Enquête sur les évènements survenus à l’occasion de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020.

     Les investigations menées par les agents enquêteurs de cette unité et qui se sont déroulées sur six (06) mois sous la direction du Procureur de la République d’Abidjan, ont permis de comprendre les principaux incidents graves survenus dans plusieurs villes (Daoukro, Divo, Bonoua, Abidjan, Yamoussoukro…), et de situer les responsabilités de diverses personnes, soit en tant que commanditaires, soit en tant qu’auteurs matériels des faits. Des magistrats instructeurs ont été saisis.

    Les actes de violence ont été commis particulièrement dans le District autonome d’Abidjan et dans les huit (08) régions suivantes :

– La région du Sud-Comoé (Bonoua) ;

– La région des Grands Ponts (Dabou) ;

– La région du Lôh-Djiboua(Divo) ;

– La région de l’Iffou (Daoukro) ;

– La région du Moronou (Bongouanou, M’Batto) ;

– La région du Bélier (Toumodi) ;

– La Région des lacs (Yamoussoukro) ;

– La région de l’Indenié-Djuablin (Abengourou, Niablé).

Ainsi à :

Daoukro

    Suite au mot d’ordre de désobéissance civile, les jeunes de l’opposition ont organisé une marche dite « contre le 3ème mandat » le 09 novembre 2020.

    La situation a dégénéré en conflit intercommunautaire (malinkés contre baoulés) au cours de la période du 9 au 12 novembre 2020, avec des affrontements mortels à l’arme de type calibre 12 et à la machette au quartier Sossoribougou.

      Sept (07) personnes ont été interpellées suite à ce conflit intercommunautaire ayant occasionné la décapitation de l’infortuné N’GUESSAN Koffi Toussaint ainsi que plusieurs blessés par armes à feu et armes blanches.

       Il convient de préciser que l’auteur de la décapitation de sieur KOFFI Toussaint se trouve parmi les personnes interpellées à Daoukro.

M’Batto

    Dans cette ville, il a été donné de constater qu’une marche de protestation organisée par les jeunes de la plateforme des partis de l’opposition le lundi 9 novembre 2020 a débouché sur des affrontements entre les communautés Malinké et Agni, occasionnant des morts, des blessés et d’importants dégâts matériels.

     Bien avant, le samedi 31 octobre 2020, jour de l’élection présidentielle, un groupe de jeunes s’est introduit au sein de la Brigade de la Gendarmerie Nationale pour y dérober le matériel électoral qu’ils ont par la suite, détruit.

Bongouanou

      Dans cette ville, les affrontements intercommunautaires qui ont eu lieu les vendredi 16 et samedi 17 octobre 2020, ont occasionné six (06) morts, trente-trois (33) blessés et de nombreux dégâts matériels.

Yamoussoukro

      Les partisans de différents partis politiques se sont affrontés et par la suite, le conflit a viré au conflit intercommunautaire.

      Dans cette atmosphère, deux (02) jeunes ont été tués dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2020 au quartier Dioulabougou, et le cortège de sept (07) véhicules de Monsieur Ousmane Bamba a été incendié, lui et sa sécurité ayant été pris à partie, car soupçonnés de transporter des urnes.

      Par ailleurs, le samedi 31 octobre 2020, un convoi de trois véhicules comportant trois chauffeurs et trois personnels de sécurité affectés à la sécurité du Ministre chargé du budget et du Portefeuille de l’État, Monsieur SANOGO Moussa, avait été pris à partie dans le village de Zatta sur l’axe Bouaflé-Yamoussoukro, aux alentours de 16 heures.

      Au triste bilan de cette attaque armée, les trois véhicules avaient été incendiés, un agent était grièvement blessé, et l’Adjudant SANOGO Seydou, atteint par balle à la tête, était porté disparu.

      L’audition de ces personnes et les informations recueillies de diverses sources, ont permis de découvrir sur indication des personnes interpellées, le vendredi 20 novembre 2020, un corps calciné, sommairement inhumé à quinze (15) mètres de la route principale entre les villages d’Abouakouassikro et de Bonzi, à quelques encablures du lieu de l’attaque.

     Ledit corps exhumé était dirigé vers les services de l’Institut de la médecine légale d’Abidjan en vue d’une autopsie médico-légale destinée à identifier formellement le cadavre et à déterminer les circonstances et les causes de son décès.

     Le test génétique ADN réalisé confirmait ultérieurement qu’il s’agissait effectivement du corps de l’Adjudant SANOGO SEYDOU.

Tiébissou

     Au cours des marches de protestation organisées à compter du 31 octobre 2020, les affrontements entre plusieurs jeunes personnes de cette ville ont occasionné deux (02) morts, plusieurs blessés, des incendies de domiciles et des destructions de biens.

Toumodi

     Des jeunes de certaines formations politiques se sont organisés pour empêcher le déroulement du vote.

     Face à cette situation, d’autres jeunes s’en sont pris aux manifestants qui tentaient de les empêcher de voter.

     Cette situation a abouti à un affrontement intercommunautaire, qui a engendré des morts, des blessés et des dégâts matériels.

     A cela, il convient d’ajouter qu’à Abli Bonikro, un affrontement a éclaté entre des membres civils de la sécurité du Ministre Amédé Kouakou et des villageois, occasionnant le décès d’une personne.

Dabou

      Une marche de protestation de l’opposition, le lundi 19 octobre 2020, a été empêchée par des individus se disant transporteurs, localisés à la gare de Bouaké, située en plein centre-ville.

     Par la suite, une série d’affrontements s’en suivaient jusqu’à la date du 21 octobre 2020 où dix-neuf (19) personnes dont deux (02) non encore identifiées étaient tuées dans les quartiers de Mangorotou, Niakani et Wrod extension.

Gomon

     Dans cette localité, des personnes ont tenté de prendre à partie des individus rassemblés au domicile du représentant du RHDP local à Gomon.

     Ce dernier étant suspecté d’entretenir un bureau de vote dans son domicile, des affrontements ont eu lieu avec les forces de l’ordre.

    Ces violences ont occasionné trois (03) morts, plusieurs blessés et des destructions de biens.

Divo

     Des femmes de l’opposition politique, dans le cadre de la désobéissance civile, ont organisé une marche de protestation le vendredi 21 octobre 2020.

     Ces dernières ont été prises à partie, à hauteur de la gare routière de Hiré, par des personnes exerçant dans le transport.

     Il y’a eu un affrontement entre des jeunes issus du RHDP et ceux de l’opposition.

    Cette situation a perduré jusqu’au samedi 22 octobre 2021 et a provoqué des morts, des blessés ainsi que des dégâts matériels.

Gagnoa

      La journée électorale du 31 octobre 2020 a été émaillée d’incidents consécutifs à la volonté des jeunes de l’opposition de cette localité de perturber le vote dans cette commune.

      Ces évènements ont entrainé la destruction du matériel électoral et conduit à des affrontements intercommunautaires ayant entrainé cinq (05) morts, deux (02) disparus et d’importants dégâts matériels, notamment à Téhiri.

Oumé

      Il y a eu des actes de violences le 31 octobre 2020 entre des personnes désirant exercer leur droit de vote et des jeunes de l’opposition qui voulaient empêcher la tenue du scrutin.

       Cette situation de tension a entrainé le décès d’un individu, des blessés par armes blanches, ainsi que par armes à feu ainsi que d’importants dégâts matériels.

Bonoua

      Dans cette ville, il y’a eu trois (03) grandes marches de protestation les 07, 16 et 17 août 2020 pour répondre au mot d’ordre de désobéissance civile dont les deux (02) dernières se sont transformées en affrontement intercommunautaire marqué par trois (03) morts, des blessés, la destruction du Commissariat de police, la tentative d’assassinat du commissaire de police, le pillage et l’incendie des biens.

Abengourou

       À SANKADIOKRO, des individus non identifiés armés de fusils calibre 12 se sont introduits le vendredi 30 octobre 2020 aux environs de 20 heures dans le domicile du chef de village et ont emporté les différentes urnes.

      Par ailleurs, les autochtones Agni ont subi plusieurs attaques le samedi 31 octobre 2020.

     Au cours de ces agressions, le nommé KOUADIO ADJANE a reçu la chevrotine d’un fusil calibre 12 et a succombé à ses blessures au Centre Hospitalier Régional (CHR) d’Abengourou.

     Toujours en lien avec ces évènements, un corps sans vie formellement identifié comme étant celui du nommé KONIN FOSSOU a été retrouvé dans la ville de Niablé.

     Il convient d’indiquer que plusieurs biens matériels ont également été saccagés ou brûlés dans ces localités.

Yopougon

     Les investigations ont permis de recueillir des informations sur les occupants du « GBAKA vert » impliqués dans les affrontements dans cette  commune.

      Ainsi le chef opérationnel des individus à bord de ce véhicule lors de l’élection présidentielle, serait le gérant d’un fumoir à Yopougon/Wassakara, actuellement en fuite.

       Les investigations de l’Unité Spéciale d’Enquête ont mis en évidence que la manipulation des sentiments d’appartenance ethnique, politique et religieuse ainsi que l’impunité demeure un ressort important de l’escalade de la violence, y compris politique.

       L’Unité Spéciale d’Enquête a par ailleurs constaté que la jeunesse pendant la période électorale, a été instrumentalisée comme bras exécuteur de la violence politique par les leaders politiques.

       Cette jeunesse galvanisée par des discours d’appel à la haine, a été armée et financée pour faire échec à la tenue de l’élection présidentielle et surtout accentuer le climat de terreur. Cela s’est traduit par l’érection de barrages, la destruction du matériel électoral, l’attaque des véhicules (de transport public des personnes, administratifs, de particuliers), et la commission parfois de meurtres d’une extrême violence comme à Daoukro, à Dabou et à Abli.

       Les trois Juges d’Instruction en charge de toutes ces procédures pourront, à la suite de l’information judiciaire, situer le degré de responsabilité des différentes personnes interpellées, y compris les financiers de ces actes de violence.

       Ainsi, à ce jour, deux cent trente-trois  (233) personnes impliquées à divers degrés dans la commission de ces infractions graves ont été interpellées dans plusieurs localités du pays et quarante (40) autres personnes ayant été formellement identifiées sont activement recherchées pour avoir participé à ces évènements.

      La grande majorité de ces personnes a bénéficié d’une mise en liberté provisoire ou a été placée sous contrôle judiciaire.

      Il y a lieu de préciser que seules onze (11) personnes sont toujours détenues préventivement.

       Il s’agit notamment des personnes présumées avoir commis des crimes crapuleux comme la décapitation du jeune N’GUESSAN KOFFI Toussaint à Daoukro, le meurtre de l’adjudant SANOGO Seydou, atteint par balle à la tête, ainsi que des auteurs présumés des meurtres perpétrés à Dabou.

     Il convient enfin de dire que toutes les personnes dont la culpabilité pourrait être retenue au cours des procès à venir, subiront toutes, la rigueur de la loi pénale, l’objectif étant de lutter contre l’impunité des auteurs des infractions graves commises surtout à chaque période électorale.

Fait à Abidjan, le 27 Décembre 2021

 LE DIRECTEUR DE L’UNITE SPECIALE D’ENQUÊTE

 ADOU RICHARD CHRISTOPHE  

Magistrat Hors Hiérarchie

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