Dr Madina Doumbia: «Abidjan: Yopougon, la commune la plus polluée»

par NORDSUD
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Enseignant-chercheur à l’université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo, physicienne de formation, Dr Madina Doumbia travaille sur tout ce qui est physico-chimie de l’atmosphère, pollution de l’air, changement climatique, impact sur la santé. Dans cet entretien, elle revient sur l’étude qu’elle et son équipe ont menée dans le cadre du projet Dacciwa, mais aussi sur sa thèse.

Vous venez de terminer une étude sur la pollution de l’air à Abidjan. Comment cela s’est-il passé ?

D’abord, il faut savoir que notre équipe se situe au sein du laboratoire de physique de l’atmosphère, de la mécanique, des fluides. Ce labo regroupe plusieurs équipes. Notamment, l’équipe pollution de l’air, aérosol et modélisation, dirigée par le Prof. Yobouet Veronique, vice-présidente de l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, sous la direction de qui nous avons travaillé. J’ai doublement travaillé avec elle sur la qualité de l’air à Abidjan, d’abord pour ma thèse, ensuite dans le cadre du projet Dacciwa, financé par l’Union européenne. Dans le cadre de ma thèse, l’étude a concerné Yopougon. Au niveau de Dacciwa, l’étude a plutôt concerné toute la ville d’Abidjan. Nous avons pris des mesures à l’aide d’appareils, pour faire un inventaire des émissions. Pour ma thèse, j’ai non seulement travaillé avec des appareils, mais j’ai aussi fait de la modélisation.

Dans les deux études, il y a un aspect très important qui revient : la source feux domestiques, au niveau de la pollution de l’air. Qu’est-ce que c’est ?

En effet, outre la source trafic, qui concerne les véhicules, il y a la source feux domestiques. Il s’agit de la pollution provoquée en général par le bois.  Dans ce cadre, par exemple, nous avons visité plusieurs quartiers à Yopougon où l’utilisation du bois nuit gravement à l’environnement. Il s’agit de Yopougon-Santé, de Lubafrique, de Siporex. Dans ces quartiers, les vendeurs de choukouya (ndlr, viande braisée) et les fumeuses de poisson sont à la base des émissions qui nuisent à la qualité de l’air. Nous avons déposé des appareils dans ces zones pour relever la qualité de l’air. À Yopougon Lubafrique, notamment, où se trouve un marché de fumeuses de poissons, l’étude a été plus révélatrice. Nous avons relevé une concentration importante de particules fines PM2.5, qui altèrent la santé respiratoire et cardiovasculaire. Ces particules sont émises lorsqu’on brûle du bois. Les fumeuses de poissons utilisent malheureusement beaucoup de bois. Et c’est toute la zone qui est touchée par la pollution qu’elles provoquent. Dans le cadre du projet Dacciwa, l’étude a touché plus de communes d’Abidjan. Notamment, Abobo, Treichville, Vridi, Koumassi, etc. Dacciwa a fait le même constat sur l’utilisation du bois. Ces particules PM 2.5 sont dangereuses, parce qu’elles sont fines et donc pénètrent facilement dans l’organisme.

Au niveau des fumeuses de poissons, comment éviter la pollution ?

L’étude de Dacciwa a été couplée à un autre projet, qui est d’amener ces femmes à changer de mentalité. Nous les avons approchées, pour leur proposer des fourneaux modernes, qui utilisent moins de bois et émettent moins de particules. Elles nous ont dit qu’elles ne pouvaient pas laisser tomber les fourneaux traditionnels, qui émettent énormément de particules PM2.5. Selon ces femmes, les fourneaux traditionnels permettent de donner au poisson un bon goût de fumé.  Mais, la population augmente. Dans deux ans, il y aura plus de fumeuses de poissons. Il faut les amener à changer de méthode. Elles sont les premières exposées. Certaines font cette activité avec leur bébé au dos. Ce qui constitue aussi un grand risque pour l’enfant.

Sont-elles conscientes de la dangerosité de leur activité 

 Elles en sont conscientes. Mais elles ne peuvent pas faire autrement, parce que c’est leur gagne-pain. Certaines de ces femmes nous ont même avoué que leurs maris leurs disent qu’elles sentent le poisson tout le temps. C’est un sacrifice qu’elle font, mais nous voulons les aider dans le cadre du projet Dacciwa, avec l’attribution de plusieurs fourneaux modernes. Il faut savoir que nous travaillons avec des médecins, des sociologues.

Outre les vendeuses de poissons et de choucouya, il y a-t-il d’autres utilisateurs de bois qui nuisent à l’atmosphère ?

Il y a une activité encore plus dangereuse, que nous avons relevée lors de notre étude. Il s’agit de la fabrication du charbon de bois, qui entre également dans la catégorie feux domestiques. L’étude a montré que cette activité émet encore plus de particules que brûler simplement du bois à l’air libre. Pourquoi ? À cause de la méthode de fabrication du charbon de bois. La combustion du bois est étouffée, sous le sable, ce qui rend l’émission plus nocive. Ce sont des sources de pollution dangereuses. Là aussi, il faut de la sensibilisation. La fabrication de charbon de bois est doublement dangereuse pour l’environnement. En plus de la déforestation, elle pollue.

Mais, on a besoin du charbon de bois pour cuisiner

Ce qu’il faut savoir à ce sujet, c’est que l’étude a également porté sur la combustion du charbon de bois, toujours dans la catégorie feux domestiques. Nous avons déposé des capteurs dans des foyers qui utilisent du gaz butane et nous en avons fait de même dans des foyers utilisant du charbon de bois pour cuisiner. L’étude a montré que le charbon que nos mamans utilisent à la maison émet des particules dangereuses non seulement pour leur santé mais aussi pour l’environnement. Il s’agit en l’occurrence, du carbone noir.

Et pour ce qui est du gaz butane ?

Le gaz butane n’est pas dangereux. D’où, l’appel à changer d’habitude.

Vous abordez également dans vos études les décharges à ciel ouvert

Effectivement, la troisième source que nous avons étudiée, c’est la source de décharge. À Abidjan, comme dans les villes ouest-africaines, on a des décharges sauvages, à ciel ouvert, qui émettent du méthane. Et le méthane est dangereux. Pour tout vous dire, parallèlement à l’étude sur la pollution à Abidjan, nous avons mené une autre étude à Korhogo pour voir également le niveau de pollution de la Cité du Poro. Et à Korhogo, nous avons relevé des particules PM 10. Plus le diamètre de la particule est élevé, plus le risque est moindre. Ce qui montre qu’à Korhogo, la pollution est nettement moindre qu’à Abidjan. Mais c’est aussi parce qu’à Korhogo et dans de nombreuses villes de l’intérieur, la question des décharges est bien gérée. Elles ne sont pas polluantes.

En gros, quel est le degré de pollution d’Abidjan ?

On peut dire que le niveau de pollution aujourd’hui est réel. Ce qui n’est pas surprenant. Une cartographie de la présence du dioxyde d’azote (NO2) produit essentiellement par les véhicules nous permet de découvrir que Yopougon est la commune la plus polluée, suivie de la zone industrielle de Vridi et Koumassi. Au niveau de la particule PM2.5 à Abidjan, il a été noté une forte pollution à Abobo (Anokoi), Abobo-centre culturel, Abobo-Baoulé et Cocody-Djibi. Dans ces communes, le taux de PM2.5 est 3 à 8 fois supérieur à la norme journalière de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La situation, selon vous, va-t-elle s’aggraver ?

Cela va dépendre de nos habitudes. Aujourd’hui, le trafic est la première cause de pollution dans la ville. Les véhicules polluent à cause de l’âge. Les moteurs sont fatigués et la combustion est incomplète. Ce qui cause beaucoup plus de pollution dans l’air. Il faut ajouter à cela le nombre sans cesse croissant de véhicules.  Il faut mettre en place une mobilité plus adaptée à la ville. L’un des points à relever, c’est la qualité de notre combustible. Notre carburant n’est pas très propre. Il libère beaucoup de souffre dans l’air. Nous devons aller vers le respect des normes. Il faut tout faire pour réduire la pollution. Quand il pleut, la pluie fait le lessivage. Avec la pollution, nous allons vers une pluie acide, qui se retrouve sur le sol, dans nos cours d’eau. Qui peut même abimer nos bâtiments.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh

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