Ekoun Kouassi est le secrétaire général national nouvellement réélu du Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (Synesci). Il revient sur les raisons profondes de la grogne qui couve dans le secteur de l’Éducation : « Nous voulons des réponses précises avant le 15 octobre à nos revendications. Sinon… »
Depuis le début d’année, on sent une grogne monter au sein du corps enseignant. Qu’est-ce qui justifie cela ?
Cette grogne tourne autour de la prime d’incitation que nous demandons. Il s’agit d’une somme versée à un salarié, en plus de son salaire, à titre d’incitation, de récompense. Aujourd’hui, c’est l’exode des enseignants vers d’autres ministères. Nous avons de plus en plus du mal à exercer notre métier. Des enseignants gèrent des classes de 80 élèves. Certains ont 10 classes de cet effectif. Donc, 800 élèves à évaluer par trimestre. Environ 4.800 copies par trimestre à corriger et autant de bulletins de notes à remplir. En plus de cela, il y a l’environnement scolaire, de plus en plus dégradé. Des élèves bastonnent leurs enseignants. Avec le stress, certains enseignants sont victimes d’hypertension, d’asthme. Pour amener les travailleurs à rester dans ce secteur, à ne pas déserter, il faut les inciter. D’où la prime d’incitation que nous demandons.
Pourquoi maintenant ?
Depuis le 21 février 2023, nous avons entamé les discussions autour de cette revendication. Sur les 82 doléances, nous en avons sélectionnées 7, qui sont prioritaires. Elles ont été remises à la ministre de l’Education nationale et de l’Alphabétisation. Parmi ces revendications, seulement celles portant sur la suppression des cours le mercredi et l’arrêté autorisant les directeurs d’écoles à être syndicalistes, ont été accordées. Pour le reste, en presque deux ans, nous n’avons eu aucune réponse.
Quelles sont les autres revendications phares ?
Nous avons évidemment les primes d’incitation, l’institution d’une administration scolaire, avec un profil de carrière et de nouveaux emplois. Nous demandons aussi que les ponctions sur salaires effectuées en 2019, soient reversées. Nous demandons la promotion des instituteurs adjoints.
Vous vous êtes constitués en collectif pour mieux porter vos doléances…
Oui. Il faut saluer l’esprit de solidarité de nos camarades. Nous sommes autour de 80 syndicats et nous avons pu nous entendre. 8 faitières regroupant chacune une quinzaine de syndicats, plus trois syndicats, dont le SYNESCI et le Mouvement des instituteurs pour la défense de leurs droits (MIDD). Nous avons tenu une assemblée générale le 14 septembre dernier. Elle a souhaité que nous déposions un préavis.
Quel est le contenu de ce préavis?
Il s’agit de rappeler que depuis près de deux ans, nos préoccupations majeures n’ont connu aucune réponse. Par un appel pressant à l’autorité, nous attendons des réponses. Si rien n’est fait sur ces sujets, l’année scolaire sera perturbée, les 15, 16 et 17 octobre prochains. Notre souhait, ce n’est pas la grève. Nous voulons juste des réponses.
La ministre de l’Education nationale a pourtant assez fait pour cette rentrée scolaire…
Nous sommes sensibles à tous ces actes qu’elle pose. Mais elle peut nous recevoir pour nous dire ce qu’il en est de nos revendications phares. Malheureusement, c’est silence radio. D’où la question : l’école est-elle une priorité en Côte d’Ivoire ?
Que faites-vous de la trêve sociale qui a été signée pour éviter ce genre de situation ?
La trêve sociale joue véritablement son rôle. Parce qu’avec elle, nous avons eu des acquis, dans l’amélioration de nos conditions de travail. C’est le coté administratif qui ne saisit pas l’intérêt de la chose. Voilà pourquoi nous avons demandé que les administratifs soient formés. Quand vous arrivez par exemple dans une administration pour discuter, on vous brandit aussitôt la trêve. La trêve met l’accent sur le dialogue pour résoudre nos problèmes. Mais lorsque nous allons à deux ans de discussions sur un même sujet, que faisons-nous ? La clé d’un bon système éducatif repose sur la valorisation des enseignants. L’erreur que les gens font, c’est de dire que le ministère de l’Education nationale n’est pas producteur de richesse. De quel droit dit-on que ce sont les agents des autres ministères qui doivent seulement bénéficier des primes ? Nos primes c’est maintenant. Plus tard, il sera trop tard.
Entretien réalisé par Georges DAGOU