Plaque tournante du show-business en Afrique, la Côte d’Ivoire devient aussi la terre des humouristes africains. Festival Dycoco, Abidjan Capitale du Rire, Festival du rire d’Abidjan, Drôles de femmes, etc. On ne compte plus les spectacles humoristiques dans le pays. Comment les artistes vivent-ils cela ? Lucarne.
« Avant, quand tu disais à quelqu’un, je suis humouriste, il te demandait, mais tu fais quoi d’autre dans la vie ? » Ce constat d’Agalawal, de son vrai nom Kra Kobenan Kouman Ignace, en dit long sur l’image que les Ivoiriens avaient des humouristes en Côte d’Ivoire, il y a quelques années de cela. L’humour rimait quasi-exclusivement avec l’émission annuelle de la Radio-télévision nationale ivoirienne (RTI), ‘‘Bonjour’’. Un grand rendez-vous qui a permis d’explorer la pluridimensionnalité de certains comédiens, acteurs et autres monstres sacrés de l’industrie cinématographique et théâtrale. Aujourd’hui, c’est différent. Le pays est devenu incontournable dans le rire en Afrique. Entre web-humour, one-man-show et spectacles internationaux, de nombreux humouristes ont su se forger une réputation d’enfer. Parmi eux, Agalawal.
Agalawal tout feu tout flamme
S’il refuse d’être traité de « has been », le dénominatif de briscard rompu aux arcanes de l’humour en Côte d’Ivoire, sied mieux à Agalawal. Invité le 28 juillet dans les locaux de Nordsud.info, la coqueluche d’Abidjan ne fait pas la fine bouche pour planter le décor autour du nouveau cap franchi par l’industrie du rire en Côte d’Ivoire. « L’humour a beaucoup évolué en ce sens que la conception que les gens avaient de l’humour a changé. Nous étions à un niveau très négligeable dans la société. Il était difficile de vivre décemment et de se supporter au niveau social. Aujourd’hui depuis notre époque, l’humour s’est révolutionné. Pour ce qui me concerne, je vis pleinement de ce métier », note-t-il. À en croire notre hôte, si l’humour ivoirien draine autant d’investisseurs, la concurrence n’est pas de nature à l’effaroucher. « Je suis très content de l’évolution de l’industrie. Nous créons des emplois autour de notre métier, ce qui nous fait entrer dans l’univers du show-biz. Ça ne nous ébranle pas. Le fait qu’il y ait des festivals qui se créent et que de nouveaux humoristes arrivent, amène la concurrence et ça crée une bonne émulation. C’est la preuve qu’il y a de beaux horizons à venir. Si des européens viennent à Abidjan pour créer des plateformes d’expressions de l’humour, cela prouve que l’humour ivoirien est très respecté. J’ai envie de dire qu’en Afrique de l’ouest, l’humour est le carrefour incontournable de l’Afrique francophone, excepté le Marrakech du rire avec Djamel Debbouze. Ce n’est pas évident de trouver d’autres pays avec un humour aussi structuré comme dans la région », se réjouit-il.
Ramatoulaye

À l’instar de ses pairs, Amani Kiffi Mathieu, alias Ramatoulaye, doit une fière chandelle à l’émission ‘‘Bonjour’’ qui l’aura propulsé sous les feux de la rampe. Il ne jette donc pas la reconnaissance aux oubliettes. « Il faut remercier la Côte d’Ivoire, les ivoiriens et la RTI, surtout l’émission ‘‘Bonjour’’ qui nous a révélés. Aujourd’hui, Nous arrivons à vivre pleinement et très bien de notre art. Nous tirons le chapeau au grand-frère Magnific qui a ouvert le bal du palais de la culture. Après quoi j’ai tout craqué. Ensuite, il y a eu Agalawal, Joël, Willy Dumbo, etc. », indique-t-il. D’ores et déjà engagé de plain-pied dans l’accompagnement de la nouvelle génération, Ramatoulaye est le fondateur de l’Institut de formation à l’humour et aux arts de la scène (Ifhas). Un institut dont les 20 premiers pensionnaires ont déjà enrichi les rangs des humoristes. La vague actuelle composée de 16 apprentis-humoristes continue d’apprendre les rudiments de l’humour. « Si les jeunes qui font le web-humour et le stand-up, sont aussi courageux, travailleurs et humbles que nous, l’humour ivoirien va mieux s’exporter et se vendre même en Europe », ajoute Ramatoulaye. En l’état actuel, outre son one-man-show annuel, il a un agenda garni. En moyenne, l’humouriste arpente les sentiers d’environs 7 évènements par jour. Un rythme infernal. « C’est devenu difficile d’avoir Ramatoulaye sur une cérémonie si on ne s’y prend pas à l’avance. On me paie pour venir vous mentir très mal », s’esclaffe-t-il. Si ses lauriers sont évidents, Ramatoulaye garde les pieds sur terre. « Aujourd’hui je pense que l’humour n’a même pas encore atteint 10% de son potentiel en Côte d’Ivoire. Nous pouvons faire mieux », souligne l’homme.
Le Magnific
Il n’est pas le seul à le penser. Amateur du ballon rond, Bah Jacques Silvère, dit Le Magnific, il est tombé dans la marmite de l’humour après avoir raccroché prématurément les crampons des suites d’une blessure. La suite de l’épopée, c’est celle de l’une des têtes de gondole de l’industrie humouristique ivoirienne. Il ne tarit pas d’éloges à l’endroit de son art. « L’industrie de l’humour en Côte d’Ivoire connait une courbe ascendante. Elle est très dynamique à travers les différents festivals internationaux, nos spectacles individuels et des initiatives locales. Nos devanciers et les humoristes de notre génération sommes décorés par la tutelle. Les nouveaux talents également tiennent bon sur le web. On arrive à subvenir à nos besoins. On voyage énormément. Des doyens comme Gohou représentent le pays à l’international », narre-t-il à Nordsud.info. Au tableau de la marge de progression, Le Magnific place la barre haut. « On a encore des choses à parfaire pour s’imposer totalement. Mais le niveau actuel est intéressant. Il faut maintenir le cap. On compte conquérir l’Europe et l’Afrique tout en maintenant notre marché local. Nous avons également en projets : des films, des capsules, des émissions télés qui apporteront un plus à ce qui est déjà fait. Nous allons également participer à des festivals internationaux. Ce sera comme la coupe du monde, la ligue des champions de l’humour pour nous », espère-t-il.
Les organisateurs de spectacles
Si les humoristes parviennent à tirer leur épingle du jeu, les organisateurs de spectacles, eux, se frottent les mains. C’est notamment le cas pour Le Magnific tient deux cordes à son arc. « Je me considère comme un leader qui endosse tout, qui accepte tout mais qui doit guider, qui a beaucoup de responsabilité parce qu’on a l’héritage de nos aînés et nos petits frères qui arrivent. L’humour doit avoir le ludique, le rire, le divertissement mais aussi la didactique, des leçons, des enseignements. Parce que notre société est remplie de beaucoup de maux. Nous devons sensibiliser pour que la société se transforme. Je dois guider mes jeunes frères et marcher dans les pas de nos aînés. Aujourd’hui, l’humour a la même place que la musique et les autres arts, il attire », clôt-il.
Les indicateurs sont donc au vert pour que l’humour en Côte d’Ivoire franchisse le prochain cap : s’exporter à l’international.
Charles Assagba