Kipré Gogoua Mathieu est entraineur des gardiens de but U20, ancien gardien de but, membre du staff technique des Eléphants lors de la CAN-2023. Dans cet entretien, il partage ses sentiments sur le parcours des Eléphants.
Comment avez-vous intégré le staff des Eléphants pendant la CAN ?
Après la défaite face à la Guinée Equatoriale (4-0), je suis allé à Bouaké soutenir l’équipe de la Mauritanie, parce que j’avais des amis là-bas. Le soir du match du Maroc face à la Zambie, je venais de rentrer à Abidjan et voilà que mon téléphone sonne. C’est le grand frère Alain Gouaméné qui m’appelle. Il me demande de rejoindre le staff technique pour m’occuper des gardiens de but. Grâce à la victoire du Maroc, non seulement nous sommes repêchés mais je rejoins les Eléphants.
Avez-vous pris cela comme un challenge ?
J’entraine déjà les gardiens de but. Depuis sa suspension, c’est moi qui ai préparé Sylvain Gbohouo. Je l’entraîne depuis 2015. C’est aussi moi qui ai fait la préparation de Badra Ali, avant qu’il n’aille en Afrique du Sud.
Vous aviez déjà côtoyé Emerse Faé ?
Oui, je connais déjà l’homme. C’est un sacré bosseur. Certains diront que c’est facile à dire maintenant qu’il est champion. Mais Faé allie sérieux et passion. C’est pour cela que je n’ai jamais douté de lui. Pareil pour Guy Demel. Ce n’est pas un hasard qu’ils collaborent, car ces deux hommes aiment le travail. Et le grand frère Alain Gouaméné est aussi comme ça.
Les Ivoiriens ont vécu une sorte de psychodrame après la débâcle face à la Guinée Equatoriale. L’entraîneur Jean-Louis Gasset a démissionné, on a tenté de faire venir Hervé Renard. Bref, comment avez-vous trouvé l’ambiance au sein de l’équipe, à votre arrivée?
Une bonne ambiance. Je connais la quasi-totalité des joueurs. Quand je suis arrivé, j’ai trouvé l’équipe extraordinairement unie et joviale. C’était comme si nous venions de commencer la compétition. Il y avait une telle fraternité qu’on ne pouvait que s’intégrer facilement.
C’est le Sénégal, champion d’Afrique en titre, que la Côte d’Ivoire affronte en 8ème de finale. Vous y croyiez sincèrement?
On savait qu’on affrontait peut-être la meilleure équipe en 8ème de finale, mais à l’entrainement tout le monde était relax. Avant le match il faut savoir que l’ambiance, du départ de l’hôtel en bus jusqu’au stade, était féérique, devant une foule immense. La mobilisation nous a galvanisés. Après la victoire, nous avons compris que nous pouvions aller jusqu’au bout. En quelque sorte, nous nous sommes mis dans la peau du champion sortant que nous avons battu. Pour l’anecdote, le pénalty de Frank Kessié et son dernier tir au but, ont demandé un sang froid incroyable. Lorsque je lui ai demandé comment il avait fait pour battre deux fois de suite un grand gardien par le talent et par la taille, comme Edouard Mendy, il m’a expliqué qu’ils sont dans le même club en Arabie Saoudite et qu’il avait l’habitude de faire des paris avec Mendy sur des tirs au but. Et qu’il arrivait à le battre à chaque fois. Kessié a ajouté qu’il observait toujours les jambes de Mendy. Une fois qu’il soulève une jambe, il devine là où il va partir. Et malheureusement, lorsqu’un gardien de but prend son appui, il ne peut plus changer de côté. C’est là qu’il frappe la balle.
Etait-ce le même sentiment face au Mali ?
Bouaké a été grandiose, par l’accueil. On aurait dit qu’on venait de remporter le trophée. Sachez que nous étions vraiment prêts mentalement. En quittant par exemple Abidjan pour aller jouer d’abord contre le Sénégal à Yamoussoukro, nous avions laissé toutes nos affaires en chambre. Nous nous sommes dit qu’on reviendrait à Abidjan jouer la demi-finale. C’était un sentiment général, contagieux. Donc face au Mali, l’équipe a gardé le même état d’esprit. La particularité face aux Maliens, c’était que les deux équipes longeaient à la Cité CAN de Bouaké.
La cohabitation était-elle bonne ?
Nous n’avons pas compris, mais le Mali a tout fait pour nous éviter pendant le séjour dans la cité. Au réfectoire, les joueurs faisaient des détours trop compliqués pour éviter le contact physique. Ils n’avaient pas envie de nous adresser la parole.
Pourquoi ?
Difficile de le dire. Mais c’était délibéré.
Vous aviez déjà vu cette façon de faire ?
Oui, les gens le font quand ils sont superstitieux. Tenez-vous bien : le jour du match, les deux délégations doivent aller au stade sous escorte des motards. Mais les Maliens ont carrément refusé de faire le chemin avec nous. Peu après notre départ, ils ont pris la route.
Encore de la superstition ?
Chacun a ses croyances. Nous sommes tous des Africains.
Les Eléphants n’étaient pas superstitieux, eux ?
De là où on venait, il n’y avait pas de la place pour ça. Nous avions en tête que c’était un match de football où il y aurait forcement un gagnant et un perdant. Rien au monde ne pouvait changer cela. Donc nous étions libres. Tout ce mythe, ces calculs, n’étaient pas dans nos têtes.
Mais le match en lui-même a tourné à l’avantage de la Côte d’Ivoire, d’une manière assez rocambolesque…
Vous savez, notre poste de gardien de but nous amène à avoir plus de sérénité. L’un des plus calmes dans le groupe était Alain Gouamené. Pour vous parler de Gouaméné, voilà une chose qu’il a dite alors que nous étions malmenés par le Mali : « De mémoire, le Mali ne m’a jamais battu. Voulez-vous être la première génération à perdre face aux Maliens ? Alors faites-le, parce que toute la Côte d’Ivoire vous regarde ». Ça, c’était pendant la pause fraîcheur de la deuxième mi-temps. Cela a eu l’effet d’une onde de choc. Les garçons étaient méconnaissables sur le terrain, à la reprise. Ça a aussi participé à notre victoire.
Cette sérénité, tout le monde l’avait ?
Moi, en tout cas, je l’avais aussi. Pendant le pénalty accordé au Mali, en première période, j’avais foi en Yahia Fofana.
Pour quelle raison?
Avez-vous vu le film de la CAN que Canal+ a montré après le sacre des Eléphants ? Il y a une séquence où notre gardien de but Yahia Fofana s’entraîne et je suis juste à coté, dans la vidéo. Vous m’entendez lui dire : « Attends-le ! …Attends longtemps ! …Ne bouche pas…Attends qu’il touche le ballon !… ». Yahia obéit et enlève le tir. Après les tirs au but face au Sénégal, il s’est entrainé à rester le plus longtemps possible sur ses jambes, avant de plonger. Donc, lorsque le capitaine malien Adama Traoré se présente devant Yahia Fofana, je me dis, il va le sortir. Parce qu’à l’entrainement, il avait arrêté 4 tirs. Un gardien de but a toujours les derniers souvenirs en tête. Effectivement, il a attendu jusqu’au dernier moment pour plonger, parce que le pénalty d’Adama Traoré n’est pas si mal tiré.
Comment les joueurs maliens ont-ils pris cette défaite à votre retour à l’hôtel?
Les Malien qui avaient refusé de venir dans la même délégation que nous au stade, sont finalement retournés avec nous à la Cité CAN, après le match. Nous n’avons pas eu l’occasion de les rencontrer. Mais ce sont des professionnels. Il ne peut pas y avoir de palabre entre nous. Toutefois, le lendemain, quand nous nous sommes réveillés, ils étaient déjà partis, très tôt. Nous avons donc rejoins Abidjan en triomphe.
Plus rien ne pouvait vous atteindre…
Le sentiment de force et de cohésion au sein du groupe, était encore plus grand. Chacun savait que maintenant, l’objectif c’était de nous emparer du trophée.
Certains disent que l’Equipe ivoirienne a bénéficié d’un appui…surnaturel. Et que des féticheurs du côté de Dabou étaient à l’œuvre pour que la Côte d’Ivoire prenne le trophée. Vous entendiez ces choses-là ?
Pour un sportif, tout ce qui se dit autour ou se fait, ne doit pas vous affecter, sinon ça vous déconcentre. On a même entendu dire que des féticheurs sont venus de Korhogo. Mais avez-vous vu un féticheur dans notre staff ou dans notre mise au vert ? La victoire des Eléphants a été un travail d’équipe, avec l’extraordinaire staff d’Emerse Faé. Comme je vous l’ai dit plus haut, le travail mental a beaucoup joué. En finale, face au Nigéria, vous mettiez n’importe quel joueur sur le terrain, il y laissait ses trippes. Là où nous étions arrivés, nous ne pouvions rien lâcher. Vous n’êtes pas sans savoir que Sébastien Haller souffrait d’une petite gêne à la cheville, pendant le match. Mais il est resté le plus longtemps possible sur le terrain pour marquer le but de la victoire. C’est le sens du sacrifice. C’est aussi en cela que je loue le coaching de Faé.
On aussi entendu dire qu’Emerse Faé appelait Hervé Renard pour avoir des conseils…
Faux, faux et faux. Faé était très ouvert, il discutait beaucoup avec son staff. Il demandait notre avis sur tout. Ce que nous avons vécu est exceptionnel. Nous ne vivrons pas une telle CAN pendant longtemps. Même 92 et 2015 n’ont pas eu tant d’impact sur les Ivoiriens. En tant que croyant, je dis simplement que c’est l’œuvre de Dieu.
Interview réalisée par Georges Dagou