En Côte d’Ivoire, l’Etat a initié de nombreuses actions pour lutter contre les violences faites aux enfants. Malgré tout, ils sont nombreux à être rejetés par la cellule familiale, chaque année. Le processus de la prise en charge jusqu’au retour en famille n’est pas aisé et a besoin d’accompagnement.
Ce vendredi 10 juin 2022, une équipe de l’ONG Cavoequiva conduite par le président de la structure, Irié Tra-Bi Clément, est à Port-Bouët, dans les environs de l’abattoir. Elle est accompagnée de jeunes filles à la recherche de leurs familles. L’une des filles, Abiba, après avoir conduit l’équipe au bord de la mer, finit par les mener devant une cour rustique, dans le bas-quartier qui se trouve-là. Dans la cour, l’équipe de Cavoequiva se retrouve devant une famille étreinte par l’émotion. Une femme, la tutrice d’Abiba, est en pleurs. Les autres observent Abiba comme s’ils venaient de voir un fantôme. La fillette a été déclarée morte dans le quartier, il y a 3 ans. Comment peut-elle être là, devant eux ? «C’est une revenante !», scandent certains. Soudain, un quarteron d’hommes débarque, attiré par les cris et les pleurs. Pendant un instant, ils ont l’air de prendre l’équipe pour des enleveurs d’enfants. Mais ils comprennent très vite que leurs visiteurs ne sont que des bienfaiteurs.
Irié Tra-Bi leur explique la situation. Leur fille n’est pas une revenante, elle était avec lui depuis tout ce temps. La tutrice d’Abiba n’en revient pas. Depuis la disparition de la fille, elle n’a cessé d’avoir des remords, parce que c’est à elle qu’on avait confié l’enfant venue de Ferkessédougou. «On a cru qu’elle avait été sacrifiée», leur disent les parents.
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Portées disparues
Abiba n’a pas été sacrifiée. Arrivée à Abidjan pour travailler, elle s’est retrouvée à garder l’enfant de son oncle. Un jour, alors qu’elle vend de l’eau, au bord de la route, un type, à bord d’un pick-up, gare à son niveau. Selon le témoignage d’Abiba, il lui demande d’apporter à boire. Il vérifie son portefeuille et ne semble pas trouver la monnaie. Alors, il fait signe à la fille d’avancer. Pendant ce temps, il quitte la route, gare dans un coin isolé. Quand Abiba est à son niveau, il descend, ouvre la portière arrière et la pousse à l’intérieur du véhicule. Il va la conduire dans une plantation, à Adjahui, pour la violer.
La jeune fille, environ 9 ans, sera retrouvée, errante, en sang. La gendarmerie l’amène à Cavoequiva. Depuis ce jour, Abiba a toujours affirmé qu’elle ignore où se trouve son domicile familial. Durant trois ans, elle feint l’amnésie. Jusqu’au jour où, devant l’insistance d’Irié Tra-Bi et ses hommes, elle accepte de les conduire, enfin, sur les lieux. Le jour choisi est donc ce vendredi 10 juin. Elle les a d’abord conduits au bord de l’eau, avant d’indiquer le domicile familial.
Alors, si ses parents sont contents de la voir, Abiba, elle, n’affiche pas la même joie. Elle a aujourd’hui 12 ans et n’a pas envie de vivre avec son oncle et sa tutrice. Après avoir présenté la situation, l’équipe de Cavoequiva refuse de laisser la fille à ses tuteurs. Ils doivent d’abord enquêter pour comprendre les raisons profondes qui ont poussé la jeune fille à ne plus vouloir retourner chez elle. Malgré toutes les tentatives de l’oncle de la jeune fille, Erié Tra-Bi reste de marbre.
Tout comme Abiba, de nombreuses jeunes filles déclarées mortes, portées disparues ou abandonnées, sont régulièrement retrouvées par la gendarmerie ou la sous-direction de la lutte contre le trafic d’enfants et la délinquance juvénile. Beaucoup ne retrouveront jamais leurs familles, parce qu’elles ont été retrouvées à un âge trop bas pour se rappeler le moindre détail. Alors, elles sont le plus souvent recueillies au centre d’accueil et de transit Cavoéquiva, situé à Adjamé, non loin de la maternité Marie-Thérèse. C’est le plus important centre de transit du pays. Ici, en moyenne, un enfant perdu arrive tous les 3 jours.
Prise en charge
Ce jeudi 16 juin, comme toujours, la grande porte d’entrée de Cavoéquiva est fermée et surveillée par un vigile. Il faut montrer une pièce d’identité avant d’entrer. Dans la cour, une horde d’enfants entre 3 et 16 ans, s’amusent avec des matelas. Ce sont toutes des jeunes filles. À l’étage de l’immeuble, sur le pallier, Irié Tra-Bi Clément, le président de Cavoequiva, leur demande pourquoi leurs lits sont dehors. Les filles répondent qu’il y a des cafards dans leurs chambres. Celui qui est considéré ici comme un père pour tous ces enfants, donne des instructions, avant de retourner à son bureau.
Le centre compte 95 enfants, uniquement des filles. Pendant la rentrée scolaire, une trentaine est envoyée à l’Orphelinat de Grand-Bassam. Grâce à un partenariat, le ministère de la Femme, de la famille et de l’enfant, attribue chaque année un quota à la structure pour que certains enfants puissent passer l’année scolaire là-bas. Ils reviennent chez eux, à Cavoéquiva, en vacances. Comme c’est le cas en ce moment. Ce jeudi, les enfants sont donc oisifs dans la petite cour. Y compris, la jeune Abiba. Sur le pallier, une fille-mère, à peine 15 ans, s’occupe de son bébé. Elle baisse la tête quand elle nous aperçoit. C’est Aïcha, recueillie, il y a quelques mois, alors qu’elle dormait dans la rue. Victime de traite, la jeune fille a été violée à maintes reprises. C’était une loque lorsque la police l’a retrouvée. Aïcha a accouché à l’hôpital Mère-Enfant de Bingerville, avec une prise en charge.
Les enfants Quiva
Et voici Anango, 9 ans, qui nous jette un regard innocent en descendant les marches de l’escalier. C’est une élève très brillante qui a passé son entrée en 6ème cette année et que Cavoéquiva a recueillie depuis l’âge de 3 ans. Elle a été abandonnée dans la rue, à Abobo, par ses parents pour, dit-on, pratique de sorcellerie. Mais Anango n’a rien d’une sorcière. Et elle ignore qui sont ses parents ni même où ils habitent. Parmi les enfants qui jouent sur les matelas, il y a également Aurore, 7 ans, en classe de CE1. Tout comme Anango, elle est arrivée au centre Cavoéquiva il y a environ 3 ans. Aurore a aussi été accusée par ses parents de sorcellerie, à Port-Bouët, et abandonnée dans la rue. Irié Tra-Bi, espère qu’un jour elle se rappellera qui sont ses géniteurs. Mais, plus les années passent, plus ses espoirs s’amenuisent. Une autre enfant accusée de sorcellerie joue dans la cour: Nourra, 8 ans. Elle est ici, depuis deux ans. Pareil pour Déborah, 11 ans, retrouvée, il y a trois ans à Port-Bouët. «Les cas d’enfants accusés de sorcellerie sont nombreux ici. Ce sont les témoignages des enfants eux-mêmes. Des faits rapportés par le voisinage ou parfois par les parents. Lorsqu’une famille est malheureuse, on accuse l’enfant», explique le maître des lieux. Dans ces cas, difficile pour les enfants de retourner en famille, même lorsqu’ils se souviennent de leurs domiciles. Contrairement à Abiba que le centre veut ramener chez ses parents à Ferkessédougou, Anango, Aurore, Déborah, risquent de vivre ici pour toujours. Car, les parents ne viennent quasiment jamais ici pour retrouver leurs progénitures.
À Cavoéquiva, on trouve toutes sortes de violences faites aux enfants. Par exemple, Amy a été vendue au Bénin par ses parents, si vraiment ce sont ses parents. Le prix ? 60 000 FCFA. La dame qui l’a achetée habite à Abobo. Coincée par la police après des bruits de maltraitance, elle persiste que c’est bien la famille de la gamine qui l’a bradée. Elle a acheté Amy pour qu’elle vienne l’aider dans son commerce. Amy non plus ne retournera jamais chez ses parents. Alors, que deviennent ces gosses ?
« Nous leur avons établi des jugements supplétifs, avec l’aide du ministère de l’Intérieur et de la sécurité. Ils ont pour nom de famille, Quiva, qui est le diminutif de Cavoequiva», explique Irié Tra-Bi Clément. Pour le président de l’ONG, si personne ne les réclame, ils grandiront avec lui. Ce sont ses enfants. Mais, le plus urgent, dit-il, c’est de freiner ce phénomène. Et il n’y a que deux manières, pour lui. Attribuer plus de ressources aux centres de transit et continuer à sensibiliser. Car, malgré sa capacité de 95 places, Cavoéquiva est déjà bondé. Que faire alors des autres enfants retrouvés ?
Raphaël Tanoh