Dr Koffi Marcellin Yao, Maitre de recherches, chef du département environnement du CRO explique l’effets des polluants chimiques sur notre environnement.
Chimiste de formation au Centre de recherches océanologiques (CRO) d’Abidjan, Dr Koffi Marcellin Yao s’est spécialisé dans les polluants chimiques au sein de notre environnement. Son constat est sans appel : Les activités de l’homme, l’orpaillage et l’agriculture, par l’utilisation des produits chimiques tels que les métaux lourds ou les pesticides notamment, polluent les eaux et les aliments, provoquant, à moyen ou long terme, des pathologies graves. Le chercheur tire la sonnette d’alarme.
Combien de recherches avez-vous déjà produites ?
D’abord, il faut comprendre que le chercheur est jugé par ses publications scientifiques, les étudiants qu’il encadre, les consultances qu’il fait. J’ai au moins 21 publications scientifiques, une quinzaine d’étudiants de doctorat avec qui je travaille. Je fais de la consultance. Nous travaillons avec plusieurs pays, notamment les Etats-Unis, la France, l’Inde.
Quel est votre point de vue sur la pollution en Côte d’Ivoire ?
Mes études ont concerné principalement la pollution des eaux de rivière, de lagune. L’Etat de santé des poissons qui vivent dans ces milieux, mais surtout la santé des populations dans nos villages, qui boivent ces eaux. Nos études ont montré que la qualité des eaux est vraiment menacée en Côte d’Ivoire, par les activités humaines. Ces activités sont, l’agriculture, l’orpaillage, l’urbanisation.
Quelles sont les eaux les plus menacées ?
Le fleuve Bandama, qui part de Korhogo et qui se jette à Grand-Lahou ; le fleuve Comoé, qui part du Burkina, traverse le parc national de Bouna, et qui débouche à Grand-Bassam. Nous avons aussi la lagune Ebrié, à Abidjan. Sans oublier, la Bia, qui part du Ghana ; le fleuve Tanoé, entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, etc. Toutes ces eaux sont menacées par les activités humaines.
Où la pollution est-elle le plus concentrée ?
Difficile de le dire. Les études antérieures montraient qu’elle était concentrée à Abidjan. Mais aujourd’hui, la pollution s’est étendue aux zones d’orpaillage. Les dragues dans l’eau pour extraire l’or, les produits chimiques utilisés sont autant d’éléments qui polluent.
Que risquent exactement les populations à proximité de ces eaux ?
La menace se fait à long terme. Vous pouvez boire l’eau de ces rivières pendant des années sans rien sentir. Après 30 ans, par exemple, les effets des polluants commencent à se manifester.
Quelles sont les pathologies qu’on peut développer ?
Des cancers de plusieurs ordres. Vous pouvez développer d’autres maladies dangereuses. Parce que les polluants sont des éléments chimiques. La famille des pesticides notamment comprend plusieurs produits toxiques. Il y a également les métaux lourds qu’on ne voit pas à l’œil nu. Mais ils ont des effets sur la santé. Le fer, par exemple, le mercure, le plomb. Ce sont des éléments présents partout dans l’environnement, mais le fer ne présente pas de danger lorsqu’il se trouve à l’état solide. Toutefois, une fois qu’il y a corrosion, le fer entre à l’état liquide et devient dangereux. Il y a aussi un autre groupe d’éléments, comme l’azote, le phosphore, le potassium, le sodium qui résultent de l’épandage de l’engrais. La manière d’apporter de l’engrais au sol doit être bien régulée. Sinon, ces engrais vont se retrouver dans les eaux. Et une fois là-dedans, les petites plantes vont se développer de façon hyper-accélérée et l’oxygène va commencer à manquer dans l’eau. Tout ce qui participe à l’auto-épuration de l’eau va manquer, avec des odeurs nauséabondes. L’eau va se mettre à mourir.
L’agriculture est-elle une menace lorsqu’elle n’est pas régulée ?
Notre chance c’est que les paysans n’ont pas encore assez de moyens pour accéder aux pesticides en grande quantité. Mais le peu qu’on achète est mal appliqué. Il y a des dosages à respecter. Hélas, les gens ne le font pas. À côté de cela, il faut savoir qu’il y a des herbicides et engrais dangereux, interdits par le régulateur. Malheureusement, les trafiquants viennent les vendre aux paysans, qui les utilisent parce qu’ils sont puissants. Ce sont des produits cancérogènes.
Ce phénomène de pollution gagne-t-il du terrain ?
Oui, parce que les planteurs utilisent de plus en plus de pesticides et d’engrais ; parce que l’agriculture se développe et que la main-d’œuvre se réduit. La demande pour satisfaire aux besoins des populations implique l’utilisation des produits chimiques à foison.
La proximité des cultures avec les fleuves est-elle le problème ?
Normalement, selon les régulateurs, les cultures ne doivent pas être à moins de cent mètres des rivières. Malheureusement, ce sont des zones très productrices, donc les gens ne respectent pas les distances indiquées. À la moindre pluie, tous les produits chimiques se retrouvent dans l’eau. Et puis, il y a certains polluants qui se déplacement sur une longue distance. Alors, que votre champ soit tout près ou pas, cela ne change rien.
Vous pointez de l’index l’activité minière comme l’une des causes de la pollution des eaux. Jusqu’où s’étend le problème ?
Sur 31 régions, 26 sont concernées. Le gouvernement a fait beaucoup d’efforts, avec la destruction de plusieurs sites d’orpaillage, mais il y a encore beaucoup à faire. Nous avons mené une étude récemment pour évaluer la quantité de mercure rejetée par l’orpaillage dans l’environnement au niveau national. avec son utilisation dans l’extraction de l’or. L’étude a montré que toutes les zones touchées par l’orpaillage sont contaminées polluées par le mercure.
Quel est le risque encouru ?
Une autre étude menée en 2016-2018 a montré que le mercure pollue le riz. Comme je l’ai dit, tant que les polluants existent à l’état naturel, ils ne peuvent pas poser de problème. Mais une fois qu’on les extrait du sous-sol, ils se déplacent vers un réservoir. Le mercure utilisé pour extraire l’or va se retrouver dans l’air, les eaux, les sols. L’arsenic piégé dans les roches se retrouve dans les mêmes milieux avec le concassage. Le mercure, lui, cible le riz, où il s’accumule. Il cible également le poisson. Pendant notre étude, nous avons essayé de voir l’impact de ce polluant dans les bas-fonds où le riz est cultivé. Et nous avons vu que le mercure a contaminé cette culture. À long terme, cela peut avoir des conséquences sur la santé humaine.
Quelles sont les zones touchées ?
Ce n’était qu’une étude préliminaire, faite à Agbaou et à Hiré, qui a été valorisée dans un journal international (Source de la publication sur le riz : https://link.springer.com/article/10.1007/s11356-021-12360-8
Le riz cultivé dans les bas-fonds dans ces zones-là est pollué par ce produit. Il y a donc lieu de faire une étude sur le plan national pour voir si d’autres zones sont touchées. Cela demande beaucoup de moyens.
Les gens qui consomment ce riz sont-ils en danger ?
Le riz issu de ces zones peut être consommé aujourd’hui, sans effet immédiat. C’est à long terme qu’on est affecté. C’est pareil pour les poissons issus des fleuves qui sont pollués. Les petits poissons mangent les plantes empoisonnées ; les gros poissons mangent les petits poissons et se retrouvent avec beaucoup de polluants dans l’organisme. Aux Etats-Unis, dans les zones touchées par le phénomène, il y a une quantité de poissons à ne pas dépasser dans la consommation quotidienne, pour ne pas être affecté. Les enfants et les femmes enceintes sont plus sensibles.
Au Japon, le phénomène a été observé. Un bras de la mer a été pollué par une industrie à Minamata. Cette industrie fabriquait du chlore et utilisait le mercure pour le faire, tout en le rejetant dans une partie de la mer. Les gens mangeaient le poisson. Et puis, les signes sont apparus. Tous ceux qui étaient affectés avaient leurs membres qui tremblaient. On a appelé cette pathologue la maladie de Minamata. Cette étrange maladie a commencé par les chats. Près de mille personnes y ont succombé. Il y a eu des infirmités observées, à cause de cette pollution par le mercure. Les effets sont irréversibles.
Les autorités sont-elles au courant des résultats de vos études ?
En réalité le scientifique fait une publication pour faire connaître ses recherches, avec des ateliers. C’est ce que nous avons fait. Alors, les autorités sont plus ou moins informées de cette situation. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement cherche à démanteler des sites d’orpaillage. Nous avons visité des zones où les populations demandent si elles doivent boire l’eau du village. Nous avons vu des préfets inquiets. Le problème, c’est l’argent. Parce que l’activité minière vient en complément de l’activité agricole dans ces zones, pour permettre à ces populations de survivre.
Il serait donc difficile d’arrêter l’orpaillage…
On ne pourra pas arrêter cette activité, mais l’orpaillage peut se faire tout en minimisant la pollution. Le ministère des Mines et de l’énergie peut les accompagner, les encadrer. C’est pareil pour les industries qui extraient l’or, parce qu’elles polluent au même titre que l’orpaillage, voire plus. Dans le monde, il y a plusieurs zones abandonnées, parce que l’extraction a pollué à un degré de non-retour. Il y a des sites abandonnés en Europe, aux Etats-Unis. Des sites difficiles à traiter. En Europe, notamment, les pesticides ont pollué beaucoup de rivières.
Y a-t-il une réelle politique de prévention, selon vous, en Côte d’Ivoire ?
On n’est pas encore à cette étape. Nous pouvons le faire, mais est-ce la priorité pour nos politiques, aujourd’hui ? Nous disons qu’il faut une vraie politique nationale dans ce sens. Nos eaux constituent une grande richesse. Sans les eaux, beaucoup de populations ne sauraient vivre. Hélas, avec le changement climatique, l’eau potable manque. Avec les activités humaines, la qualité de ces eaux, voire celle des récoltes agricoles, est menacée. Il est important que ces activités soient accompagnées par des études, la recherche, avec des résultats fiables. Les décideurs doivent tenir compte de ces résultats pour prendre des décisions. L’objectif est de parvenir à une utilisation durable de ces eaux.
Interview réalisée par Raphaël Tanoh
1 commentaire
Merci docteur ….