Début avril 2021, Mme Moro perdait ses jumeaux au Centre hospitalier universitaire de Cocody. Une affaire qui avait fait couler beaucoup d’encre et de salive, sans qu’aucune suite ne soit donnée à l’enquête ouverte par les autorités à l’occasion. Accusé, le personnel soignant a affirmé qu’on ne pouvait plus sauver les bébés au moment où la dame est arrivée sur les lieux, car elle avait un col de l’utérus défaillant. Mme Moro souffre, selon les médecins, d’un mal qui touche une faible proportion de la population féminine. Mais il n’en demeure pas moins mortel, voire difficile à circonscrire.
Martine Kouassi a perdu son bébé, il y a 5 ans. Un avortement à 7 mois de grossesse. L’épreuve a été dure à surmonter pour la dame de 33 ans, enseignante dans la commune d’Abobo. D’autant qu’elle avait déjà fait une fausse couche, avant de connaître son époux. Alors, quand ce second drame survient, certains n’hésitent pas à murmurer à l’oreille du mari qu’il se pourrait qu’elle ne lui donne jamais de progéniture vivante. Son mariage a même vacillé.
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C’est pourtant au cours de ce malheur que Martine apprend qu’elle souffre d’une malformation congénitale. À cause de ce mal sournois, son col de l’utérus n’est pas fermé. «Le gynécologue qui m’a examinée pendant cette seconde grossesse perdue m’a donné des assurances que ce n’était pas grave et que je pouvais garder un bébé, avec un bon suivi. Mais, pendant ma troisième grossesse, c’était l’angoisse. J’avais peur de faire une troisième fausse couche», nous confie cette mère de deux enfants que nous rencontrons ce 2 avril 2022 à son domicile à Abobo-Plaque. Son gynécologue lui a fait faire un cerclage, qui est une opération qui consiste à resserrer le col de l’utérus à l’aide d’un fil ou d’une bandelette.
Les dangers du col de l’utérus défectueux
«J’ai eu de nombreuses contractions après cette opération. Mais j’étais régulièrement suivie, parce qu’il y avait des risques d’infection ou même d’accouchement prématuré. Je devais rester beaucoup alitée, limiter mes activités. Le cerclage a été retiré après 9 mois de grossesse», explique-t-elle. Martine Kouassi accouche normalement. Son premier enfant vivant, Benjamin, qui a aujourd’hui 3 ans et demi, est un rayon de lumière pour cette dame, qui ne voit plus son état comme un mauvais sort.
Tout comme Martine plusieurs femmes marquées à vie, vivent avec un col de l’utérus défectueux. Beaucoup ont hélas déjà perdu un bébé, avant de connaître le danger qui les guette. «Pour prendre conscience qu’il y a des risques de perdre le bébé, il faut obligatoirement consulter un gynécologue. Il n’y a que comme cela qu’on peut sauver des vies», explique Dr Ametchi Kouassi Jean-Olivier, gynécologue-obstétricien, qui indique avoir sensibilisé de nombreuses femmes sur les dangers du col de l’utérus défectueux. Très peu, à l’entendre, sont enclines à écouter.

Fanta Ouattara, 29 ans, mariée, a également perdu son premier bébé. Contrairement à Martine, elle affirme pourtant avoir été régulièrement suivie par un gynécologue. «J’ai perdu la grossesse au 6ème mois, il y a presque deux ans. Personne n’a compris ce qui s’est passé», nous explique-t-elle. Le gynécologue qui la suivait et dont nous tairons le nom, exerce au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville. Il n’a détecté, dit-elle, aucune anomalie. Pourtant, l’enfant n’a pas survécu. Et il a fallu en plus batailler, d’après la dame, pour ne pas qu’elle perde elle aussi la vie, à cause des saignements intervenus pendant l’avortement. Ce n’est qu’après cet incident que le gynécologue lui explique que son col de l’utérus est défectueux. Caissière dans une banque, elle a réussi à se relever de cette épreuve. Mais, Fanta n’est pas encore prête à porter une autre grossesse. «On m’a expliqué que mon col est fermé, mais que je présente des risques de perte de grossesse à cause d’une défectuosité», ajoute-t-elle. Le cerclage ? Elle dit s’en méfier sans expliquer pourquoi.
Avortements
Ce mal silencieux touche de nombreux couples. Parfois, il peut conduire à la séparation, si les conjoints ne sont pas bien informés de la situation. Parmi les femmes que nous avons rencontrées, l’un d’entre elles a préféré garder l’anonymat sur sa situation. Parce qu’elle s’est séparée de son époux. «J’ai fait des avortements lorsque j’étais à l’université. Le gynécologue m’a dit qu’à cause de cela, j’avais le col béant. Quand on a perdu notre premier enfant, mon conjoint a appris cela et ne l’a pas digéré. On s’est séparé peu de temps après», confie la dame. Mais ça, c’était il y a 6 ans. Aujourd’hui, elle est mariée et mère d’une jeune fille, grâce au cerclage.
Chaque couple vit sa situation différemment. «Certains préfèrent s’en remettre aux traitements traditionnels, même quand nous leur expliquons les risques», déplore Dr Ametchi Kouassi. Entre rumeur de malédiction et des tentatives vaines pour le couple de recourir à des traitements traditionnels, ce sont malheureusement de nombreux bébés qui ne verront jamais le jour, chaque année.
Raphaël Tanoh