Arrêté en juillet 2018 après la diffusion d’une vidéo fustigeant la hausse du prix du hadj en Côte d’Ivoire et appelant les musulmans à ne pas inscrire leurs enfants dans les écoles chrétiennes, l’imam Aguib Touré a été libéré après 42 jours de détention à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Faisant de lui, l’un des rares imams à avoir séjourné en prison. Déjà particulier parce qu’il prodigue la bonne parole via les réseaux sociaux, Aguib Touré symbolise à lui-seul une catégorie de religieux incompris. Interview.
Près de quatre ans après votre sortie de prison pour, entre autres, la diffusion d’une vidéo fustigeant la hausse du prix du Hadj en Côte d’Ivoire, comment les gens vous perçoivent au sein de la communauté ?
Je dirais que les gens sont marqués de façon différente. Certains, par la prison, d’autres, par la revendication, bien d’autres encore, par l’âge. Chacun est marqué par rapport à sa sensibilité. Je suis connu, pas seulement à cause de la prison, mais aussi à cause des réseaux sociaux.
Vous n’êtes pas forcément étiqueté comme l’imam qui a fait de la prison…
(Hésitation) Pas forcément. Certains disent « Aguib Touré, le prêcheur ». D’autres : « Aguib Touré, le chantre musulman », parce que je chante aussi. Il y a aussi, Aguib Touré le conférencier, Aguib Touré, l’homme du Buzz. Ou encore, si vous voulez, Aguib Touré, l’imam qui est allé en prison.
Vous, personnellement, avez-vous tourné la page ?
On ne doit pas oublier son histoire. On doit s’en inspirer. Une personne qui oublie son histoire est une personne idiote. Même si c’est une pierre qu’on a cogné sur la route, on ne doit pas l’oublier.
Est-ce pour cela qu’on vous voit comme quelqu’un qui assume ses convictions ?
Être fidèle à sa position ne fait pas de nous quelqu’un de fort. La fidélité ne veut pas dire qu’on n’a pas peur. En tant qu’être humain, chacun a peur. Sauf qu’au nom de l’amour, de la conviction, nous restons fidèles, prêts à mourir. Pas parce qu’on n’a pas peur de la mort, mais parce qu’on aime, en réalité. On a plus peur de perdre ce qu’on aime que la mort.
En voulez-vous à quelqu’un, aujourd’hui ?
Je n’en veux à personne. Je l’ai dit et je le répète : moi, j’aime le président de la République, plus que tout. C’est au nom de mon amour pour lui que je lui dirai toujours ce que je pense. Et je sais que lui, en tant que président de la République, ne voit pas ce que je dis, comme quelque chose de mal. Ce sont les ‘‘ropéro’’, qui le pensent. C’est-à-dire, ceux qui pensent que me combattre fera plaisir au président de la République. Ils le font pour avoir de la place auprès du Président. Je tiens à dire que ma conviction, c’est ma conviction. Nous sommes des humains et chaque être humain a peur. Moïse a eu peur, il a fui l’autorité. Jusqu’à ce que Dieu l’oblige à revenir (…) Quand Dieu a envoyé Moïse, il a dit : ‘‘ Dieu, j’ai peur de pharaon, car je ne sais pas ce qui va m’arriver’’. Nous ne disons pas que nos autorités sont des pharaons, mais nous disons que l’autorité, c’est la force. Et quand on n’est pas compris par l’autorité, malheureusement, on est victime de notre parole, de notre position. Donc, je suis sûr qu’au fur et à mesure, nous serons compris. Car, nous sommes sûrs que nous sommes mal compris par nos autorités. Parce que certains, autours d’elles, font croire des choses que nous n’avons pas dites. Nos autorités ne vont pas trouver mal ce que nous disons tant que nos propos ne sont pas utilisés à d’autres fins, par l’opposition. Et nous espérons que nos positions ne seront pas mal vues et que Dieu va nous inspirer les bons mots pour pouvoir dire ce que nous avons envie de dire.
Vous prêchez sur les réseaux sociaux. Vous trouvez-vous différent des autres imams en Côte d’Ivoire ?
Quand vous avez plus d’audience (ndlr, sur les réseaux sociaux), vous devenez exceptionnel, alors qu’il y a des milliers de personnes comme vous mais qui ont moins d’audience. Je ne suis pas différent des autres imams. Beaucoup parmi eux disent la même chose que moi. Seulement, j’ai été l’un des premiers imams sur les réseaux sociaux, voire, le premier. À l’époque, j’étais nommé ‘‘l’imam de Facebook’’. On disait que ma mosquée est située sur Facebook. Mais, ce que je disais sur les réseaux sociaux n’était pas différent de ce que les autres imams disaient. Donc, je ne suis pas différent. Sauf que je dis ce que beaucoup ne disent pas.
Dans le temps, on vous a accusé de ne pas détenir de mosquée. En avez-vous une?
Je tiens à dire aux gens que l’imam Aguib Touré a toujours eu une mosquée, avant de venir sur les réseaux sociaux. Je suis connu par la communauté musulmane d’Adjamé-Payet HMA, non loin du zoo. J’ai même une autre mosquée à Cocody-Angré.
Quels sont vos rapports avec le Conseil supérieur des imams, des mosquées et des affaires islamiques (Cosim) aujourd’hui ?
Ce sont de très bons rapports. Ce sont mes pairs, je suis à leur service. Les gens pensent que Cosim et Aguib Touré, c’est l’opposition. Qu’ils sachent que je suis le serviteur premier du Cosim. Même si certains de mes pairs me font de temps à autres des reproches, il n’empêche que mes points de vue sont mes points de vue. Mes idées sont mes idées. Chaque génération a sa lutte. Nous espérons que le but sera atteint pour la communauté musulmane en Côte d’Ivoire. Parce que le but de chacun d’entre nous est de faire de cette religion une religion très forte. La communauté du Nord et celle du Sud en Côte d’Ivoire, sont unies et c’est très important.
Dans le temps, on ne vous considérait pas comme faisant partie de la sphère du Cosim, parce que vous n’avez pas de carte d’imam…
Jusqu’à présent, je n’ai pas de carte d’imam. Mais, cela ne fait pas de moi l’enfant impair du Cosim.
En avez-vous fait la demande ?
Non. Je ne pense pas avoir besoin d’une carte d’imam. Je le dis clairement. Ce n’est parce que je n’ai pas la carte d’imam que mes frères ne me considèrent pas comme leur pair. Je peux ne pas avoir les mêmes points de vue avec certains membres du Cosim, mais je suis sûr que la majorité de mes pairs ne sont pas contre moi.
En tant que homme religieux, quelle place accordez-vous à l’actualité ?
L’actualité ivoirienne a toujours été mon souci. Mon souhait pour la Côte d’Ivoire, c’est la paix, en premier lieu. Et je serai prêt à appeler nos autorités à aller vers tout ce qui concourt à avoir la paix. S’il faut dénoncer pour cela, je le ferai. Et je souhaite que Dieu fasse que je sois toujours compris. L’autorité de Côte d’Ivoire est ma chance de réussir. Si l’autorité est sauvée, je serais sauvé. Le Prophète a dit : ‘‘il y a deux types de personnes de ma communauté. Quand elles sont guidées, tout mon Peuple sera guidé : Les savants et les autorités’’. Dieu a dit : ‘‘lorsque je veux sauver un Peuple, je sauve les autorités et lorsque je veux anéantir un Peuple, je fais perdre l’autorité’’.
J’aimerais dire que si nos autorités qui sont là n’ont pas pu faire quelque chose pour la communauté musulmane, je ne pense pas qu’une autre autorité pourra le faire. Nous luttons en tant que musulmans pour notre cause. Et nous espérons que notre appel sera entendu.
Pensez-vous que les autorités actuelles n’en font pas assez pour la communauté musulmane en Côte d’Ivoire?
Nous n’allons jamais être satisfaits. Mais nous sommes contents des changements que nous voyons. Jusqu’à présent, nous pensons que le président de la République peut faire plus pour la communauté musulmane. J’irai même plus loin : il peut encore diminuer le coût du pèlerinage à La Mecque. Même si le pétrole est moins cher en Côte d’Ivoire, nous allons encore demander qu’on diminue le prix du litre.
Comment vivez-vous, en tant que guide religieux, la situation des militaires ivoiriens arrêtés au Mali ?
Personnellement, j’ai déjà demandé que le président Assimi Goïta libère nos soldats. Et qu’il se rappelle la fraternité et le voisinage entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Le Mali, c’est la Côte d’Ivoire et la Côte d’Ivoire, c’est le Mali. Nous saluons et nous louons, inch Allah, la démarche des imams qui sont allés faire ces démarches au Mali pour leur libération. Ceux qui n’ont pas compris la démarche des imams, qu’ils sachent que le rôle d’un imam, c’est cela. Même quand il a raison, il va demander pardon. C’est son devoir.
Interview réalisée par Raphaël Tanoh