Pharmacien industriel depuis 1991, Dr Assane Coulibaly dirige aujourd’hui l’Autorité ivoirienne de régulation pharmaceutique (AIRP). Le coordinateur principal à l’ONUDI de 2015 à 2019 et ex-président de l’APPCI, annonce un futur rayonnement pour son secteur.
Combien de pharmacies existe-t-il sur le territoire national ?
À ce jour, on dénombre 1 216 officines privées de pharmacie sur ensemble du territoire national. Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, il faut une officine de pharmacie pour 10 000 habitants. La Côte d’Ivoire étant à 30 millions d’habitants, nous devrions être à 3 000 officines. L’objectif aujourd’hui pour l’AIRP, est de transformer le plus de dépôt en officines de pharmacie.
Toutes ces pharmacies subissent-elles un contrôle régulier ?
Les officines de pharmacie font l’objet d’inspections périodiques menées par les inspecteurs de l’AIRP, conformément à un programme annuel d’inspection basé sur le risque. Ce dispositif permet de s’assurer du respect des bonnes pratiques pharmaceutiques et de la conformité réglementaire des établissements. Il est important de souligner que ces missions d’inspection sont réalisées par des inspecteurs assermentés. Ils contrôlent les conditions de stockage des médicaments, la date de péremption des médicaments, si l’exercice se fait sous la responsabilité d’un pharmacien, etc. De manière générale, ces inspections sont satisfaisantes.
Quels sont tout de même les problèmes que vous relevez ?
Essentiellement des problèmes de gestion. Il y a des pharmacies qui font faillite parce que le pharmacien n’arrive pas à faire du chiffre d’affaires. Mais, ce que nous retenons, c’est que la Côte d’Ivoire dispose d’excellents pharmaciens.
Quels sont les types de produits exposés en pharmacie ?
Les produits autorisés à être exposés en pharmacie sont définis par la loi n°2015-533 du 20 juillet 2015 relative à l’exercice de la pharmacie. Il s’agit notamment des médicaments, des dispositifs médicaux, des produits diététiques, des produits de cosmétologie et d’hygiène corporelle, des produits de parapharmacie, ainsi que des médicaments dérivés du sang.
D’où viennent ces produits ?
En Côte d’Ivoire, les officines s’approvisionnent exclusivement auprès des quatre grossistes-répartiteurs agréés par l’AIRP : COPHARMED, DPCI, TEDIS PHARMA et UBIPHARM. Ces grossistes répartiteurs s’approvisionnent eux même auprès de centrale d’achat majoritairement basées en Europe. La Côte d’Ivoire reste tributaire des importations de médicaments et de produits pharmaceutiques à hauteur de 90 %. Dans certaines situations exceptionnelles — notamment en cas d’indisponibilité d’un produit sur le marché local — les pharmaciens peuvent solliciter une autorisation spéciale d’importation auprès de l’AIRP pour commander directement auprès de fournisseurs étrangers. Les grossistes-répartiteurs sont donc les acteurs centraux du circuit de distribution : ils importent, stockent et distribuent les produits de santé aux officines sur l’ensemble du territoire.
Peut-on attester de la qualité de tous les produits exposés en pharmacie ?
La réglementation est plus souple avec les produits cosmétique et les compléments alimentaire. Mais, les produits mis en vente en pharmacie, sont autorisés après un processus rigoureux d’évaluation qui conduit à la délivrance d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette AMM atteste de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité du produit concerné. En outre, l’AIRP met en œuvre un contrôle qualité post-commercialisation basé sur le risque, afin de vérifier régulièrement que les produits maintiennent leurs caractéristiques initiales tout au long de leur commercialisation. Nous pouvons aussi envoyer une délégation sur le site de production pour nous assurer qu’ils respectent les normes.
Certains consommateurs se plaignent parfois de l’efficacité de certains produits exposés dans les officines. Existe-t-il un circuit parallèle pour des pharmaciens d’introduire frauduleusement des produits non autorisés ?
À la connaissance de l’AIRP, il n’existe pas de circuit parallèle permettant à des pharmaciens d’introduire frauduleusement des produits non autorisés en pharmacie. Les pharmaciens sont tenus par la réglementation de s’approvisionner uniquement auprès des quatre grossistes-répartiteurs agréés. Toute importation directe est strictement encadrée et soumise à une autorisation préalable de l’AIRP.
Certains pharmaciens estiment que des produits testés comme bons doivent continuer de subir des tests, car leurs fabricants pourraient modifier les ingrédients…
Cette observation est fondée. L’une des fonctions essentielles d’une autorité de régulation pharmaceutique est précisément d’assurer le contrôle qualité post-commercialisation. Ce processus vise à surveiller en continu la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments et dispositifs médicaux après leur mise sur le marché. En 2024, l’AIRP a conduit un contrôle-qualité ciblé sur les produits aphrodisiaques dits “naturels”. Sur 28 produits analysés, 13 se sont révélés non-conformes, contenant des substances chimiques actives telles que le sildénafil et le tadalafil. Ces produits ont été retirés du marché et des sanctions ont été appliquées à l’encontre des responsables (fabricants, importateurs ou représentants). Un plan annuel de contrôle-qualité est établi avec les parties prenantes afin d’effectuer des contrôles sur les molécules identifiées. Le consommateur fait partie de la chaîne. L’AIRP mène ses contrôles mais si le consommateur constate qu’un médicament pose problème, il doit le signaler pour que nous intervenions.
Que répondez-vous aux rumeurs qui disent que la Côte d’Ivoire vend en pharmacie un Fervex interdit en France.
Faux. Il s’agit du Fervex Rhume, Jour et Nuit, interdit de vente libre en France par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) depuis 2024 à cause de la pseudoéphédrine, qui provoque de graves effets secondaires. Ce médicament n’est pas vendu en Côte d’Ivoire. Mais Fervex est une gamme de produits. Et les autres produits de cette gamme sont autorisés.
La Côte d’Ivoire dispose-t-elle de moyens suffisants pour assurer le contrôle des produits de santé sur son territoire ?
L’AIRP dispose de moyens humains, techniques et réglementaires en constante amélioration, pour assurer la surveillance du marché pharmaceutique. Des efforts soutenus sont engagés pour renforcer les capacités de contrôle-qualité, d’inspection et de vigilance sanitaire, en partenariat avec le ministère de la Santé, des organisations régionales et des partenaires techniques. Malgré les efforts réalisés, des défis limitent l’efficacité du contrôle des produits de santé sur le territoire. Nous avons le problème persistant des Produits médicaux de qualité inferieure (PMQIF). L’ampleur du trafic illicite et la porosité des frontières exigent des ressources considérables pour garantir un contrôle total et efficace de l’ensemble du territoire. Il y a l’insuffisance des ressources humaines. L’évaluation des Autorisations de mise sur le marché requiert une expertise en quantité et en qualité. Malgré les efforts de recrutement, les ressources humaines qualifiées sont insuffisantes pour garantir des évaluations rapides et rigoureuses. Il ne faut pas oublier le financement des missions de contrôle qualité. Le processus de prélèvement d’échantillons et leur analyse en laboratoire (contrôle-qualité) est coûteux. L’insuffisance des ressources financières freine la réalisation régulière de ces missions.
En Afrique, on est beaucoup attaché à la médecine traditionnelle. Où en est-on concernant la collaboration des pharmacies avec les tradipraticiens ?
Nous venons de lancer un programme d’analyse de 12 000 produits, qui sont des compléments alimentaires et des produits cosmétiques. Le but est de pouvoir les intégrer dans les produits pharmaceutiques. Donc, la collaboration est bonne. Le problème avec la médecine traditionnelle, c’est le dosage et les compositions qui ne sont pas réguliers.
La Côte d’Ivoire compte produire ses propres médicaments, bientôt. Est-ce pour vous un objectif atteignable pour les prochaines années ?
Le processus de développement de l’industrie pharmaceutique local est déjà en marche en Côte d’Ivoire. Le pays a compris qu’il est impératif de produire ses propres médicaments avec l’avènement de la Covid-19. Les médicaments ne venaient plus ici. Le projet de création des usines a déjà démarré. Le but est de produire 30% de nos médicaments d’ici 2030.
Interview réalisée par Raphaël Tanoh
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