Reportage/Abidjan: Des enfants côtoient les morts dans les cimetières

par NORDSUD
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C’est une pratique très singulière dans notre société. La présence d’enfants dans les cimetières pour gagner de l’argent choque plus d’un. Reportage.

Alors que la population se prépare à célébrer la Toussaint, le 1er novembre et la fête des morts le lendemain, les préparatifs autour des cimetières vont bon train. Ce vendredi 28 octobre, au cimetière municipal de Williamsville, on peut déjà constater l’intense activité autour des tombes. Sarclage, peinture, lavage, etc. Les jeunes qui offrent leurs services travaillent pour la plupart avec l’administration du cimetière.  5 000 FCFA le mois, pour s’occuper d’une tombe.  Mais, parmi eux, on trouve surtout des enfants, âgés entre 9 et 15 ans. Souvent dépenaillés, des petits bidons d’eau et des brosses en main, ils viennent proposer leur service eux-aussi aux parents de défunts. Contrairement aux adultes, ces gosses s’infiltrent au sein du cimetière, par l’arrière. Avec une superficie de 46 hectares, n’importe qui peut s’introduire dans cet immense village de trépassés, depuis que la clôture s’est effondrée.

 «Papa, maman, c’est pour laver ? On peut aussi enlever les herbes», lancent-ils aux passants. À l’approche de la Toussaint, ils le savent, les visiteurs sont nombreux.

Parmi eux, Dramane, 11 ans. Déscolarisé, cet enfant un peu rabougri, vient du petit quartier précaire situé au bas du cimetière. «On lave les tombes à 500 FCFA», indique-t-il. Peur ? Lui ? Non. Boubacar, 14 ans, est son camarade. Selon Boubacar, il fait de la mécanique. Mais quand la fête des morts approche, il vient chercher de l’argent au cimetière de Williamsville.

300 FCFA pour laver une tombe

Ces enfants font preuve d’ingéniosité afin d’attirer les visiteurs. Ils descendent leurs prix jusqu’à 300 FCFA, pour laver une tombe ou faire du sarclage. Leurs concurrents, les jeunes, ne peuvent rien contre cela. Ces services frôlent parfois la mendicité. Deux autres garnements les suivent. Au bout du cimetière, nous tombons sur trois garçons en pleine activité. Mousse de savon en main, ils frottent une tombe. L’homme qui les a engagés est au téléphone. Lorsqu’il termine sont appel, le monsieur explique son choix porté sur ses enfants, par le prix assez bas que ces derniers proposent. Voir des enfants sillonner les cimetières ne l’émeut pas, dit-il, parce que, d’aussi loin qu’il se souvienne, ça toujours été ainsi.

Comment ces garçons pénètrent-ils dans ce lieu funeste ? Par un chemin descendant, au bout. La clôture qui passait là s’est effondrée. Alors, on peut descendre dans le quartier précaire, qui est une extension de d’Adjamé-Payet. Ici, la cohabitation des populations avec le cimetière ne les émeut guère, pas plus que le travail des enfants parmi ces tombes.  Mais, Karim Cissé, l’un des résidents souligne la gravité de la situation. «Les enfants ne doivent pas fréquenter les cimetières, cela les rend mauvais. Même pour certains adultes, c’est difficile de se retrouver dans un cimetière.  On ne peut pas les en empêcher », déplore-t-il.

Construire la clôture

Pour éviter cette situation, les responsables du cimetière ont doté les vigiles d’une moto, afin de sillonner de temps en temps le lieu. Hélas, la seule moto ne suffit pas, d’après Aboya Jean-Marie, technicien du cimetière au sein de l’administration, que nous rencontrons dans son bureau. «Nous les empêchons d’entrer ici. C’est pour cela qu’ils passent par derrière. Le jour de la Toussaint, c’est encore pire. On trouve même des élèves parmi eux. Nous avons besoin qu’on reconstruise la clôture pour la sécurité de tous», plaide le technicien.

Au cimetière d’Abobo-Biabou, la situation est différente. Ici, ce sont les anciens bagnards qui font la loi. Sortis de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), ils viennent ici proposer leurs services aux clients. Et il n’est pas prudent de leur faire de la concurrence. «Nous ne pouvons pas dire qu’il n’y a pas d’enfants qui viennent laver les tombes. Il peut y en avoir, mais c’est rare, parce que les jeunes les empêchent de leur disputer leurs clients. Nous avons nous-mêmes peur pour notre sécurité, parce que ces anciens prisonniers continuent de se droguer. Alors, pour les enfants qui s’aventureront ici, ce serait à leur risque et péril», indique Amien Jean-Jacques, le responsable du cimetière d’Abobo.

Même explication au cimetière de municipal de Yopougon, où l’activité est moins intense. Dans ce lieu, les responsables sont clairs : pas de gosses laveurs de tombes.  

Et ils n’ont pas tort, selon Inana Gaspard, sociologue à l’Ecole normale supérieure (ENS). Le sociologue prévient qu’un enfant n’a pas sa place dans un cimetière. «Dans nos sociétés, on ne permet pas à l’enfant d’approcher un corps, ni d’être présent pendant les rites funéraires. Le cimetière est un lieu sacré, un enfant n’y a pas sa place. Ce sont des pratiques qu’il faut bannir avant qu’elles ne s’enracinent. Parce que cela a une incidence sur l’évolution normale de l’enfant. Ce sont des phénomènes de demain que nous créons », signale le sociologue.

Raphaël Tanoh

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