En plus de son lot de sites historiques et marquants, ses belles plages et son histoire coloniale, Grand-Bassam a aussi ses toiles qui, contrairement à la vieille capitale, se cherchent une identité. Avec la venue de la Coupe d’Afrique des nations (CAN-2023) en Côte d’Ivoire, ces artistes veulent participer à la fête.
Située au quartier France, inscrit dans le patrimoine mondial de l’Unesco, la Maison des artistes plasticiens de Grand-Bassam, est une bâtisse en état de délabrement avancé, avec une touche particulière des architectes de l’époque coloniale. Ce lundi, Georges Yao, artiste plasticien ivoirien depuis 1990 et aussi le président de la Maison des artistes de Grand-Bassam, nous reçoit dans le bâtiment qui leur sert de siège. Selon lui, ce havre pictural abrite 21 artistes plasticiens, repartis dans plusieurs angles de la pièce avec des styles de techniques différents. Tout comme le laisse présager l’extérieur de la bâtisse, le spectacle à l’intérieur est peu reluisant. Les murs sont défraichis, fissurés par endroits. Le sol est humide, tacheté et en piteux état. Il y règne une odeur de renfermé mêlée à forte fragrance de peinture. Surtout, il n’y a pas foule ce lundi, dans les locaux. Une poignée de visiteurs observent les tableaux fixés sur chaque coin des murs. Les ateliers des peintres sont très vieillissants. Vêtus dans leurs tenues de travail, marqués de peinture, trois peintres travaillent ce lundi. Selon Georges Yao c’est dans un environnement de précarité et sous un toit impraticable à la moindre pluie, qu’ils travaillent.
« Très jeune, j’avais des aptitudes en dessin. A l’école, au primaire, je dessinais beaucoup. Je faisais des dessins dans mes cahiers, des graphitises sur des murs avec du charbon de bois et tout le monde disais, ‘‘tiens, tu dessines bien’’. Mais je le faisais sans savoir exactement ce que cela pouvait m’apporter. Je dirai même que c’est inné », Georges Yao. C’est cette fibre qui l’a mené à être le président de la Maison des artistes plasticiens de Grand-Bassam.
La passion
Chaque jour lui et ses confrères viennent ici imaginer et créer des œuvres emblématiques inspirées des observations socioculturelles. Objectif : tenter de séduire les visiteurs et les acheteurs. Tous ont un dénominateur commun «la passion ». Et à les entendre, on ne devient pas artiste, mais on naît artiste. Comment qualifier les peintures qui sortent d’ici ? Pour M. Yao, le figuratif par le passé étaient beaucoup suivi, mais avec le temps on assiste à un art contemporain qui est dominé par l’abstrait des formes stylisés. C’est par ailleurs ce que montrent la plupart des tableaux exposés dans le bâtiment. Et les visiteurs semblent emballés. « C’est vraiment beau », indique une Européenne dans le coin de la pièce, qui contemple une de ces œuvres. Konan Moussa un autre peintre leur donne des détails sur ce que racontent ces peintures. Oisif ce jour, il s’atèle à échanger avec les visiteurs sur la qualité des œuvres. Entre ‘‘le regard des innocents’’, la ‘‘bravoure des femmes du marché’’, l’‘‘amour et la force’’, les peintres ici s’inspirent aussi des objets de récupération (les masques, les motifs traditionnels, le cacao, la terre, etc.). Cette forme d’art s’appelle «l’art récup ». Ils en font des œuvres qui traduisent l’identité culturelle et les valeurs de la Côte d’Ivoire. D’après les peintres avec qui nous discutons, ce type d’œuvres demandent plus d’investigations et de recherches, alors ils les gardent précieusement et attend la bonne occasion pour les livrer au meilleur acheteur.
L’art ivoirien
Mais, arrivent-ils à vivre de ce métier ? Selon Yao Georges l’art ivoirien dans son ensemble, est beaucoup apprécié des visiteurs, pour sa recherche, sa profondeur et le message culturel véhiculé à travers ces tableaux. Les œuvres n’ont pas de prix fixes car toutes détiennent la même authenticité. La meilleure vente de Yao Georges est de 1.500.000 FCFA. C’était lors d’une exposition et la galerie lui a prélevé un pourcentage. C’est donc l’une de leurs difficultés. Ils ne bénéficient pas d’espace d’exposition à temps plein pour écouler leurs œuvres. C’est pendant des occasions exceptionnelles que des galeries leur offre la possibilité d’exposer et ce, de façon sélecte. Et déjà que la peinture n’est pas donnée à tout le monde, mais en plus il faut savoir se distinguer. « Dans le domaine de l’art, le talent seul ne suffit pas. Il faut beaucoup du temps pour se faire un nom, asseoir sa notoriété afin de vendre convenablement ses œuvres », souligne Yao George. Tout comme lui, la plupart des peintres vivent de cet art avec beaucoup de difficultés. «J’aurai aimé vivre encore mieux que ça» espère-t-il. Ce joyau culturel reçoit en moyenne 50 visiteurs par jour. Des Européens et même les Africains qui, autrefois, portaient moins d’intérêt aux œuvres, à cause de leurs prix.
Pourquoi ce changement ? « C’est peut-être par snobisme, parce que les gens aiment toujours ce que les autres possèdent quand ils vont chez leurs amis et qu’ils voient un beau tableau. Ils se disent mais pourquoi pas moi. C’est comme un phénomène de mode et à force de fréquenter les galeries et découvrir des choses, on finit par aimer ». Avec du temps, selon lui, l’art a réussi à s’imposer aux Africains qui sont devenus leurs potentiels clients. « Certains achètent les tableaux pour les offrir en cadeau pendant des événements, et d’autres le font pour décorer leurs appartements et leurs bureaux. C’est aujourd’hui, un métier qui intéresse autant les adultes que les élèves, qui prennent plaisir à visiter nos locaux », fait savoir le président de la Maison des artistes plasticiens de Grand-Bassam.
Etrangers
Les peintres dans leur globalité, font face à de nombreuses difficultés liées à la mévente. Les œuvres d’art ne se vendent pas comme des petits pains. Malgré l’engouement qui gagne peu à peu les Ivoiriens, ces créateurs commercialisent entre trois ou quatre œuvres par mois. Et ça, c’est lorsque ça marche beaucoup. Pourtant ce n’est pas la qualité qui manque. Dans son parcours, par exemple, Yao George a reçu plusieurs prix sur le plan national et international. Faute de moyens, Yao Georges affirme qu’il n’a pas pu explorer son talent et représenter dignement son pays à l’étranger. «J’ai été sélectionné pour participer au concours international art révolution Taipei mais je n’ai pas pu partir. C’est un concours qui demande beaucoup de moyens pour faire partir les œuvres, j’avais eu besoin du soutien de l’Etat mais je n’ai pas été assisté », regrette-t-il
Ces passionnés souhaitent que leur travail ait plus d’impacts au niveau culturel et soit suivi avec beaucoup d’intérêt, grâce à la création d’espaces d’exposition et la réhabilitation de leur cadre de travail. « L’Etat doit faire beaucoup pour l’art. Il faut accompagner ce domaine un peu comme au football, parce que l’art ne fait pas de bruit. La peinture a besoin d’une plateforme, d’une organisation soutenue et subventionnée, parce qu’il y’a des génies mais qui n’arrivent pas à extérioriser leurs talents », poursuit Yao George. La Coupe d’Afrique des nations (CAN-2023) s’annonce bientôt. Et pour ces artistes de Grand-Bassam, c’est une aubaine pour créer une vitrine artistique afin de vendre la Côte d’Ivoire et permettre aux visiteurs de garder des meilleurs souvenirs. «Ceux qui arrivent ont besoin de garder ce côté artistique et pictural et dire qu’en Côte d’Ivoire, j’ai rencontré tels ou tels choses», relève-t-il.
Solange Nebie (Stagiaire)