Ouverte en 1965, les Abidjanais n’ont jamais cru que la décharge d’Akouédo fermerait un jour. Le 4 juillet 2019, lorsque cet énorme dépotoir a pris sa retraite, (après que la fermeture soit annoncée en 2018) la vie à Akouédo n’a plus jamais été la même. Aujourd’hui, les villageois ont tourné la page et attendent les projets de transformation de la décharge avec beaucoup d’appréhension.
Akouédo-village, jeudi 26 novembre 2020. Sous un soleil de plomb, un groupe d’enfants dépenaillés joue autour d’un tas d’immondices qui brûle au bord de la route argileuse qui longe la décharge. Le feu consume des bouteilles d’eau en plastique usées, des vieux sacs, des étoffes…Pendant ce temps, les gamins dansent autour.
Devant eux, la décharge elle-même est en proie aux hautes herbes. De loin, on peut apercevoir des cabanes, à moitié happées par la broussaille. Des silhouettes suspectes errent entre les chemins tortueux qui serpentent cet espace de 112 hectares, qui a servi de décharge de 1965 à 2019. Après 54 ans d’activités, ce n’est qu’un lopin de terre. Et il était temps !
Cadavres
«C’était devenu insoutenable, souffle Roger Lawad, qui vit dans le village depuis 2002. On y trouvait de bébés morts, des cadavres d’hommes, des bouts de jambes, de bras… ». L’officialisation de la fermeture de la décharge le 4 juillet 2019, a été bien accueillie par la majorité de la population du village. 83 des 112 hectares que compte le dépotoir étaient occupés par les ordures. Leur puanteur était devenue un problème de santé publique. «On ne pouvait pas respirer de l’air pur ici. Cela avait une incidence sur notre état de santé. Surtout les enfants, qui étaient constamment grippés», poursuit Lawad.
Une haute clôture sépare l’endroit du reste du village, comme pour mieux souligner son côté néfaste. Mais aujourd’hui, ce sont ces tonnes d’immondices qui vont donner au village une forme de rédemption, un renouveau.
Ballet de camions
Ce jeudi, alors qu’il discute avec l’un des vigiles postés à l’entrée, Lawad indique du doigt des camions qui défilent. Ils vont chercher du sable de l’autre côté du village pour le transporter à la décharge. Des ingénieurs de l’entreprise prestataire Pierre Fakhoury Operator (PFO), versé dans le BTP, sont à pied d’oeuvre.
Déjà connu en Côte d’Ivoire pour la réalisation de nombreux projets comme la tour du Sofitel Hôtel Ivoire, le siège de la Banque africaine de développement (BAD) ou l’autoroute du Nord, PFO est en quelque sorte le prolongement du bras des autorités ivoiriennes, dans leur volonté de dire «merci» à Akouédo.
Le 13 octobre dernier, la ministre l’Assainissement et de la salubrité, Anne-Désirée Ouloto a procédé au lancement officiel de l’accompagnement social des populations du village. Une initiative pour améliorer les conditions de vie des populations qui, durant 53 ans, ont côtoyé la décharge, avec son corollaire de pollutions.
Terrain de football
Le projet prévoit la réhabilitation de la décharge d’Akouédo en un parc urbain. L’opérateur PFO va construire un centre de formation aux métiers de l’environnement, des terrains de football, de basket et de hand-ball. Il y aura la construction d’un centre de formation et de documentation sur l’environnement. A côté de cela, PFO va réhabiliter et équiper le centre de santé du village.
Il y aura également la construction d’un marché sur un site désigné par le village ; le bitumage de 2 km de voies dans le village ; la construction d’un lycée de jeunes de filles. Les autorités prévoient un appui à la scolarité sur les années scolaires 2020-2021 et 2021-2022.
Le coût du projet de réhabilitation de la décharge a été estimé à 96 milliards de Fcfa.
Gbassin Augustin, que nous rencontrons sur les lieux, explique que depuis la fermeture de la décharge d’Akouédo, il attendait de voir pour y croire. «La fermeture de la décharge a été annoncée depuis des années. Mais c’est en 2020 qu’elle a été effective. On n’y croyait plus. Le gouvernement est venu ici pour annoncer les projets. Quand nous voyons les camions de PFO sur le site, cela nous rassure. Mais nous attendons de voir ce qui sera construit, parce qu’on ne comprend pas encore ce que les gens font», confesse-t-il.
Biogaz
Selon PFO, la première étape du travail va consister à limiter l’infiltration des eaux sur le site. Les ordures accumulés pendant des décennies, seront remodelées, recouvertes par une couche d’argile d’un mètre d’épaisseur et par de la terre végétale. Un travail sera fait pour assurer l’étanchéité de tout ceci.
Ensuite, il faudra purifier le sol. Lors de leur stockage et avec l’eau de pluie et de la fermentation naturelle, les déchets produisent un liquide appelé lixiviat. Il faut s’en débarrasser. Pour cela, PFO annonce des puits de dégazage. Il va pomper le lixiviat.
Mais cela ne suffira pas. Il faudra aussi créer des bassins de stockage des eaux pluviales polluées par lesdits lixiviats. L’entreprise envisage la création des fossés autour de la décharge. Leur rôle sera d’éliminer le biogaz créé par les déchets. Ce n’est qu’après tout ce travail de remblayage qu’on pourra ensuite songer à construire les édifices. Des étapes délicates qui demanderont du talent, des ressources et de la patience.
Pour l’instant, le ballet des camions, le poste de contrôle de PFO à l’entrée de la décharge, ainsi que la présence des employés de la structure, donnent du crédit à l’effectivité des projets annoncés.
Dédommagement
Mais à Akouédo, la cloison entre le passé et le présent est très mince. Adé Lambert, fils du village, note qu’il s’agit d’une oeuvre herculéenne qui pourrait connaître des interruptions. «Il faut que le gouvernement écoute les villageois. Akouédo a trop souffert de cette décharge et on veut bénéficier d’un véritable dédommagement», explique-t-il ce jeudi. Ecouter les villageois ?
Le 14 octobre dernier, la jeunesse du village, par la voix de Serge Gilles Niango, a salué cette initiative du gouvernement de retaper la décharge. Après avoir dit cela, M. Niango a rappelé le dédommagement de plusieurs hectares de terres qu’Akouédo avait cédés dans le cadre de projets et pour lesquels les négociations ont été interrompues depuis 2010. Il cite notamment la parcelle villageoise de 10 hectares réservée pour le «Projet Rascom».
Après lui, le directeur de cabinet de la chefferie Tchagba du village Akouédo, Séverin Gnango, a récemment fait une sortie pour remettre cette affaire au goût du jour. Pourquoi maintenant ?
«À Akouédo, on ne plaisante pas avec les problèmes de terre. Tant que les villageois ne seront pas dédommagés, le calme au sein du village ne sera pas effectif. Et cela peut mettre à mal beaucoup de choses», explique Adé .
Conflit entre les générations
Il faut dire que la vie dans le village n’a pas toujours été de tout repos.
Le conflit entre les générations Dougbô, Gnando, Tchagba et Bléssoué pour la gestion du pouvoir n’a pris fin qu’en janvier 2019, à la suite d’une médiation du préfet d’Abidjan.
Aujourd’hui, une relative harmonie règne autour de la chefferie d’Akouedo, dirigée par le chef du village Dr Germain Agbodan.
Mais Akouédo semble s’être bâti sur du méthane. Comme le biogaz formé par un demi-siècle de fermentation de déchets ménagers. À la moindre étincelle, il faut que les autorités accourent pour éteindre le feu.
Ce jeudi, le chef du village a l’air très occupé dans son bureau. Le secrétaire général M. Sagou, nous annonce. Il a pris le soin d’expliquer le but de notre présence. Mais après plus d’une heure d’attente, ce dernier ressort de la pièce. «Le chef est débordé».
En effet, depuis la salle d’attente, on peut entendre les voix distinctes qui parlent d’arrêté de concession définitif, en acronyme, ACD. ACD… !…ACD ! Ce sont les affaires courantes. Manifestement, la question de la décharge n’est qu’un simple suivi.
Cela semble d’ailleurs le cas partout. «Depuis la cérémonie de lancement des travaux, tout est entre les mains de PFO», explique un proche collaborateur de la ministre de l’Assainissement et de la salubrité. Qui prend le soin d’ajouter que les doléances des villageois concernant le dédommagement de certains sites, n’ont rien à voir avec la décharge d’Akouédo. Certains, à l’entendre, veulent juste profiter de la situation.
Que cela soit avéré ou pas, à Akouédo, si on vous surprend en train de jeter des ordures à la décharge, comme certains villageois tentent de le faire, eh bien cela risque de se terminer devant le chef du village.
Raphaël Tanoh