En 2021, la dictée a fait son retour dans les écoles primaires ivoiriennes, après une suspension de 10 ans. Quel bilan à l’école primaire ? Alors que certains saluent un retour aux fondamentaux, d’autres se questionnent encore sur les effets concrets de cette mesure, deux ans après. Une évidence : il y a un avant et un après la suspension de la dictée au primaire…
Alors que certains saluent un retour aux fondamentaux, d’autres questionnent encore ses effets positifs concrets. Pour de nombreux acteurs de l’éducation, la suspension de la dictée a été perçue comme une décision inopportune, voire contre-productive. Le Pr Adopo Achi, enseignant à l’École Normale Supérieur ENS, ne cache pas son opposition à cette décision. « C’était une mauvaise décision, et nous l’avons toujours critiquée. Les raisons qui l’ont motivée n’étaient pas pertinentes… », affirme-t-il. Selon lui, la suppression de cet exercice crucial a engendré une régression notable chez les élèves, particulièrement en matière de vocabulaire et d’orthographe.
Abba Eban, Secrétaire général du Mouvement pour l’Union des enseignants de Côte d’Ivoire, partage aussi cette opinion. Il exprime un profond malaise face à cette suspension, estimant que cela a contribué à « détricoter le système éducatif ». Selon lui, la suppression de la dictée a marqué le début d’un déclin, où les élèves ne sont plus confrontés aux exigences qui favorisent leur développement intellectuel.
Retour aux fondamentaux
Deux ans après le rétablissement de la dictée, les avis sur ses effets sont aussi partagés. Le Pr Adopo Achi voit dans ce retour une opportunité pour les élèves de renouer avec une pratique qui « ramène à la réalité de l’orthographe et des accords ». Pour ce spécialiste de la langue française, les élèves seront dorénavant plus attentifs et feront plus d’efforts pour écrire correctement. De son côté, Michèle Koffi, journaliste et directrice de “Génies littéraires”, salue également ce retour, rappelant que « la dictée permet aux apprenants de lire, de découvrir des mots et de rehausser leur niveau en orthographe et en grammaire ». Elle souligne d’ailleurs l’importance de la lecture, une activité délaissée par bon nombre d’élèves.
Cependant, bien que le rétablissement de la dictée soit globalement accueilli favorablement, il est encore trop tôt pour observer des effets positifs palpables sur les résultats des élèves. Abba Eban évoque un temps d’adaptation nécessaire pour que les élèves retrouvent l’envie et la rigueur que cet exercice exige. « Les enfants ont perdu l’envie de se confronter à cet exercice, certes casse-tête, mais qui les oblige à faire des efforts. Tout ce qui les pousse à faire des efforts contribue à une bonne formation », explique-t-il.
Plus de pratiques et plus d’autorité du Maître
Si la réintroduction de la dictée semble être dans la bonne direction, Abba Eban insiste sur la nécessité d’aller plus loin. Pour lui, l’enjeu principal est de redonner aux enseignants, l’autorité nécessaire pour imposer une discipline rigoureuse et un cadre d’apprentissage plus strict. « Depuis 2012, je ne cesse de dire qu’il faille qu’on se concentre sur l’essentiel : donner suffisamment d’exercices aux enfants et alléger les programmes », affirme-t-il. Il poursuit, les enseignants manquent de moyens coercitifs face à des élèves dont les parents sont aujourd’hui démissionnaires. Il regrette que les réformes successives aient affaibli la structure éducative, autrefois rigoureuse sous la direction d’Houphouët-Boigny. Eban en appelle ainsi à une réforme en profondeur, basée sur des exercices quotidiens et réguliers pour renforcer les bases, en français comme en mathématiques. « Tant qu’on courra après des objectifs de réussite superficiels, comme les pourcentages, et qu’on négligera l’essentiel, on continuera à produire des élèves mal formés », déplore-t-il. Pour lui, la multiplication des exercices, comme la dictée, est essentielle pour pallier les lacunes observées dans le système actuel.
Armand BLEDOU