Enquête-express/Accidents, indiscipline, etc.: Livreurs, ces jeunes qui défient la mort

par nordsud.info
Publié: Dernière mise à jour le 520 vues

Selon des chiffres récents, le taux de livraison des produits commandés en ligne est passé de 40% à leurs débuts, à 80% aujourd’hui. 45% des produits commandés en magasin physique à Abidjan sont livrés. Ceux qui s’en occupent, ce sont les livreurs. Qui sont-ils et pourquoi font-ils ce travail à risque ? Lucarne sur une activité au fort potentiel.

Doh Jaurès a arrêté son cursus scolaire en terminale consécutivement au décès de son géniteur. A défaut de pécule pour financer la suite de son parcours sur les bancs, il a été contraint de se mettre en file indienne sur le marché de l’emploi. Et le seul secteur qui lui a ouvert les bras, c’est le service de livraisons. Agé de 21 ans, le garçon fait partie de ces nombreux jeunes qui arpentent les chaussées d’Abidjan sur leurs motos, n’hésitant pas à risquer leurs vies pour livrer un colis. Les morts liés à ce boulot à risque, il en voit fréquemment. Beaucoup de ses camarades sont décédés dans le service de livraison, fauchés sur la route par une voiture. Et ces souvenirs le hantent.

« Quand je vois mes collègues qui ont fait des accidents ou qui sont morts sur la route, ça me stresse. Je me dis qu’un jour ce sera mon tour », nous confie Doh Jaurès, lorsque nous le rencontrons dans le cadre de son travail, ce mardi. Venu livrer un colis à la Riviera Bonoumin, Jaurès doit déjà se préparer pour un autre service. Car, ce travail c’est la course contre la montre. « Ce n’est pas une passion. Je fais ça en attendant. Je suis livreur sur Yango Déli », explique-t-il.Il a appris à rouler avec la moto de son père depuis 2012. «(…) Je comprends les risques mais je n’ai pas le choix. Les chauffeurs des véhicules nous mènent la vie dure donc j’essaie d’être prudent», narre-t-il. Selon ses explications, pour la course de 1400 FCFA qu’il aura réalisée ce matin, l’entreprise lui aura prélevé 300 F sur son compte. Des facturations qu’il juge modérée. « Quand tu es travailleur et que tu fais au moins 10 courses dans la journée, tu as droit à des bonus. Généralement, je commence autour de 9h et je finis à 19h pour rentrer rapidement parce que je veux me reposer pour être en forme et éviter les voleurs de motos qui sont sur l’autoroute », ajoute le garçon.

Un job tremplin …

Pour survivre, il doit louer sa moto à des particuliers, à hauteur de 5 000 F la journée. « Je gagne 10.000 F en général par jour et quand ça marche beaucoup j’ai 23.000 F. Mais comme je n’ai pas le permis, quand les policiers m’arrêtent,  je paye 5.000  pour qu’ils me laissent partir.   Je dépense 3000 F pour le carburant toute la journée. Mais avec 10 bonnes  courses dans la journée, je m’en sors», raconte-t-il.

 Comme des centaines de livreurs, Jaurès Doh a un rêve. « C’est de devenir fonctionnaire ». Dans l’intermède, il essaie de remplir sa tirelire.  À court-terme, il envisage de passer le permis de conduire afin d’augmenter ses gains. Puis, quand il le pourra, le garçon passera le concours d’instituteur.

Des profils variés dans la livraison 

Des Doh Jaurès, on en compte par centaines à Abidjan. Selon Benjamin Angaman, président de la Fédération des professionnels de la livraison et de l’e-commerce de Côte d’Ivoire (Feprole-CI), on trouve des étudiants dans ce secteur.   « L’activité intéresse tout le monde. Il n’y a pas de profil type des livreurs en Côte d’Ivoire. Les premières raisons, c’est que ce sont des personnes qui font ce boulot  en attendant d’avoir des lendemains meilleurs. Il y a aussi ceux qui viennent par passion et qui veulent y travailler sur le long terme », nous explique le président de la Feprole-CI. Au regard d’une quote-part importante des ressources humaines qui exercent cette activité, le profil estudiantin remonte à la surface, note-t-il. « Sur les 3 à 5 dernières années, c’est devenu quasiment la première activité à temps partiel à laquelle les étudiants s’adonnent. Même s’ils n’ont pas de moto, c’est plus facile de se faire recruter par un entrepreneur. C’est plus facile que les cabines téléphoniques et les agences de transfert d’argent », ajoute Benjamin Angaman.

Entrepreneurs locaux

Pour une cible estudiantine qui tire bien souvent le diable par la queue, les gains que peuvent engranger un livreur par jour font de l’activité une poule aux œufs d’or. Sur la question, le porte-voix des livreurs relativise.  « Les revenus dépendent de la capacité du livreur. Il y a 5 ans, la moyenne de salaire mensuel était entre 60 et 80.000 FCFA. Aujourd’hui on peut proposer 100.000 FCFA en fonction de la charge de travail », souligne-t-il relativement aux livreurs employés par des entrepreneurs locaux, spécialisés sur la niche ou recrutant des livreurs pour leurs activités commerciales. Au nombre de ces derniers, Mohamed Ouattara, Directeur général de MoSpeed, une entreprise de livraison et de vente en ligne et membre de la Feprole-CI. « Mes employés qui s’inscrivent dans la durée sont déclarés à la CNPS. Nous avons résilié nos contrats avec les assurances parce qu’elles ne nous jouent pas leurs rôles en cas d’accidents des employés, de vols de marchandises ou de motos. Au lieu de payer à chaque contrôle de routine et de perdre le temps pour la livraison, nous sommes en règle. En termes de salaire, les plus anciens vont jusqu’à deux fois le SMIG et les nouveaux sont payés à la commission selon le nombre de courses réalisées. L’activité est lucrative pour un investissement mais il y a beaucoup de risques comme les accidents, les vols de motos etc… », résume le chef d’entreprise.

Les livreurs auto-entrepreneurs

Sur le profil des livreurs entrepreneurs qui travaillent à leur propre compte, la moyenne de courses réalisées se chiffre entre 20 et 25 colis par jour. La fourchette des 30 à 35 livraisons journalières est souvent atteinte pour les plus téméraires. Sur le terrain, le barème communément admis est que le tarif des courses intra-communales est fixé à 1000 FCFA et les courses extra-communales ont une grille tarifaire de 1500 F.

«  Dans la livraison, tous les jours ne sont pas pareils parce que tu peux passer des jours sans colis à livrer. Certains clients ne veulent pas payer ou refusent les produits. Ce sont des pertes de temps, de carburant, d’énergies et de ressources », indique Benjamin Angaman.

Au nombre des problèmes, figurent les voleurs qui leurs subtilisent les motos, ou qui volent les colis, les bécanes, lorsque les livreurs les stationnent pour rallier des immeubles par exemple. L’indiscipline routière tant des livreurs que des autres usagers de la route et le stress de ce travail  sont le quotidien. À cela il faut ajouter les contrôles de routine et le manque de produits d’assurance adaptés. 

Le marché de la livraison est une niche d’activité exploitée par des multinationales. Yango Déli, Glovo, Jumia, etc. Ces structures offrent aux livreurs qui travaillent sous leur coupole avec leurs propres engins, une clé de répartition des gains en contrepartie de leur apport d’affaires et de clients via leurs plateformes digitales. Les plus généreux offrent 40% pour le livreur et 60 % pour l’entreprise. La moyenne c’est entre 25 et 30%. Donc pour un livreur qui fait un chiffre d’affaires de 100.000 F, il se retrouve avec 30.000 F au maximum.

Régulation

Ayant noué le fil du dialogue avec l’Autorité de régulation des technologies de Côte d’Ivoire (Artci) qui est leur tutelle, les livreurs se constituent en force de proposition pour sortir l’activité de l’informel. « On parle de valorisation du métier. On attend que l’Artci joue son rôle de régulateur. On a proposé une charte pour savoir qui a le droit d’être livreur et comment avoir les autorisations avec les agréments. Il y a aussi les autres ministères concernés comme le Commerce, l’Intérieur, les Transports qui doivent intervenir. L’Artci doit être notre porte-voix à ces niveaux », explique le président de la Fple-CI. Carte professionnelles, documents attestant de la qualité de livreurs, profils d’assurance taillés sur mesure, renégociation des clés de répartition avec les multinationales, facilitation des tracasseries routières, etc. Le chantier pour la formalisation de l’activité de livraison est vaste.

Charles Assagba

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