Adama Touré, président de la Cngr-CI: «Permis de conduire: Comment la fraude est organisée»

par NORDSUD
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Adama Touré, transporteur

Le ministère des Transports vient de suspendre les inspecteurs des examens théoriques et pratiques du permis de conduire. Une mesure qui vise à lutter efficacement contre la corruption et la fraude dans le milieu. Dans cette interview, Adama Touré, président de la Coordination nationale des gares routières de Côte d’Ivoire (Cngr-CI), explique les malversations qui ont cours dans le secteur.

Le ministère des Transports a annoncé la suspension des inspecteurs des examens théoriques et pratiques du permis de conduire, à partir du 26 avril. Une suspension liée au nombre croissant d’accidents constatés en Côte d’Ivoire. En tant que transporteur, qu’en pensez-vous ? 

J’en dit que les permis de conduire en Côte d’Ivoire sont vendus, c’est connu. Ce sont des diplômes qui doivent être acquis après une formation rigoureuse, mais on les achète.   

Croyez-vous qu’il y ait une quelconque responsabilité des inspecteurs des examens théoriques et pratiques ?

C’est l’administration elle-même qui est en faute ici. En suspendant les inspecteurs, l’administration fait un aveu de taille. C’est elle qui vend les permis, ensuite, c’est également elle qui met en place une commission de retrait desdits permis lorsqu’elle constate une recrudescence des accidents de la circulation. Ça n’a pas de sens.

La fraude dans la délivrance du permis de conduire en Côte d’Ivoire existe-t-elle depuis longtemps ?

Depuis toujours. À partir du moment où on dit aux gens qu’ils peuvent avoir le permis en un mois, ce qui est impossible. On ne peut pas apprendre à conduire et assimiler le code de la route en un mois. Les gens donnent des dessous de table pour pouvoir avoir leur permis de conduire. Je l’affirme, je le confirme. Je le sais, parce que j’ai fait passer le permis de conduire à plusieurs personnes, ici, à la gare. Quand ils reviennent de l’auto-école, la plupart ne peuvent même pas lire un panneau stop. Le problème est plus grave qu’on ne le croit.

À quelle étape les inspecteurs des examens théoriques et pratiques interviennent-ils dans le processus ?

À toutes les étapes. Dès que vous allez vers une auto-école, on vous prend de l’argent et on vous conduit au centre de gestion intégrée du Quipux. Là-bas, on vous fait vos mensurations, on prend votre groupe sanguin, votre photo, etc. Rien que des informations vous concernant. Lorsque vous finissez cette étape, vous êtes sensé faire des cours à l’auto-école pour le code de la route. C’est à partir de là que les problèmes commencent. Vous pouvez leur donner de l’argent sans assister à un seul cours. Ils mettent leurs cachets sur votre document, en faisant croire que vous avez passé le code de la route avec succès. Vous allez chez l’inspecteur des examens théoriques et pratiques du permis de conduire, qui vous fait passer le concours de code. Quand vous le rencontrez, il sait que vous n’avez pas passé le code de route à l’auto-école, alors, il vous demande de l’argent pour vous donner l’aptitude, alors qu’il sait que vous ne connaissez aucun panneau de signalisation. Après, vous avez deux semaines pendant lesquelles vous retournez encore à l’auto-école pour apprendre à conduire. Mais la plupart des auto-écoles n’ont pas de voitures. L’école met son cachet à nouveau sur votre document, en laissant croire que vous savez conduire. Vous allez voir une nouvelle fois l’inspecteur qui valide votre code de la conduire, après que vous lui avez payé des dessous de table. Donc, l’inspecteur intervient en amont et en aval du processus.

En tant que transporteur, vous saviez donc que l’une des causes de l’augmentation du nombre d’accidents de la circulation en Côte d’Ivoire est la fraude dans la délivrance des permis de conduire

Oui, tout le monde le sait. On voit des gamins de 16 ans qui conduisent des gros camions, sans aucune notion du code de la route. La conduite, c’est aussi une éducation. Si vous n’avez pas cette éducation, vous êtes un danger ambulant.

Le ministère des Transports a choisi les gendarmes pour remplacer les inspecteurs, en attendant d’assainir le système. Est-ce la solution ?

Les ‘‘corps habillés’’ ne sont pas des modèles en Côte d’Ivoire.

Que proposez-vous comme solution, vous, les acteurs du transport ?

Il faut faire un diagnostic sérieux. Pendant le baccalauréat, le Bepc, on arrive à sécuriser les examens. pourquoi pour un document qui peut tuer des milliers de personnes, on n’est pas capables de le faire ? Les gens ont peur d’en parler, pourtant il faut le faire pour sauver des vies. La plupart des conducteurs dans notre milieu sont des analphabètes. Vous les voyez en train d’assimiler le code de la route en une semaine ? Il faut simplement que les gens puissent faire des formations adéquates. On ne peut pas avoir son permis de conduire en un mois. Les moniteurs d’auto-école sont formés par l’Office de sécurité routière (Oser) qui est une structure du ministère des Transports. L’Oser sait quels genres d’auto-écoles les Ivoiriens ont en Côte d’Ivoire. C’est le ministère qui forme les responsables des auto-écoles, c’est le ministère qui les recycle, c’est le ministère qui a en charge les inspecteurs des examens théorique et pratique. À lui de mettre de l’ordre.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh

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