Alassane Ouattara a reçu le JDD dans sa luxueuse résidence d’Abidjan. Le président de Côte d’Ivoire, qui brigue à 78 ans un nouveau mandat, justifie ce choix contesté. Et étrille ses deux principaux adversaires, Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan, qui appellent au boycott du scrutin.
À six jours de l’élection, le blocage avec l’opposition semble total. Êtes-vous prêt à des concessions pour apaiser la situation ?
Nous avons déjà fait ce que nous devions faire. La semaine dernière, la mission de la Cédéao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] nous a dit que si nous acceptions de donner un poste de vice-président au PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire], le plus grand parti de l’opposition, au sein de la commission électorale indépendante, mes opposants reviendraient dans le jeu.
Ils ont repoussé cette proposition. Ne faut-il pas aller plus loin?
Non, car ma conviction est qu’ils ne veulent pas aller aux élections. Ils misent sur une situation extraordinaire, un coup de force.
C’est-à-dire ?
Un coup d’État, une insurrection populaire! Ils tablent sur cela depuis le début.
Allez-vous rencontrer Henri Konan Bédié, votre principal adversaire, comme annoncé ?
La ministre des Affaires étrangères du Ghana m’a informé que le président Bédié souhaitait me rencontrer le plus tôt possible et dans un endroit neutre. J’ai dit que j’y étais disposé, mais lui apparemment ne l’est plus.
Selon lui, ses adversaires « savent qu’ils ne peuvent pas [le] battre »
Le pays connaît une recrudescence des violences politico-ethniques. Ne vont-elles pas s’accentuer à l’approche du vote ?
Je ne pense pas. Le pic de cette violence a été atteint lundi quand la mission de la Cédéao était là. L’opposition a fait ça pour l’impressionner mais depuis cela a baissé en intensité. Et encore : lors de ce pic, il n’y a eu que 23 sous-préfectures touchées sur 500.
Des affrontements à Dabou, en milieu de semaine, ont encore fait une dizaine de morts…
J’ai demandé une enquête sur ces événements. Apparemment, des personnes extérieures à la ville, des miliciens, ont été mobilisées par Guillaume Soro pour créer du désordre et montrer que la Côte d’Ivoire était à feu et à sang. Nous avons envoyé la gendarmerie et une section de l’armée pour nettoyer la zone.
Comment garantirez-vous la bonne tenue du scrutin alors que l’opposition prévoit de l’empêcher en détruisant les cartes d’électeurs ou en bloquant les bureaux de vote ?
Nous avons réduit le nombre de bureaux de 22.000 à 10.000. Les forces de l’ordre seront chargées de les surveiller. Après, ces actions sont-elles raisonnables? Qu’ils ne veuillent pas aller aux élections, soit. Mais pourquoi les empêcher, détruire des urnes? La vérité est que mes adversaires savent que, face à mon bilan, ils ne peuvent pas me battre.
Les rivalités dans le pays « ne peuvent pas être effacées en dix ans »
Si vous l’emportez, ne serez-vous pas un président mal élu ?
En 2015, j’ai gagné avec 83% des voix et une participation de 52%. Si je suis élu cette fois avec un score et une participation moindres, cela ne me pose pas de problème.
Faire campagne seul ou presque n’est-il pas un problème ?
Je suis désolé mais ce sont mes adversaires qui l’ont voulu ainsi. Si des gens décident de ne pas aller aux élections, que voulez-vous que j’y fasse?
C’est pour dénoncer votre possible troisième mandat, qu’ils jugent anticonstitutionnel…
La Constitution remonte à 2016! Elle n’a pas été faite pour que je me présente. S’ils voulaient appliquer l’ancienne constitution, alors ni Bédié, ni moi, ni Laurent Gbagbo n’aurions pu être candidat, car nous avons dépassé la limite d’âge de 75 ans.
La réapparition de discours à caractère ethnique ne signe-t-elle pas l’échec de votre politique de réconciliation?
C’est l’opposition qui a remis en cause cette réconciliation. Avant cette crise, tout allait bien. Et il ne faut pas exagérer : en ville, les gens ne sont pas prêts à s’attaquer les uns aux autres. Ce sont les discours politiciens qui instrumentalisent ces questions. Il faut condamner ces discours, ce qu’ont d’ailleurs fait la Cédéao et l’ONU. Quant aux rivalités dans le pays, elles ne peuvent pas être effacées en dix ans. Regardez la haine entre la France et l’Allemagne, il a fallu quarante ans pour la régler!
Ouattara tend la main à Gbagbo, pas à Soro
Le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire n’est-il pas une condition de la réconciliation? Pourquoi ne pas lui délivrer le passeport qu’il demande ?
Il va avoir son passeport. La vraie raison pour laquelle il ne peut pas revenir est qu’il y a une décision d’appel en cours à La Haye. Quand cela sera terminé, je le ferai rentrer. Après, ses partisans font comme s’il était totalement innocenté. Mais les victimes qui considèrent qu’ils ont tout perdu à cause de lui, qu’est-ce que j’en fais? Si je ne prends pas une décision exceptionnelle le concernant, il se retrouvera en prison. Mais dans le cadre de la réconciliation, j’envisage d’annuler tout cela.
Et Guillaume Soro ?
Ah non, lui, il va aller en prison! Les faits qui lui sont reprochés sont très graves : il y a d’abord la mutinerie de 2017, où il avait entreposé des armes chez son directeur du protocole. Ensuite, on a découvert des tas d’armes, RPG, Kalachnikovs, dans ses bureaux. Il ne peut pas échapper à la justice.
Est-il l’une de vos plus grandes déceptions ?
Ce garçon a été courageux, je l’ai toujours dit. Il a pris fait et cause pour une rébellion dont il a pris la tête. Mais son ascension fulgurante lui a monté à la tête. Il a pété les plombs, si vous me permettez l’expression.
Guillaume Soro a pété les plombs. Son souhait « est de partir le plus tôt possible »
Si vous êtes élu, irez-vous au bout de votre mandat?
Je ne peux pas vous le dire aujourd’hui. Je ne souhaitais pas être candidat. J’ai été malheureux avec la mort de mon dauphin, Amadou Gon Coulibaly. Je suis sûr qu’il aurait été élu. J’en avais terminé avec ma mission : l’économie marche bien, la sécurité est rétablie, j’ai réglé le problème du Franc CFA avec le président Macron… Je n’avais aucune raison de continuer. Je l’ai fait par devoir patriotique. Si je n’avais pas été candidat, le RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, son parti] explosait et Henri Konan Bédié aurait été élu. Lui et son discours sur l’ivoirité. Ça aurait été un retour en arrière que je ne pouvais accepter.
Pourriez-vous alors écourter votre mandat ?
Je ne l’exclus pas.
Antoine Malo
Source : Journal du dimanche (France) – Le 24 octobre 2020