Côte d’Ivoire: Que vaut le personnel de santé ?

par NORDSUD
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Accusé de poser de mauvais diagnostic, de nourrir un désintérêt notoire vis-à-vis de leurs patients, le personnel de santé a très souvent été tenu pour responsable des maux du système de santé en Côte d’Ivoire. Est-ce la réalité ou s’agit-il d’un mauvais diagnostic ?  

Des hommes d’affaires, aux politiciens, en passant par les responsables d’institutions, les personnalités ivoiriennes préfèrent de loin aller se soigner ailleurs, plutôt qu’en Côte d’Ivoire. Si certains pointent de l’index la qualité du plateau technique, d’autres estiment plutôt que c’est parce qu’ils n’ont pas confiance en leur personnel de santé.

On le sait, l’état des infrastructures sanitaires dans le pays laisse à désirer. Malgré les investissements colossaux, ces dernières années, le gap à combler reste encore abyssal. Selon des chiffres officiels, les crédits affectés à la santé en Côte d’Ivoire évolueront de 366,2 milliards Fcfa à 396,6 milliards Fcfa de 2021 à 2023. 58% de ce budget pour le fonctionnement et 42% pour les investissements.

Après cet effort financier, le personnel de santé serait-il alors le problème supplémentaire?

En Côte d’Ivoire, seuls l’Institut national de formation des agents de la santé (Infas) et les facultés de médecine des universités publiques sont habilités à «fabriquer» du personnel soignant. Les infirmiers, sages-femmes, par exemple, sortent de l’Infas, tandis que les médecins sont issus de la fac de médecine. Il existe, certes, des structures clandestines, mais leur formation n’est pas reconnue par l’Etat. Et le personnel qui en résulte ne peut que travailler dans une clinique.

Qui sont les étudiants formés ?

Qui sont ces étudiants qui sortent de nos écoles de formation ? Ont-ils le bagage nécessaire pour soigner? À l’Infas, il faut trois ans pour achever son cursus.  S’en suit une année durant laquelle l’étudiant reste en attente de son affectation. «Tous ceux qui sortent de l’Infas, aujourd’hui, sont prêts à servir dans tous les services», explique le délégué des étudiants de l’Infas d’Abidjan, Billy Graham. 

Avec le changement de système, les étudiants de l’Institut ne prennent plus notes. Ils sont dotés de fascicules avant chaque cours, pour faciliter la compréhension. «Il y a aussi le E-Learning, qui vient en appui de la formation théorique. Ensuite, nous avons la formation pratique. Ce sont les trois étapes que nous suivons», souligne Billy Graham. Une fois la formation achevée, ils déposent leurs dossiers pour intégrer la fonction publique à travers un concours qui n’est qu’une formalité.

Au niveau de la faculté de médecine, la formation dure 7 ans. C’est un cursus top chrono. «Dès le début de l’année, vous avez le programme académique à votre disposition, les dates de composition. Et c’est respecté à la lettre», assure Dr Emmanuel Kiroua, délégué général de médecine à l’université de Cocody.

La faculté de médecine

«Il n’ y a pas de grève en MédecinePharmacie et Odontostomatologie. Les sciences de la santé travaillent», assure-t-il, pour montrer toute la rigueur dont il est question. Dès la 3ème année, dit-il, les stages débutent pour les étudiants, jusqu’en 6ème année. «Après la formation, on dépose les dossiers pour être recruté», souligne Dr Kiroua.

Le matériel de formation ? Il y a 5 ans en arrière, les étudiants du campus de Cocody marchaient, pancartes à la main, parce que les laboratoires en médecine n’étaient pas équipés.  Plusieurs d’entre eux étaient bloqués en année de thèse, faute de matériel. Le diagnostic aujourd’hui ?

«Il y a du mieux, mais nous avons toujours besoin de matériel de travail», signale Emmanuel Kiroua. C’est un besoin permanent, selon l’étudiant, que les responsables de l’université doivent garder à l’œil. La situation actuelle des laboratoires, dit-il, n’affecte pas la qualité de la formation.

Là où il y a un besoin urgent, selon le délégué des étudiants en médecine, c’est au niveau des stages. La difficulté pour certains étudiants pour rallier le Centre hospitalier universitaire (CHU) ou bien l’hôpital général dans lequel ils font leur stage, rend cette étape difficile.

«Il faut faciliter le déplacement. L’étudiant doit quitter son domicile pour le lieu de stage, ensuite regagner les cours à l’université avant de retourner à la maison. C’est une étape difficile dans la formation», note Dr Kiroua. La solution, pour lui, c’est de donner la priorité aux étudiants en médecine pendant l’attribution des chambres dans les résidences universitaires.

3000 étudiants à l’Infas

à l’Infas, le diagnostic est similaire. «La qualité des enseignements, la pédagogie et le matériel nous permettent d’avoir une bonne formation. Nous n’avons pas à nous plaindre de cela. Mais le nombre d’étudiants formés ici est insuffisant. Il faut augmenter la capacité des infrastructures, pour permettre aux étudiants d’être dans des cadres adéquats. Il faut de nouveaux amphithéâtres, de nouvelles salles», préconise-t-il. L’Infas forme 3 000 étudiants chaque année, dont 1000 pour la seule école d’Abidjan. «C’est très insuffisant parce que, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous sommes à un ratio d’un infirmier pour 1000 personnes», ajoute le délégué des étudiants de l’Infas. Le ratio pour les médecins est encore plus bas. 1 seul pour 10.000 habitants. Justement, selon les normes de l’OMS, il faut pour les pays en développement 1 médecin pour 2000 habitants ou à défaut un médecin pour 4000 habitants.

Les enseignants qui sont au cœur de la formation, sont plutôt caressés dans le sens du poil. Que ce soit à l’Infas, ou sur le campus, l’enseignement n’est  pas mis en cause. Pas encore. «Ici, la plupart des enseignants ont suivi une formation en France.

De plus, tout comme préconisé par le Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (Cames), nous nous assurons que la formation continue soit faite au niveau des enseignants», indique Philippe Kambou, enseignant à la faculté de médecine de l’université de Cocody.

S’il y a quelque chose à améliorer, selon les acteurs, c’est d’essayer de relever la qualité de la formation aux normes européennes. « C’est de perfectionner la formation, avec plus de matériel de pointe», note Emmanuel Kiroua. Mais, ce serait peine perdue, disent-ils. Du moins, tant que le vrai problème des hôpitaux en Côte d’Ivoire n’est pas réglé : la mauvais qualité ou l’insuffisance du plateau technique.

Le plateau technique

 «Il y a des personnels de santé qui jouent les brebis galeuses, on le reconnaît, mais ce n’est pas la formation qui pose problème. Si les gens vont se faire soigner ailleurs plutôt qu’en Côte d’Ivoire, c’est à cause du plateau technique défaillant», fait savoir Philippe Kambou. Une position partagée par Boko Kouao, le porte-parole de la Coordination des syndicats du secteur santé (Coordisanté) et Dr Guillaume Akpess, secrétaire général du Syndicat national des cadres supérieurs de la santé (Synacass-CI).

Philippe Kambou va plus loin : «Au CHU de Cocody, par exemple, comment comprendre qu’on ne puisse pas faire une IRM (imagerie par résonnance magnétique) ? Il y a des hommes compétents, mais il n’y a pas de matériel. Si quelqu’un vient pour une IRM, vous êtes obligé de l’orienter ailleurs». Pour faire un simple scanner, poursuit-il, les patients sont contraints de prendre un rendez-vous d’un mois. «Le malade peut mourir, entre-temps. Un scanner coûte combien pour un pays ? Ce sont autant de raisons qui poussent les gens à aller ailleurs pour se soigner», termine l’enseignant en médecine.

Un diagnostic reconnu par les associations de consommateurs. «Le plateau technique reste le premier problème à corriger. Mais, nous dénonçons aussi le comportement de certains travailleurs dans les hôpitaux. Nous pensons qu’il faut également agir sur les mentalités», conseille Soumahoro Ben N’Faly, président de la Fédération nationale des organisations des consommateurs de Côte d’Ivoire (Fenoc-CI). Introduire un programme civique et moral dans la formation du personnel de santé ? Cela reste à voir.

Au niveau de l’Etat, pour l’instant, on semble avoir fait le bon diagnostic. Depuis sa réélection lors de la présidentielle du 31 octobre 2020, le chef de l’Etat Alassane Ouattara annonce que pour cette mandature, l’accent sera mis sur l’amélioration du plateau technique entamée en 2017. Après cela, il restera à espérer que la confiance entre population et personnel soignant se rétablisse définitivement.

Raphaël Tanoh

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