Ekoun Kouassi, SG du Synesci: «Etats généraux de l’école: ce qu’il faut craindre»

par NORDSUD
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Ekoun Kouassi, le secrétaire général du Syndicat national des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (Synesci), revient sur l’annonce de la ministre de l’Education nationale et de l’alphabétisation de tenir les états généraux de son département.

La nouvelle ministre de l’Education nationale et de l’alphabétisation annonce les états généraux de l’éducation nationale. Comment avez-vous accueilli cela ?

Nous saluons d’abord, la ministre Mariatou Koné et lui souhaitons ‘‘Akwaba’’. Nous ne pouvons que prier pour qu’elle puisse réussir sa mission, afin que les Ivoiriens aient une école de qualité. Elle n’est pas nouvelle, ce n’est pas son premier gouvernement. Elle connaît donc nos réalités. Ces états généraux de l’éducation nationale sont ses premiers mots. La ministre reconnaît que notre système éducatif va mal. Elle reconnaît qu’il y a du travail à faire. Les résultats du Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la Confemen (Pasec) de 2019 l’ont déjà prouvé.

Est-ce opportun ?

Je pense que parler des états généraux aujourd’hui est opportun. C’est une bonne chose. Mais nous ne voulons pas que ce soit des simples mots. Après l’avoir dit, il faut y aller. Et, surtout, il ne faudra pas que les résolutions de ces travaux restent dans les tiroirs.

C’est bien la première fois que des états généraux de l’éducation nationale seront tenus en Côte d’Ivoire ?

Sous l’aire Kandia Camara, ce terme n’a pas été utilisé, mais il y a eu des travaux dans ce sens. Malheureusement, les résolutions sont restées dans les tiroirs, surtout les revendications à caractère financier. Mais, pour ma petite expérience, c’est la première fois que de telles assises seront tenues en Côte d’Ivoire.

Qui sont ceux qui peuvent prendre part à de tels travaux ?

Il faut réunir tous les partenaires de l’école à cette rencontre. Parce que le système éducatif va mal et le problème se trouve à tous les niveaux. Depuis l’apprenant, jusqu’aux parents d’élèves, en passant par l’enseignant. Toutes les entités doivent être représentées à ces travaux. L’administration, les parents d’élèves, la société civile et même les sociologues.

Peut-on réellement faire un bon diagnostic des maux de l’école pendant des états généraux ?

Oui,  à condition d’y aller avec les experts et tous les acteurs. Ensuite, il faudra aller à ces assises, en mettant de coté le volet politique. Parfois, pendant les rencontres, on n’aboutit à rien, parce que les acteurs qu’on appelle se retiennent à cause des intérêts politiques en jeu. Je souhaite que le politique ne vienne pas peser lors de ces états généraux. Il faudrait qu’on y aillent pour dire ce qu’il ne va pas. Si nous venons à ces travaux pour faire semblant, ce sera un échec de plus. Il faut en ressortir avec une nouvelle réforme, en abandonnant l’ancienne. La situation sur le terrain est parlant. En 6ème, les élèves ne savent pas écrire. Selon le rapport du Pasec, 66,9% des élèves au CP2 ne savent ni lire ni écrire. Ils arrivent au CM avec des lacunes. C’est grave.  

Ne craignez-vous pas que lors de ces états généraux, les revendications d’ordre corporatiste des enseignants viennent bloquer les travaux ?

Je pense que tout doit être mis sur la table pendant ces assises. Et avec franchise. Il faut pouvoir donner des éléments de réponses aux acteurs. Il faut pouvoir parler en toute franchise. Nous ferons des propositions. Ce sera au gouvernement d’y apporter des réponses. Si on veut qu’une telle rencontre aboutisse, il faudra prendre en compte les préoccupations de tout le monde. Il faudra aller en profondeur des problèmes, se demander pourquoi les crises se répètent. Il apparaît clair que le nœud du système, restera toujours les enseignants.

Il y a eu des travaux similaires à Grand-Bassam, en 2019. Que sont devenues les résolutions ?

Effectivement, du 10 au 20 avril 2019, nous avons tenu ce qu’on peut qualifier de mini-états généraux, à Grand-Bassam. Mais c’était uniquement avec les enseignants. Après les travaux, il est vrai que les préoccupations à caractère financier n’ont pas bougé. Les autres revendications ont eu des suites. Nous avions demandé le recrutement des encadreurs. Selon le rapport du Pasec, 59,6% des enseignants en Côte d’Ivoire n’ont reçu aucune formation continue. Les gens ne sont pas encadrés sur le terrain. L’Etat a commencé à recruter les encadreurs. Nous avions aussi demandé à Grand-Bassam que tous les tableaux noirs soient remplacés par des tableaux blancs, avec des marqueurs. On nous avait demandé de budgétiser le coût pour que ce soit pris en compte au niveau des Coges. Nous l’avons fait, et il y a un début d’exécution. Il faut savoir que selon des études, la poudre de craie est nocive pour l’organisme et cause des problèmes respiratoires aux enseignants.

En clair, êtes-vous satisfaits des résolutions du séminaire de Grand-Bassam ?

Non.

Vous ne craignez pas que les états généraux de l’éducation nationale se terminent ainsi, vu que vous allez ramener vos revendications à caractère financier ?

Un enseignant doit pouvoir bien se loger. Tout commence à la maison et finit à la maison. Le président Félix Houphouët-Boigny le savait, c’est pour cela qu’il a mis l’accent sur le logement des enseignants. Je tiens à dire que ce n’est pas parce que nous aurons des revendications à caractère financier que cela constituera un blocage. Il y a eu plusieurs approches pédagogiques qui nous ont été imposées sans nous consulter. Mais les enseignants ont toujours travaillé. Nous allons travailler, mais en revendiquant. A ces états généraux, nous serons d’accord pour nous entendre sur le montant de l’indemnité de logement, nous serons prêts à ce que l’Etat nous propose un calendrier de payement.  

Les programmes pédagogiques seront un problème central pendant ces états généraux

Oui. J’estime que nous avons des inspecteurs généraux capables de nous sortir des programmes pédagogiques, mais au lieu de cela, nous calquons sur l’étranger. Au début, on nous a parlé de la pédagogie par objectifs (PPO), ensuite ça a été la formation par compétences (FPC), puis l’approche par compétences (APC).  Il y a même un nouveau programme qui est en expérimentation à Soubré et Divo. Le programme d’enseignement ciblé (PEC), ça vient de l’Inde.  Les approches pédagogiques doivent être en phase avec nos réalités.

Croyez-vous que des maux tels que la violence peuvent trouver des solutions pendant des états généraux ?

Bien sûr. Il faut que la nouvelle équipe instaure la dignité des enseignants. Aujourd’hui, les enseignants sont battus à l’école, et on donne seulement trois jours de congé à l’élève. Avant, les élèves avaient peur de leurs enseignants, parce qu’ils étaient sacrés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce sont des questions cruciales qui doivent être abordées. Sans oublier le problème des congés anticipés. C’est pour cela que nous disons que la ministre doit aller à ces états généraux, avec courage.

Le Synesci est-il un syndicat incontournable aujourd’hui au sein des enseignants ?

Le Synesci reste cette puissante machine à la disposition des enseignants de Côte d’Ivoire, qui existe depuis les années 70. Mais nous avons nos méthodes, et ces méthodes donnent à la fin des résultats. Nous demandons que l’indemnité de logement des enseignants soit revalorisée à 120 000 FCFA. Nous voulons une revalorisation salariale ; nous demandons également une revalorisation des indemnités des examens. Car, pour l’enseignant, c’est un réel danger que de participer aux examens. Quand l’élève est bien surveillé pendant cette épreuve, l’enseignant est attendu à la fin pour être bastonné. A l’oral, l’élève sait quel prof lui a donné une mauvaise note. Après les résultats, il cherche à lui faire du mal. Nous sommes en danger.

Que devient le projet de 60 000 logements des enseignants ?

C’est un projet que nous avons salué. Malheureusement, aujourd’hui, nous constatons que le prix des logements proposés est trop élevé pour la bourse d’un enseignant.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh

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