Défendre les victimes de violences basées sur le genre (VBG) et de viols ; sensibiliser la gent féminine sur les mécanismes juridiques qu’elles ont à leur portée pour assurer leur défense : tel est le cheval de bataille de l’organisation non-gouvernementale la Ligue ivoirienne des droits des femmes. Dans cette interview, sa secrétaire générale, Désirée Gnonsian Dénéo, donne des détails sur leur combat contre les viols.
Quelles sont les missions de votre ONG ?
Les missions de la ligue sont plurielles. D’abord, nous sommes une association féministe agissant pour la promotion des droits de la femme en Côte d’Ivoire, et plus précisément contre les violences faites aux femmes. Ce sont les violences psychologiques. Notamment le harcèlement, les violences sexuelles, les viols, la pédo-criminalité, l’inceste, le viol conjugal et les violences conjugales. A côté de cela, nous sommes engagés dans la promotion des femmes politiques.
Certains cas de violences basées sur le genre ainsi que des cas de viol dont vous avez été saisis ont récemment défrayé la chronique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
On a eu l’affaire du violeur en série qui a défrayé la chronique. Mais actuellement, le cas majeur est celui d’une petite fille qu’on a sortie d’un mariage forcé et qu’on a mise à l’abri. Les cas de viols sont les plus récurrents. On a également plusieurs cas de viols collectifs qu’on ne rend pas publics en raison du choix de la victime. Elle décide de rendre son cas public ou pas.
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Les violeurs en série sont-ils légion en Côte d’ivoire, d’après votre expérience de terrain ?
Les violeurs en série, il y en a plein. L’année dernière, on a eu un pédocriminel en série. On a pu le faire mettre derrière les barreaux grâce aux vidéos de ses ébats avec des enfants. Etant donné que ces cas ne sont pas très médiatisés, on croit qu’il n’y en a pas ici ou que ce sont des cas isolés. Mais il y en a à profusion.
Existe-t-il un profil type de femmes violées ?
Il n’y a pas de profil type de femmes sujettes au viol. Toutes les femmes, qu’elles soient issues d’un milieu aisé ou défavorisé peuvent subir un viol. On viole même des enfants. En fait, j’insiste sur la définition du viol. C’est l’absence de consentement dans l’acte sexuel. Une femme au foyer peut être victime de viol. Dès lors que la femme dit non et que le monsieur insiste, c’est du viol. C’est cela le viol conjugal.
Qu’en est-il du profil des violeurs ?
Le profil type de violeur varie. Ça peut aller du cadre d’entreprise, au jeune étudiant, ou même à l’élève. Ça peut même être un homme religieux. Il n’y a pas de profil type des violeurs, en fait. Tout le monde peut être un violeur, tout le monde peut être victime de viol.
Quelle est la moyenne d’âge des femmes victimes de viols en Côte d’Ivoire ?
La moyenne d’âge des filles victimes de viols en Côte d’ivoire oscille entre 2 et 70 ans. Du moins, chez nous à la Ligue. Nous avons eu le cas d’une mamie qui a été violée.
Avez-vous des chiffres précis ?
En Côte d’ivoire, on n’a pas de statistiques. Nous nous y attellerons très prochainement. Mais sachez que les femmes sont violées à tous les âges.
Quel est le niveau d’implication des parents dans ces viols ?
Généralement, les parents ont tendance à régler les cas de viol sous le prisme de l’honneur, de l’image de la famille qui est bafouée. Pour une femme qui est victime de viol, son premier reflexe n’est pas de faire emprisonner son violeur mais de penser à elle-même. Elle veut entrer dans une salle de bain et prendre sa douche parce qu’on a l’impression d’être sale, après un viol. Et cette sensation, elle reste longtemps lorsqu’un travail n’est pas fait.
Quid de l’inceste ?
Ce sujet est tabou. Mais il existe bel et bien. On a recensé plusieurs cas d’inceste, le plus retentissant étant celui de Bingerville. Où un homme a été accusé d’avoir violé la fille de sa conjointe.
La présidente de la Ligue, par exemple, a été victime d’inceste dans son enfance. Généralement, on règle ça par des sacrifices, on ne veut pas que ça sorte de la famille, mais c’est une question prégnante dans notre société. C’est ce que nous essayons de déconstruire à la Ligue.
Comment collaborez-vous avec la police et le parquet ?
Les rapports avec la police sont ambivalents. La police est sensibilisée à la cause pour laquelle nous luttons, mais ça reste une question secondaire, voire tertiaire quand on part au commissariat pour porter plainte. Un cas de vol ou d’agression est traité par exemple avec plus de célérité qu’un cas de violence faites aux femmes. Le processus pour porter plainte est complexe. Il y a eu des cas de répression sur des victimes de violences dans des commissariats. On a tout de même de bons rapports mais il y a beaucoup à faire. Il faut sensibiliser notre police à la question des violences faites aux femmes, faire un gros travail psychologique avec eux. C’est vrai qu’il y a des formations avec le Pnud, qui est par ailleurs installé dans plusieurs commissariats. Mieux, il y a de bonnes initiatives à l’instar des ‘‘bureaux genres’’. C’est de bon augure parce qu’on peut également travailler avec certains policiers spécialisés sur la question des VBG.
Le procureur, c’est notre meilleur allié dans la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est lui qui est du coté de la victime lors d’un procès. Il plaide et réquisitionne la plainte. C’est vrai qu’il y a eu des cas où il y a eu un mauvais traitement de la part de la justice. Est-ce pour autant qu’on doit dire que la justice ne fait pas correctement son travail ? Je ne le pense pas. Mais il faut sensibiliser l’appareil judiciaire à la question des viols et des autres violences faites aux femmes.
Que pensez-vous de la législation ivoirienne pour lutter contre les cas de viols et des violences faites aux femmes ?
On a une très bonne législation depuis août 2019, avec la définition du viol dans le code pénal. Elle est sévère. Celui qui se rend coupable d’acte de viol peut écoper jusqu’à 20 ans de prison. On a de très bonnes lois en Côte d’Ivoire mais c’est l’application qui pose problème. On rencontre des personnes qui disent avoir été victimes de viol, il y a peut-être 2 ans de cela et qui croient qu’elles ne peuvent plus porter plainte. Alors que la loi autorise à porter plainte 10 ans après le viol. Aujourd’hui, la loi nous permet de porter plainte quand on est victime de viol même sans le certificat médical. Ce n’était pas possible avant 2016. Outre ces avancées majeures, beaucoup reste à faire. Je vais m’appesantir sur la prise en charge des victimes, par exemple. Il n’y a pas de centre d’accueil pour femmes adultes. Les seuls centres existants ont une capacité d’accueil de 7 places et qui ne peuvent accueillir les victimes que pendant 3 jours. Un délai bien trop court pour une femme victime de viol qu’on veut aider à se reconstruire.
Une interview réalisée par Charles Assagba
