Football ivoirien: Qui, pour essuyer les larmes des joueurs ?

par NORDSUD
Publié: Dernière mise à jour le 219 vues

Aux antipodes des championnats européens ; classés derrière plusieurs grands championnats africains, la ligue 1 et la ligue 2 ivoiriennes se cherchent. Malgré la diffusion des matchs sur la chaîne câblée Canal+ et la subvention de l’Etat, les joueurs tirent le diable par la queue.

Des clubs comme le Rio Sport d’Anyama, l’Asec Mimosa, l’Africa Sport, ont donné au monde des joueurs de classe internationale, à l’instar de Didier Zokora, de Baky Koné, de Jean Michel Seri, de Bonaventure Kalou, etc. Et les clubs ivoiriens continueront de produire des footballeurs de talent. Mais derrière ce beau rideau, les artistes de la ligue 1 et de la ligue 2 vivent une véritable misère. Avant l’intervention du président de la ligue professionnelle de la Fédération ivoirienne de football (FIF), Salif Bictogo, le 24 août dernier, beaucoup d’Ivoiriens ignoraient le très bas salaire de ces joueurs, qui patauge en-dessous des 160 000 FCFA.

Mais, le tableau est encore plus sombre, selon Stephan Geulia. Ex-capitaine de FC Moossou, Geulia a aidé le club à remonter en ligue 1. Avant, le footballeur a trainé sa bosse à l’ASC Ouaragahio, à l’ASI d’Abengourou. Sans club aujourd’hui, il a mis en place une plateforme de footballeurs dénommée ‘‘AS-CI’’, pour dénoncer leur situation. La récente proposition de la FIF de payer les joueurs à 160.000 FCFA est, dit-il, encore très insuffisante pour permettre à un joueur digne de ce nom de vivre.

Le soutien de leur club

«Pour habiter dans un bon studio à Abidjan, il faut au moins 90.000 FCFA. Nous payons le transport pour aller jouer. Beaucoup de footballeurs ivoiriens dans nos championnats sont l’espoir de leurs familles. Mais avec ces salaires, on ne peut pas s’en sortir. C’est une vraie misère que nous vivons, parce qu’un joueur ne peut rien faire d’autre. Il consacre entièrement son temps au sport», explique ce jeudi 26 août, Stephan Gbeulia.

Très peu de footballeurs comme-lui, ont le courage de mettre les pieds dans le plat, de peur de perdre le soutien de leur club. Les 160.000 F proposés par la FIF, à l’entendre, étaient déjà payés par certains clubs. Le seul problème, pour lui, c’est que beaucoup payaient très en-dessous. Des salaires de 60.000 FCFA dans des clubs, d’après le footballeur.

Il est soutenu par un joueur de FC Tanda, qui désire garder n’anonymat. «Aujourd’hui, les joueurs n’ont pas d’assurance santé.  Lorsqu’un footballeur est blessé, on l’envoie à Sol Beni. C’est la seule solution. Ce qui fait que de nombreux joueurs blessés ont été laissés pour compte et ont tourné le dos au football», explique notre interlocuteur.

Sponsors

Une misère que tout le monde occulte. La situation est dépeinte différemment par les présidents de clubs.  «Nous saluons la fixation du salaire minimum des joueurs de ligue 1 à 160 000 F et ceux de la ligue 2 à au moins 100 000 F. Il faut noter quand même que ces salaires ne concernent que 20 joueurs. Que deviennent les autres ?», souligne le président du Lys de Sassandra, Mamadou Dia. Selon lui, chaque club compte une trentaine de joueurs. Et le sort des 10 autres joueurs est incertain.

Qu’est-ce qui peut justifier des salaires aussi bas dans le milieu ?

C’est parce que les présidents de clubs sont seuls à faire face aux charges. «Nous n’avons pas de sponsors. Les entreprises ne soutiennent pas les clubs. Les gens ne viennent pas au terrain pour voir les matchs. Et il n’y a pas de vente de maillots. Aujourd’hui, je suis seul à faire face aux problèmes», fustige-t-il.

Toutefois, à l’entendre, les primes permettent aux joueurs de pouvoir joindre les deux bouts.

Il est soutenu dans ce sens par le président du FC Mouna, Ali Mouna, en ligue 2. «Je paye jusqu’à 100.000 F à mes joueurs pour un match gagné. Je ne lésine pas sur les moyens pour ce qui concerne les primes. Ce sont des choses qui peuvent aider les footballeurs», indique M. Mouna.

Toutefois, les présidents de clubs sont unanimes sur les difficultés du football ivoirien. «Comment comprendre qu’aujourd’hui, nos joueurs préfèrent aller jouer dans des pays comme la Tanzanie ?  La Côte d’Ivoire est un pays important de la sous-région, mais notre football est à la traîne», déplore Mamadou Dia.

Que faire ?  «Pour qu’un joueur ivoirien puisse vivre décemment, il faut un salaire minimum de 300.000 FCFA», propose Stephan Gbeulia.

Où trouver les ressources ? «J’ai longtemps pensé qu’avec l’arrivée de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), nous aurions profité de cela pour redorer le blason du football ivoirien. Or, ce n’est pas le cas», soupire Mamadou Dia. Et le président du Lys de Sassandra de lancer : «On demande l’amélioration des conditions de vie des joueurs. Mais les présidents de clubs sont libres de payer leurs joueurs à combien ils veulent».

L’implication de l’Etat

L’implication de l’Etat dans le processus est indispensable, à entendre Ali Mouna. Pour le président de FC Mouna, seule l’arrivée des sponsors en ligue 2, par exemple, pourra relever le niveau de traitement des joueurs. Et il appartient à l’Etat, dit-il, d’inciter les entreprises à le faire.

Sans sponsor, d’après lui, la ligue 2 ne peut offrir mieux à ses acteurs.

Cependant, les sponsors à eux seuls ne garantissent rien.

La preuve, c’est la ligue 1 qui bénéficie de sponsors et même de la parafiscalité. Mais insuffisant. Malgré la subvention de 100 millions de FCFA apportée par l’Etat, les présidents de clubs demandent un véritable élan national autour du ballon rond. « Il y a deux types de présidents de clubs. Ceux qui aiment le football et qui sont prêts à faire des sacrifices pour le bien de ce sport. Et il y a ceux qui sont venus pour se faire seulement un nom », souligne Ali Mouna. Tant que cet engouement autour du football ivoirien ne sera pas collectif, pour lui, les joueurs continueront à aller proposer leurs services ailleurs. «Je vois les gens dans les rues, porter le maillot du Real de Madrid. J’aimerais les voir un jour porter des maillots des clubs ivoiriens », conclut M. Mouna. Manifestement, ce n’est pas demain la veille.

Raphaël Tanoh

Articles similaires

Laissez un commentaire

* En utilisant ce formulaire, vous acceptez le stockage et le traitement de vos données par ce site Web.

Le site Web nordsud utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que cela vous convient, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite