Kokounseu Madé Benson, président du Collectif des inspecteurs pédagogiques diplômés de l’ENS, basé à l’antenne de la pédagogie et de la formation continue de Man, revient sur les plaies qui gangrènent notre système éducatif.
C’est la rentrée des classes avec son lot de problèmes. Quelles sont vos attentes ?
Pour cette rentrée scolaire 2023-2024, nos attentes sont nombreuses. Nous aurions bien voulu que tous les inspecteurs pédagogiques de l’enseignement secondaire rentrent en possession des indemnités liées à leur fonction. Nous voudrions aussi que les enseignants, surtout ceux du privé, renforcent leurs capacités avant le début effectif des cours.
Sur le plan pédagogique, la Côte d’Ivoire a tenté plusieurs méthodes pédagogiques. Aujourd’hui, quel serait le système le mieux adapté pour former les cadres de demain ?
Le choix de la méthode pédagogique dépend du type de citoyen dont l’Etat a besoin. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a besoin de jeunes diplômés capables de s’auto-employer. Pour ce type de citoyen, la méthode actuelle est la mieux adaptée. Il s’agit de l’Approche par la compétence (APC). Le but est d’installer les compétences chez l’apprenant. Un enfant qui finit les cours, sait à quoi sa formation a servi. Il peut la mettre en pratique dans sa vie quotidienne. L’objectif est de former des jeunes qui pourront entreprendre.

Pourquoi le pays n’est-il pas parvenu depuis à se limiter à un ou à deux méthodes, selon vous ?
Il est impossible de se limiter dans le choix des méthodes pédagogiques, car le système éducatif suit l’évolution de la société et tient véritablement compte des besoins de l’Etat en termes de citoyenneté.
Pour les enseignants, est-ce facile à faire assimiler aux élèves ?
Les enseignants n’ont aucun problème pour transmettre les connaissances aux apprenants. Seulement, il faut qu’ils soient recyclés. Bien évidemment, les enseignants ont besoin de formations pour la mise en œuvre de la méthode pédagogique retenue.
Comment cette formation devrait-elle se faire ?
Aujourd’hui, toutes les régions sont pourvues d’antennes de la pédagogie et de la formation continue. Il suffit simplement de les regrouper par discipline et les différents inspecteurs disciplinaires se chargeront de leur transmettre le savoir .Tout cela est possible si on y met les moyens.
Aujourd’hui le pays est confronté à un manque d’enseignants. Quelle serait la solution pour régler cela ?
Pour venir à bout du déficit d enseignants il faut procéder à un recrutement régionalisé. Il s’agit de lancer un concours par région. Si à Man, par exemple, on a besoin de 100 enseignants, on lance le concours uniquement dans cette région, pour que les enseignants recrutés n’enseignent que dans la zone. Ces enseignants seront des contractuels jusqu’à ce qu’ils soient intégrés dans la Fonction publique.
Mais l’Etat a déjà recruté des contractuels. Comment se fait-il qu’on n’arrive toujours pas à combler le déficit ?
Il s’avère qu’au niveau des Directions des ressources humaines, tous les contractuels n’ont pas été affectés là où le besoin se faisait sentir. À Abidjan, vous trouverez des enseignants qui n’ont que 6h de cours par semaine, là où ils devraient en avoir 18 à 21h. Or, dans certaines régions, nous sommes face à un manque important d’enseignants. C’est une décision qui a été proposée lors des états généraux de l’Education nationale et qui a été validée.
Vous avez souvent dénoncé le déphasage des résultats scolaires avec le niveau réel des élèves en Côte d’Ivoire. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les choses évoluent dans le bon sens. Mais nous n’avons pas encore atteint véritablement l’équilibre, entre les résultats scolaires et le vrai niveau des élèves. Ça, c’est à cause du problème du privé.
Pourquoi?
Il faudrait parvenir à assainir ce secteur qui occupe une grande place dans le système éducatif. Les enseignants du privé ne sont pas payés correctement. Tant que cela n’est pas fait, le taux de réussite scolaire sera toujours problématique. De mai jusqu’en juin, la plupart de ces enseignants n’ont pas de salaire. Donc, pendant les examens scolaires, ils comblent ce manque à gagner en s’adonnant à la fraude. À Abobo, par exemple, la plupart des secrétariats sont tenus par ces enseignants du privé. Ce sont eux qui faut grimper la fraude scolaire.
La ministre a supprimé de manière exceptionnelle les congés de février cette année. Est-ce une bonne chose pour les élèves ?
La Coupe d’Afrique des nations (CAN), y est pour quelque chose. Il est vrai que pendant cette compétition, les enseignants seront un peu déconnectés. Mais, je constate que les Ivoiriens ne parlent que de cela. Or, l’année a été prolongée jusqu’en juin. Ce sont des heures de cours gagnés et cela est une bonne chose pour relever le niveau scolaire.
On annonce de nouveaux ouvrages cette année. Pour vous, est-ce opportun ?
À mes yeux, les manuels sont adaptés. Il faut seulement corriger les coquilles pour les rendre meilleurs. Et je crois que c’est ce qui est en train d’être fait.
Certains acteurs se plaignent de ne pas entrer dans la confection des manuels. Qui, d’après vous, doit y prendre part, pour les rendre meilleurs?
Je crois qu’en plus des acteurs actuels, les enseignants, les inspecteurs, les maisons d éditions et les libraires doivent être impliqués dans la confection des ouvrages.
Interview réalisée par Georges Dagou