C’est un conflit d’intérêt qui met aux prises les opérateurs du secteur du mobile money (Orange, MTN, Moov et Wave) et les propriétaires des points de vente de leurs services. Depuis ce mardi 9 août 2022, à Abidjan et dans plusieurs localités de l’intérieur du pays, trouver l’un des espaces de proximité qui effectuent habituellement les dépôts ou retraits d’argent relève de la croix et de la bannière. En cause, la grève des propriétaires et tenanciers desdits points. De fait, ces prestataires de services s’insurgent contre une baisse drastique des commissions qu’ils engrangeaient initialement sur les différentes opérations. En guise de solution face à cet arrêt de travail, les opérateurs exhortent leurs utilisateurs à effectuer leurs opérations en agence, au sein des stations-services, aux guichets automatiques ou encore à la Poste.
C’est l’effervescence dans le secteur du mobile money. Consécutivement à l’arrivée de Wave, un nouvel opérateur sur le marché, avec sa politique de facturation à hauteur de 1% du montant des transactions, Orange, MTN et Moov, les 3 firmes préexistantes dans le secteur ont revu leurs faramineux frais à la baisse et se sont alignés in fine sur la tarification de 1% pour face à la montée en puissance du concurrent.
Un graal pour les consommateurs, un drame pour les tenanciers de points mobile money. Les victimes collatérales de cette diminution conséquente des frais appliqués sur les transactions mobiles money, ce sont les propriétaires et gérants des points mobile money. Ils en paient le lourd tribut, d’autant que leurs commissions par transactions, uniques revenus issus de leurs activités, se sont considérablement amoindries au prorata de la diminution des frais perçus par les opérateurs. En vue de combler le manque à gagner, ces derniers ont instauré des frais de service fixés à 100 francs par transaction.
Courroucés par ces prélèvements, certains opérateurs ont pris l’initiative de suspendre ou de résilier les contrats qui les lient aux responsables des espaces qui empochent ce pactole. Piqués au vif par ces mesures qu’ils jugent «abusives», les prestataires de services mobile money ont mis à exécution, depuis le 9 août, leur mot d’ordre de grève de 72 heures.
Le Synam-CI au four et au moulin. A la tête des manifestations, le Syndicat national des acteurs du mobile money-Côte d’Ivoire (Synam-CI). Pour le secrétaire général de l’organisation, Elvis Ayemou, les émoluments qu’ils obtenaient sur les transactions ont chuté de l’ordre de 65%. «Au début, en dépit des frais de 1%, nos commissions nous permettaient de gérer nos dépenses. Mais depuis le mois de juin, on a assisté à une baisse de nos gains. Avec ces frais réduits, il nous est impossible de faire face à nos charges fixes. Notons qu’il n’y a pas eu d’échanges entre les opérateurs et nous qui sommes leurs partenaires, pour expliquer ces nouvelles commissions. En réponse à nos demandes d’explications, ils nous ont fait état d’un certain nombre de dépenses dont ils devraient s’acquitter vis-à-vis de l’Etat», explique le responsable syndical.
Les frais de service, la solution permanente de la Synam-CI. A l’analyse, la baisse de la grille tarifaire des frais prélevés sur les opérations mobiles money semble avoir ouvert la boîte de Pandore dans le secteur d’activité. Etant donné qu’une revue à la hausse de la tarification est quasiment impossible, la solution proposée par les tenanciers des points mobile money est l’instauration de frais de services. «Les 100f c’était une mesure provisoire. Comme solution pérenne, nous proposons qu’il y ait des frais de services fixés au maximum à 500 f. Parce que même si nous trouvons un accord sur les commissions, en cas de baisse des frais à cause de la concurrence, cela se répercuterait une fois de plus sur nos gains», propose le SG de l’organisation qui se dit ouvert au dialogue. Selon lui, en dépit des échanges de sa plateforme avec les opérateurs, l’Autorité de régulation des télécommunications (Artci) et les différents ministères de tutelle qui sont restés lettres mortes.
Les consommateurs tapent du poing sur la table. Cette ébauche de solution proposée par le syndicat des acteurs du mobile money est battue en brèche.A en croire, Soumahoro Ben N’Faly, le président de la Fédération ivoirienne les consommateurs le Réveil (Ficr), joint au téléphone par Nord Sud, les tarifications supplémentaires n’ont pas lieu d’être. «Il faut qu’ils discutent avec leurs partenaires pour trouver une solution. La diminution des frais perçus sur les opérations mobile money entraîne naturellement la baisse des commissions. Mais entre les intérêts des acteurs du secteur du mobile money et ceux de près de 30 millions de consommateurs, si j’ai un choix à faire, c’est celui des consommateurs. Les 100 f supplémentaires sur chaque transaction représentent déjà un poids pour les consommateurs. Nous ne pouvons soutenir une telle initiative» coupe-t-il court.
C’est un casse-tête qui s’annonce pour le gouvernement censé arbitrer ce litige. Entre le marteau : les 200.000 emplois générés par le secteur du mobile money, dont les acteurs lancent un SOS pour la sauvegarde de leurs activités. Et l’enclume : des millions d’Ivoiriens, usagers des services mobile money dont l’intérêt est de débourser moins de frais. Le gouvernement est pris dans un étau. Les opérateurs des services mobile money jouent quant à eux, la carte de l’adaptation. En vue de contourner l’arrêt de travail des acteurs de l’écosystème des points de vente de services mobile money, ils exhortent leurs clients à effectuer leurs transactions au sein des agences, dans des guichets automatiques, des stations-services et tutti quanti…
Charles Assagba