GRAND ANGLE. Probablement, la dernière année scolaire complète, avant les prochaines élections présidentielles. Le double défi pour la ministre de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation est de créer les conditions d’une éducation nationale performante tout en contenant les velléités de plus en plus grandissantes au sein des faitières syndicales.
Terminé, pour la vente des articles au sein des écoles. Dorénavant, la distribution des kits scolaires ne devra pas excéder deux mois. Plus de cours au primaire, les mercredis ! Le calcul mental fait son grand retour… C’est peu dire : les mesures prises cette année par la ministre de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation, ont secoué la communauté éducative. En tête de ces décisions : la suppression des cours le mercredi. Cela a eu pour conséquence, le chamboulement de l’emploi du temps chez les tout-petits. Les cours commencent de 7h45 à 12h au lieu de 8h à 12h. Dans l’après-midi, de 14h30 à 17 plutôt que de 14h à 17h.
Si les enseignants du primaire pensent avoir enfin eu gain de cause, en obtenant la fin des cours les mercredis, en réalité ils travailleront plus. Selon la ministre Mariatou Koné, ce réaménagement ramène le volume horaire de 1092 h à 1200 h. Du coup les élèves seraient-ils surbookés ? Pas du tout, d’après les instituteurs. « L’emploi du temps n’a pas si changé que ça. Les matins, c’est juste 15 minutes de moins qu’avant. Les après-midis, les cours reprennent 30 minutes plus tôt. Mais, ils s’arrêtent à 17h, comme avant. Le réaménagement a été fait en sorte que nous ne le sentions pas. S’il faut choisir entre cette formule et les cours le mercredi, nous choisissons cet emploi du temps », se réjouit Kouamé Bertoni, secrétaire général du Réseau des instituteurs de Côte d’Ivoire (RICI). Les parents d’élèves, eux, n’ont jamais fait de la suppression des cours le mercredi, une doléance. Cependant, pour Kadio Claude, Président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (OPEECI), permettre aux enfants de se reposer un jour de plus dans la semaine évitera le surmenage. Mais il reste toutefois circonspect sur les bienfaits du chamboulement de l’emploi du temps. « Nous sommes revenus à l’ancien système qui a donné de bons résultats. Ce n’était pas un hasard si les mercredis, dans le temps, avaient été libérés pour mettre aux enfants de se reposer. Il faut simplement éviter également de les exposer à un rythme élevé de travail avec les nouveaux horaires », souligne Kadio Claude.
Raisonnement logique
Avis divergents sur ce point. Ce qui n’est pas le cas pour le retour du calcul mental. « C’est le B.A-BA pour aller vers le début du raisonnement logique », explique Soro Dolourou, Secrétaire général des Conseillers pédagogiques et Conseillers à l’extrascolaire. Supprimé depuis près d’une décennie, d’après Soro Dlourou, le calcul mental revient pour pallier les insuffisances relevées chez les élèves au primaire. Notamment dans le rapport du Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN (PASEC). La maîtrise des mathématiques, à l’entendre, est primordiale si l’État souhaite améliorer le niveau des tout-petits. Voilà donc pourquoi la ministre fait revenir une vieille méthode qui a fait ses preuves. ». « Reste à savoir, selon Achi Edoukou, porte-parole de la Coalition des syndicats du secteur éducation/formation de Côte d’Ivoire (COSEFCI), si les enseignants seront fin prêts sur le plan pédagogique pour l’appliquer. À ce sujet, la ministre Mariatou Koné n’en doute pas. Dans le cadre du Programme national d’amélioration des premiers apprentissages scolaires (PNAPAS), mis en œuvre pour cette rentrée scolaire, ce sont 35 000 enseignants du préscolaire et du primaire qui ont été formés aux nouvelles approches pédagogiques. Par ailleurs, au dire de la ministre, « ne peut tenir une classe du préscolaire, du CP1 et du CP2 qu’un enseignant ayant participé à la formation sur le PNAPAS ».
Ajouté à la dictée qui a fait son retour depuis l’année dernière, on espère de meilleurs résultats scolaires. La dernière innovation majeure, pour cette rentrée scolaire, reste évidemment, le délai donné pour distribuer les kits scolaires. Deux mois. En d’autres termes, les 4 millions de kits scolaires devront être entièrement distribués aux préscolaire et dans les classes de CP, avant le 9 novembre. La décision est à saluer, reconnaît Kadio Claude. Cependant, en termes de faisabilité, il attend de voir. « Il y a trop d’obstacles qui expliquent la lenteur dans la distribution. Le processus d’acheminement des ouvrages dans chaque département est lui-même lourd. Le suivi n’est pas assuré pour savoir qui reçoit quoi ? Cette année reste un début. Mais je pense qu’il faudra attendre encore les autres années pour voir si le processus sera bien maîtrisé », fait savoir le président de l’OPEECI.
Rigueur
Au secondaire, le système de prêt de livres, lui, reste un vrai sujet. Là où on parle de gratuité au préscolaire et au primaire, dans le secondaire, c’est plutôt une « gratuité payante », d’après Pacôme Attaby, secrétaire général de la Confédération syndicale Espoir (CSE). Pourquoi payer 10 000 FCFA, dit-il, pour emprunter 8 livres, si l’on peut les emprunter gratuitement ? Ce programme est à l’essai dans 744 établissements et concernera 120 000 élèves. « Il y a eu beaucoup de mesures. Elles doivent aller de pair avec la rigueur », note-t-il.
Tout cela pour dire, poursuit-il, que « les acteurs ont du pain sur la planche pour intégrer ces innovations, applaudies pour certaines et diversement appréciées pour d’autres ». La Ministre de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation espère l’union sacrée pour qu’elles réussissent. « La plupart de ces mesures ont été sorties des résolutions des états généraux de l’éducation nationale. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui le demandaient. Il appartient maintenant aux enseignants de faire en sorte que ces changements qu’ils souhaitaient soient bénéfiques pour l’école », indique un proche collaborateur de la Ministre de l’Éducation nationale. À ce sujet par ailleurs, les cœurs ne semblent pas totalement désarmés. Sur environ 82 doléances contenues dans les résolutions des états généraux de l’éducation nationale, une, intéresse particulièrement les enseignants : « les primes d’incitation. Et tant qu’elles ne seront pas satisfaites, il y aura encore des plaintes au sein du corps enseignant », reconnaît Achi Edoukou, Secrétaire général national du Conseil d’actions et de réflexions des inspecteurs d’éducation et éducateurs de Côte d’Ivoire (CARIEECI). A la volonté d’agir de l’État, il faut maintenant l’engagement des acteurs de monde de l’éducation nationale à appliquer rigoureusement, les choix stratégiques décidés de commun accord. Là est le chemin…
Raphaël TANOH