Saisies de stupéfiants: Côte d’Ivoire, plaque tournante de la drogue?

par NORDSUD
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Les projecteurs sont braqués sur la Côte d’Ivoire, depuis la saisie record de 2 tonnes de cocaïne à San Pedro. Pour autant, le pays est-il devenu le carrefour de la drogue, dans la région ?

Côte d’Ivoire, plaque tournante de la drogue dans la sous-région ?  On ne cesse de ressasser cette question depuis des mois. Alors que tout le monde attend la suite judiciaire de l’affaire des 2 tonnes de cocaïne saisies à San Pedro en avril dernier, les Ivoiriens s’interrogent sur la fréquence des prises, au cours de ces deux dernières années. Mai 2022: 324 kg de cannabis interceptés à Adiaké. Mars 2022 : la douane met le grapin sur plus d’une demi-tonne de cette même drogue, dans un véhicule de transport à Abidjan. Et comment oublier la 1,56 tonne de cocaïne d’une valeur de 25,560 milliards de FCFA, qui a été saisie, dans la nuit du 24 au 25 février 2021, à Cocody-Angré, par la gendarmerie nationale ?  

Ce ne sont pas de petites prises. Et les avis divergent quant à la signification à donner à tout ceci ? Au sein de la police, il est tantôt question d’efficacité, d’intensification de la lutte. Mais, on parle aussi de réussite. Selon un officier à la préfecture de police que nous avons contacté, ces opérations ne signifient pas que la Côte d’Ivoire est devenue une plaque tournante de la drogue, si elle ne l’était pas déjà. «Rien n’a changé. Ce qu’on vit en Côte d’Ivoire, on le vit partout. Et c’est même pire ailleurs. Il y a des pays où la lutte contre la drogue est plus intensifiée que d’autres. Cela donne l’impression qu’il y a plus de drogue là-bas qu’ailleurs, mais c’est faux. La drogue circule partout», explique notre informateur. Pour lui, si cette interrogation revient, c’est simplement parce qu’il y a eu beaucoup de bruits autour de la drogue, ces derniers mois.

Terrorisme

Un avis partagé par Daniel Tuo, conseiller formateur en toxicomanie, chargé de projets au service social et prévention à la Croix Bleue Côte d’Ivoire. «Il y a une augmentation de la communication autour de la drogue et non une augmentation de la quantité de drogue en Côte d’Ivoire», explique-t-il. La communication s’est surtout intensifiée autour des saisies, d’après Daniel Tuo. «Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que la quantité de drogue saisie est toujours insignifiante par rapport à ce qui se trouve sur le terrain. Elle représente seulement 5%. Près de 95% de la quantité réelle circule. Alors, si vous saisissez deux tonnes de cocaïne, demandez-vous combien il y en a dans la nature», questionne-t-il. De quoi dégriser. Mais, pour la police, c’est quasiment toute l’Afrique qui est touchée. L’instabilité de certaines régions et le terrorisme aidant, plusieurs zones sont en proie au narcotrafic. «En octobre dernier, on a saisi plus de deux tonnes de cocaïne pure aux larges de Dakar. 2, 4 tonnes avaient déjà été interceptées dans ce pays en 2007. En mars 2021, six tonnes de cocaïnes ont été saisies dans le Golf de Guinée. La Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays impacté, ni même le pays le plus impacté d’ailleurs», note-t-il.

Prof. Joseph Kouamé Guessan-Bi, responsable du Service éducation à la lutte contre la drogue et la toxicomanie (Seldt) au sein de la Direction de la mutualité et des œuvres sociales en milieu scolaire (Dmoss), insiste sur la prise de conscience. Pour lui, ce serait une erreur de minimiser la quantité de drogue qui circule dans le pays. «Aujourd’hui, lorsque qu’il y a un programme de formation contre la drogue, les Ivoiriens sont toujours les bienvenus. Demandez-vous pourquoi», souligne-t-il. À l’entendre, même la communauté internationale a pris conscience de la monté de la drogue dans le pays.

Appliquer la loi

Alors, les Ivoiriens sont-ils eux-mêmes de grands consommateurs de cocaïne ? À ce propos, notre source à la préfecture de police note que la Côte d’Ivoire est plutôt utilisée comme point de transit. Comme la plupart des pays ouest-africains.  Il n’a pas tort, d’après Daniel Tuo. Selon l’expert, le cannabis est la principale drogue utilisée dans le pays pour la consommation. C’est du moins, celle qui revient de plus en plus chez les toxicomanes que la Croix Bleue a en charge. Il reconnaît toutefois qu’une frange de la population, aisée, consomme de la cocaïne. Comme il n’y a pas d’études à ce sujet, difficile d’établir une proportion exacte d’Ivoiriens sniffant la ‘‘coke’’, hormis ceux qui sont impliqués dans le trafic.

Hélas, dans cette lutte transversale qui implique le ministère de l’Intérieur et de la sécurité, le ministère de la Défense et le ministère de la Justice, l’absence de collaborations rend les actions isolées. Difficile de faire tomber tout un réseau. En général, il n’y a que les seconds couteaux qui sont épinglés. Tant que sa tête n’est pas coupée, l’hydre continue de sévir. Nul doute qu’il y aura d’autres saisies. Record ou pas, selon notre source à la préfecture de police, il faut se montrer intransigeant. «Il faut être courageux et appliquer la loi, parce que le trafic de drogue implique des personnes importantes. Si vous protégez l’une d’elles, vous ne pourrez pas travailler correctement. Le Ghana a réussi en moins d’une décennie à réduire drastiquement la circulation de drogue sur son sol. Les Ghanéens l’ont réussi en appliquant la loi. Nous avons le siège de la branche Interpol en Afrique de l’Ouest ici à Abidjan. Nous avons des ressources. Il faut juste le vouloir», souligne-t-il.

Le 5 mai dernier, au cours de la réunion du Conseil national de sécurité (CNS), le chef de l’Etat, Alassane Ouattara, a demandé le renforcement du dispositif de surveillance dans la lutte contre ce fléau. On attend de voir la suite.

Raphaël Tanoh

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