ANALYSE. Le récent communiqué de presse publié le 5 septembre 2024 par le parti de Laurent Gbagbo révèle une profonde fracture qui va au-delà de simples divergences sur l’utilisation d’un patronyme. La « guerre » sous-jacente pour le leadership à la tête de l’opposition ivoirienne éclate au grand jour, masquée par une querelle apparemment insignifiante autour du nom Gbagbo.
La question du nom : symbole d’une fracture plus profonde
Dans ledit communiqué, le camp de Laurent Gbagbo s’insurge contre l’utilisation du nom ” Gbagbo” par France 24, insistant sur le fait que, depuis leur divorce, l’ancienne Première Dame devrait être appelée par son nom de jeune fille, « Ehivet ». Ce débat autour du nom, que le communiqué qualifie de « tendancieux » et de « trompeur », un détail juridique bien qu’en apparence anodin, trahit une bataille bien plus complexe qui oppose les deux ex époux. Pour le Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire, la persistance de l’utilisation du patronyme de son ex-époux, est une tentative de Simone Ehivet de continuer de bénéficier de l’aura de Laurent Gbagbo dans la course au leadership de l’opposition. Au-delà de cette question de patronyme, ce communiqué révèle une réalité plus préoccupante : l’unité fragile de l’opposition ivoirienne, minée par des luttes de pouvoir internes. Simone Ehivet Gbagbo, à la tête de son propre mouvement, le Mouvement des Générations Capables (MGC), se positionne depuis plusieurs années comme une figure de proue de l’opposition. Cependant, sa montée en puissance menace directement Laurent Gbagbo, ancien Président et chef du PPA-CI, qui aspire à rester l’acteur principal de l’opposition contre le pouvoir en place.
Les termes du communiqué soulignent l’importance de l’unité de l’opposition et dénoncent la manière dont France 24 aurait alimenté une « rivalité au sein d’un couple qui n’existe plus depuis leur divorce ». Si Laurent Gbagbo et Simone Ehivet Gbagbo partagent un passé conjugal et politique commun, leur vision de l’avenir de l’opposition diverge, en particulier à l’approche des échéances électorales à venir.
Péril sur l’opposition ?
Ce communiqué, rédigé par Me Habiba Touré, porte-parole de Laurent Gbagbo, ne s’arrête pas à critiquer France 24. Il interpelle également, de manière indirecte, Simone Ehivet Gbagbo en insinuant que son camp, en exploitant cette polémique médiatique, chercherait à affaiblir la cohésion de l’opposition. L’appel à « plus de rigueur dans le traitement de l’information » et à une « prise de conscience quant à l’impact » des formulations journalistiques pointe ainsi vers une volonté de maîtriser le récit autour de cette double fracture familiale et politique. De son côté Simone Ehivet Gbagbo reste silencieuse pour le moment. Ces tensions internes à l’opposition ivoirienne surviennent à un moment crucial où l’opposition tente de construire son unité autour de préoccupations importantes afin d’obtenir de meilleures conditions d’organisation des prochaines élections et de se positionner comme une alternative forte face au pouvoir d’Alassane Ouattara. On peut comprendre que la multiplication de querelles intestines l’affaiblit. Ce communiqué, sous des airs de défense de la vérité et de l’éthique journalistique, cache une lutte de pouvoir implacable. Le contrôle du nom de Laurent Gbagbo dans les discours publics devient ici un enjeu symbolique dans la guerre de leadership qui oppose les deux figures de l’opposition. Simone Ehivet Gbagbo, par sa posture de rassembleuse, occupe un terrain sur lequel l’aura naturelle de son ex-époux, s’est profondément effritée. Quant au vieux leader politique et ancien Président de la République, il est maintenant bien contraint à la défensive, pour éviter sa marginalisation sur une scène politique où il a longtemps régné en maître absolu. Un agacement angoissé. Signe que les temps ont bien changé.
Armand BLEDOU