Annoncé comme la grande révolution des paiements dans l’espace UEMOA, le PI-SPI, Plateforme interopérable du système de paiement instantanés, devait permettre d’envoyer ou de recevoir de l’argent en moins de dix secondes, gratuitement, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, entre banques, opérateurs de mobile money et fintechs. Mais, plus de deux semaines après son lancement officiel par la BCEAO, le rêve peut-il devenir réalité ?
Une ambition régionale inédite
Le 30 septembre dernier, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a dévoilé son système de paiement interopérable (PI-SPI), destiné à fluidifier les transactions financières entre les huit pays membres de l’UEMOA : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. L’objectif est d’offrir un cadre commun, où un client d’une banque, d’un opérateur mobile money ou d’une fintech, peut transférer des fonds vers tout autre compte, sans frais, à tout moment, dans son pays ainsi que dans toute la zone sans aucune barrière. Sur le papier, l’initiative coche toutes les cases d’une intégration financière sans frontières. Toutefois, la réalité s’annonce plus nuancée.
Une interconnexion encore partielle
Sur les 160 banques et 78 établissements de monnaie électronique recensés dans la sous-région, seuls 72 sont aujourd’hui connectés au système. Aux abonnés absents : Wave, acteur majeur du mobile money en Côte d’Ivoire et au Sénégal, qui n’a pas encore adhéré à la plateforme. Un démarrage en demi-teinte, qui limite déjà la portée de l’initiative. Sans l’ensemble des grands opérateurs, la promesse d’interopérabilité reste incomplète.
Des bénéfices attendus pour les populations
Si elle atteint sa pleine puissance, la plateforme pourrait résoudre un casse-tête quotidien : l’impossibilité d’envoyer de l’argent d’un opérateur mobile à un autre, même dans un même pays. Aujourd’hui encore, les transferts entre banques prennent deux à trois jours et s’accompagnent de frais significatifs. Dans un espace où les flux transfrontaliers se multiplient, la promesse de paiements instantanés et gratuits représente une avancée décisive pour les particuliers comme pour les PME.
L’opportunité d’une reconquête pour les banques
Pour les établissements bancaires, longtemps distancés par les fintechs et le mobile money en termes d’accessibilité et d’adoption par le grand public, le PI-SPI constitue une chance de reprendre la main. En effaçant les barrières entre les systèmes, la BCEAO leur permet de se repositionner sur un marché devenu ultra-concurrentiel, où l’accessibilité et la rapidité sont les nouveaux critères de confiance.
Fintechs et opérateurs : une nouvelle donne concurrentielle
Certaines fintechs avaient construit leur avantage sur l’interopérabilité sélective qu’elles proposaient avec les banques. Désormais, cette différenciation s’estompe puisque toutes disposeront, à terme, du même socle d’échanges. La bataille se déplacera vers l’innovation, l’expérience-client et les services à valeur ajoutée. Une redéfinition du jeu qui suscite déjà des crispations dans l’écosystème.
Les opérateurs historiques comme Western union ou MoneyGram pourraient eux aussi voir leur modèle menacé, face à des transferts instantanés, sans frais et disponibles partout, leur avantage comparatif s’effrite.
Un écosystème à harmoniser
En moins d’une décennie, l’UEMOA a basculé dans l’ère numérique ; le nombre de comptes de monnaie électronique est passé de 18 millions à près de 248 millions entre 2014 et 2024, tandis que le montant des transactions a bondi de 260 millions à plus de 11 milliards de FCFA.
Pourtant, chaque acteur — banques, fintechs, opérateurs de mobile money — continue d’évoluer en cavalier solitaire. Une interopérabilité regroupant l’ensemble de ces écosystèmes offrirait pourtant un véritable levier pour accélérer l’inclusion et l’intégration financières.
Le PI-SPI entend combler cette fracture. Reste à savoir si la BCEAO saura rallier tous les acteurs autour d’une même vision et garantir une expérience fluide, équitable et accessible à tous.
Pour l’heure, le rêve d’un transfert gratuit et sans frontières reste suspendu entre ambition et réalité.
Charles Assagba
