Zondé Zoko Stéphane (Synapoci): «Les opportunités d’emploi de l’agriculture»

par NORDSUD
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Dans cette interview, le Secrétaire général national du Syndicat national des professionnels de l’orientation de Côte d’Ivoire (Synapoci), Zondé Zoko Stéphane, fait un tour d’horizon des offres de formation et des opportunités de carrières liées aux filières agricoles.  

Le moment des orientations post-Bac a sonné. Quelle est votre lecture des choix qui sont généralement effectués par les étudiants pour leur cursus académique supérieur ? Ne faut-il pas faire une croix sur les projets qui se résument à ‘’avoir un diplôme pour passer un concours’’ ?

Votre question pose la problématique de l’insertion des produits de l’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire. Mais ce que vous devez savoir, c’est que dans la plupart des cas, l’option ‘’d’avoir un diplôme pour passer un concours’’ est un choix par défaut qui s’impose aux étudiants en raison de la pauvreté de l’offre d’insertion qui leur est proposée. Quand après le master ou le BTS vous vous retrouvez dans un labyrinthe académique qui semble sans issue, le concours et donc la fonction publique est une bouffée d’oxygène qui permet de vous repositionner. Beaucoup ont relancé et achevé leur carrière universitaire après un détour par les concours. En clair, c’est la configuration actuelle du corpus de formation au niveau de l’enseignement supérieur qui pousse aux concours. La seule réponse à cette situation, nous l’avons déjà dit, c’est de faire en sorte que la formation des étudiants corresponde à des besoins réels d’emploi exprimés par le monde du travail. Cela éviterait que les diplômés ne se tournent vers l’Etat pour leur insertion. C’est pourquoi, nous voulons saluer la reforme du BTS engagée depuis quelques années par le gouvernement pour non seulement supprimer les filières non porteuses mais également mettre en relation les structures de formation et le patronat. C’est dans cette même optique je pense que se situe la création des universités thématiques qui proposent des formations plus professionalisantes (université virtuelle, université de Man, université de San Pedro). A terme, si ces réformes sont bien menées, l’option du concours finira par disparaître d’elle-même au niveau du supérieur.

Dans les rangs des filières qui drainent visiblement le moins de bacheliers après le Bac, figurent celles qui sont liées aux métiers de l’agriculture. Est-ce une erreur voire une minimisation ou simplement une méconnaissance des débouchés en termes de carrières après de telles formations ?

Un véritable paradoxe quand on se remémore cette fameuse phrase du père fondateur : «le succès de ce pays repose sur l’agriculture». En fait, la minimisation et la méconnaissance vont de pair. C’est le manque de documentations et d’informations qui est à la base du désintérêt pour cette filière.

Dans les choix de filières, il y a des clichés et des stéréotypes qui sont durablement inscrits dans la conscience populaire et qui font que certaines filières sont valorisées par rapport à d’autres. On préfère généralement s’orienter vers les filières supposées ‘’prestigieuses’’ et conduisant à des carrières socialement élevées. (Médecine, droit, économie, etc.). Mais jusqu’à présent, les étudiants n’ont pas encore intégré le fait que l’agriculture soit une filière supérieure à part entière et c’est bien dommage.

De votre œil d’expert, les filières agricoles sont-elles suffisamment porteuses pour assurer une carrière professionnelle ou susciter des vocations entrepreneuriales, financièrement attractives ?

Pour répondre à votre question, il suffit juste de rappeler quelques chiffres. Principal moteur de la croissance du pays, le secteur agricole représente, en 2018, 28% du PIB de la Côte d’Ivoire et 40% des exportations du pays (56% en 2012), 62% hors pétrole. La population ivoirienne se partage entre 12,6 millions d’urbains et 12,3 millions de ruraux. Le secteur agricole emploie 46% des actifs et fait vivre les deux tiers de la population. La superficie des terres cultivables est de 21 Mha représentant 65% de la superficie totale du pays. (Source : Banque mondiale et Douanes ivoiriennes).

 En outre, la dépendance alimentaire de notre pays vis-à-vis de l’extérieur notamment pour des produits de grande consommation comme le riz, le blé, la protéine bovine, etc. montre à suffisance qu’il y a de grands enjeux économiques liées au secteur agricole. Les atouts naturels et humains pour la pratique agricole en Côte d’Ivoire sont indéniables, les besoins sont énormes, il y a de la place pour entreprendre dans ce secteur.

Beaucoup de métiers encore inconnus du grand public sont associés à l’agro-industrie, de la culture à la commercialisation en passant par la transformation. Il faut juste que nous arrivions à passer le cap de l’agriculture traditionnelle pour arriver à une agriculture moderne qui attire la jeunesse.

Existe-t-il un catalogue de l’offre de formation en Côte d’Ivoire et à l’extérieur du pays pour les étudiants qui aimeraient prendre le pari d’une formation en agriculture ?

Il existe une carte interactive des établissements issue de l’outil Far carto et qui vise à recenser les établissements de formation agricole en Côte d’Ivoire et ailleurs.

L’un des facteurs qui favorisent la répugnance des étudiants pour les filières agricoles, c’est l’image d’une activité professionnelle rudimentaire, avec des outils traditionnels, etc. Faudrait-il accentuer la modernisation qui a cours dans le secteur et la médiatisation des entrepreneurs ou employés qui y font florès aux fins de susciter un plus vif intérêt chez les jeunes bacheliers ?

 En effet, en dehors de quelques exceptions qui ont tant bien que mal réussi leur migration vers l’agro-industrie, le secteur agricole est caractérisé par une dominance des exploitations agricoles familiales qui occupent 55% de la population rurale et dont la production est destinée principalement à la consommation interne. Dans l’ensemble, la configuration actuelle de l’agriculture ivoirienne est comme vous l’avez dit, rudimentaire, avec des outils et des pratiques archaïques. Aujourd’hui encore, l’agriculture est associée à l’idée de pénibilité.  Ce qui n’offre pas aux jeunes bacheliers une visibilité en termes d’attractivité. Pourtant, il faut bien qu’on passe cette étape informelle pour faire de l’agriculture un modèle économique, une veritable industrie génératrice d’emplois et de revenus comme dans les pays développés. Cela part d’une véritable volonté politique et l’Etat a commencé à faire sa part. Ce sont 2040 milliards FCFA qui ont été mobilisés en 2013 lors de la table ronde de mobilisation des ressources pour la mise en œuvre du Programme national d’investissement agricole (Pnia) et de la concertation de la nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition. La mise en œuvre du Pnia, porteuse d’environ 2 millions d’emplois directs et indirects, doit aboutir à une agriculture plus rentable, centrée sur l’usage de moyens modernes, pour remplir les objectifs d’autosuffisance alimentaire.

Lors du salon international de l’agriculture (SIA 2020), le Ministre Adjoumani a invité les investisseurs locaux et étrangers à s’ouvrir vers l’entrepreneuriat agricole et la modernisation de l’agriculture afin de donner un nouveau visage à notre agriculture. L’agriculture et les différents acteurs qui l’animent doivent être mis en lumière mais les structures de formation agricole doivent également être plus présents en termes de médiatisation en participant aux salons d’orientation destinés aux bacheliers.

L’État met l’accent sur des projets agricoles pour lutter contre la cherté de la vie. Des projets qui nécessiteront naturellement des ressources humaines dotées d’une expertise avérée dans ce secteur d’activité. N’est-ce pas une preuve qu’il s’agit d’une aubaine que les jeunes doivent saisir en se formant dans les métiers de la terre ?

L’un des exemples de cette volonté de l’Etat à investir dans l’agriculture est le lancement officiel du Projet Pôle agro-industriel du Nord (2PAI Nord) le mercredi 27 juillet 2022 à Sinématiali, par le Premier ministre, Patrick Achi. Ce projet vise à valoriser les potentialités agricoles, augmenter le taux de transformation industrielle des produits agricoles, améliorer le revenu des producteurs et créer des emplois pour les jeunes et les femmes des régions du Poro, du Tchologo, de la Bagoué et du Hambol. Cette série d’initiatives du gouvernement est une invitation à la jeunesse pour qu’elle s’intéresse davantage aux métiers agricoles. La transformation de notre agriculture est en marche, c’est une question de temps. Il faut donc que la jeunesse se forme et acquière des compétences pour ne pas rater ce rendez-vous de l’insertion. Les structures de formation existent, il faut juste s’informer et avoir de la volonté.

Hors mis l’agriculture, existe-il des filières que vous conseilleriez aux nouveaux bacheliers ou aux Ivoiriens désireux d’effectuer des reconversions professionnelles ? Existe-t-il des filières que vous recommandez moins en raison de l’étroitesse du marché d’emploi ou du flux de diplômés chômeurs qui en sont issus ?

Vous savez, en matière d’employabilité que ce soit à l’université ou dans les grandes écoles, il faut éviter le cliché de sur-coter certaines filières tout en dévalorisant d’autres. Tous les domaines de la connaissance humaine sont utiles pour le fonctionnement et l’équilibre de la société. Chacun a sa chance comme on le dit, tout dépend de la qualité de votre formation et des compétences intrinsèques que vous avez acquises. Cependant, Il faut reconnaître que dans la pratique, certaines filières sont plus pourvoyeuses d’emplois que d’autres. Ce qu’il faut savoir, c’est que la dynamique des filières évolue en fonction de l’évolution et de la transformation des métiers et donc de l’économie. Aujourd’hui, l’économie numérique est en plein boom en Côte d’Ivoire. Des filières comme la programmation, le développement d’application, le génie logiciel ou la sécurité cybernétique sont fortement recommandées. Ainsi, au niveau de l’université, nous recommandons l’UFR Maths-Info de l’université Houphouët-Boigny ou l’université virtuelle dont les formations sont orientées dans ce sens. En outre, en raison de la politique de construction massive d’infrastructures par le gouvernement, le pays est actuellement un vaste chantier. Les formations en génie civil option travaux publics ont donc un bel avenir. La forte demande en logement exprimée par la population est également une opportunité pour les étudiants en bâtiment.

Interview réalisée par Charles Assagba

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