71 candidats malheureux aux élections municipales sur les 201 communes et 13 impétrants déclarés perdants dans les 31 régions ivoiriennes ont déposé des requêtes en contestations devant le Conseil d’État. Si à l’accoutumée ces plaintes étaient perçues comme celles des mauvais perdants de l’opposition qui avaient pour but de dénoncer la Commission électorale indépendante (CEI) comme étant inféodée au parti au pouvoir, cette fois-ci de nouveaux candidats du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) sont dans le lot des plaignants.
À Yopougon le candidat du Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire (PPA-CI), Michel Gbagbo et son homologue du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), Yohou Dia Houphouët estiment que « des cartes d’électeurs ont été distribuées à des non-ayant droits (…) De violentes répressions accompagnées de nombreuses menaces verbales ont été proférés contre les représentants des bureaux de vote et les superviseurs des candidats de l’opposition (…) Des bureaux de vote ont vu leur ouverture aux environs de 13h pour leur fermeture à 17h (…) Les résultats ont été savamment étudiées avec la complicité de la CEI (…) Les tablettes n’étaient pas fonctionnelles ». Annonçant le dépôt d’un recours au Conseil d’État, les deux candidats parlent de « bourrage d’urnes », « des votes multiples » et des « PV falsifiés ».
Plateau et Cocody
Au Plateau et à Cocody Fabrice Sawegnon et Eric Taba, tous candidats du Rhdp ont également chargé la CEI. « Les chiffres de suffrages exprimés dans plus d’une cinquantaine de bureaux de vote diffèrent des taux de ceux des listes d’émargements (…) Le déficit du matériel électoral, du retard du démarrage des opérations de vote, un recrutement frauduleux d’agents de vote, la création de nouveaux lieux de bureaux de votes sans communiqué préalable, l’absence de listing électoral, la manque de sécurité sur les sites de votes et l’intimidation des votants », a énuméré Fabrice Sawegnon qui estime avoir été lésé par le maire sortant proclamé vainqueur, Jacques Ehouo. L’équipe du spin doctor annonce également avoir déposé un recours devant le Conseil d’État. À Cocody, le candidat du parti au pouvoir, Eric Taba ne décolère pas. « Tout laisse croire que nous avons gagné à Cocody avec plus de 13.000 voix. Nous avons des éléments et des noms de personnes qui ont fait la magouille», annonçait-il sur sa page Facebook. Par ailleurs, alors qu’il avait initialement reconnu la victoire du Maire sortant, Jean-Marc Yacé, le candidat a admis avoir déposé « un recours au niveau du conseil d’état».
Conformément à leurs allégations, ces candidats ainsi que bien d’autres insatisfaits espèrent avoir une oreille attentive auprès du Conseil d’Etat qui mettra le glaive et la balance. Alors, la CEI est-elle coupable de failles au vu de ces plaintes diverses ou a-t-elle simplement le dos large?
Audit
A en croire Landry Kuyo, juriste et observateur averti de la scène politique, il faut relativiser. « Jusqu’à preuve du contraire, la CEI bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’à ce que le Conseil d’Etat puisse trancher sur les différentes réclamations. On ne peut pas parler de mauvaise foi de la part des candidats qui ont déposé le recours parce qu’elles proviennent des deux camps. Mais même le président de la CEI n’a pas manqué de relever quelques dysfonctionnements dans certains centres de votes mettant même en cause la bonne foi, le professionnalisme et l’impartialité des agents. Il ressort qu’il y a des cas de dysfonctionnement et d’anomalies qui nécessitent que celles-ci soient corrigées le plus rapidement possible », fait-il noter.
Dans une logique prospective, l’expert introduit l’idée d’un audit de la CEI et de son inscription dans une démarche qualité. « L’audit de l’institution est important, pas seulement celui de la liste électorale. La CEI comme toutes les autres institutions doit se soumettre à ces audits et aux normes de qualités ISO. Il faut traiter de manière générale, faire un toilettage complet, faire les bons diagnostics dans sa structure organisationnelle et fonctionnelle avant la présidentielle de 2025 ».
En prélude aux décisions du Conseil d’État qui aura le fin mot de cette bataille juridique, la CEI semble selon toute vraisemblance sujette à toutes sortes de critiques. Dans le box des accusés, l’organisme pourrait certes voir sa présomption d’innocence confirmée en cas de déni en bloc de toutes les réclamations par le Conseil d’Etat, mais même dans un tel scénario, l’arbitre des élections ivoirienne doit prendre une cure de jouvence tant au niveau logistique, de la communication que du fonctionnement interne.
Charles Assagba