Cherté de la vie : L’impuissance des consommateurs

par NORDSUD
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Enclenchée depuis plusieurs années, la lutte contre la vie chère en Côte d’Ivoire, connaît ses hauts et ses bas. Du coronavirus à la guerre en Ukraine, les autorités ivoiriennes ont su tirer leur épingle du jeu, là où certains pays croulent sous le poids de l’inflation. Hélas, les subventions faramineuses et épuisantes de l’Etat qui atténuent la situation, manquent de véritable de soutien. Car, les défenseurs des droits des consommateurs sont en retrait.

« Le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), est passé de 60 à 75 000 FCFA. Nous sommes obligés de payer nos employés, plus cher. Le prix de l’électricité vient d’augmenter. Il est clair que cela aura une répercussion sur la production du pain en Côte d’Ivoire ». Ce sont là les plaintes de Marius Abbey, président de la Fédération interprofessionnelle des patrons boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire, joint par Nord-sud.info. L’Etat était parvenu à les calmer lorsqu’ils avaient menacé d’augmenter le prix de la baguette de pain. Mais, sans aucune aide substantielle, la suspension de la subvention du 6 milliards FCFA accordée aux meuniers étant levée. Le prix du sac de farine qui est passé de 21 000 à 25 000 F, pourrait encore augmenter.  A entendre M. Abbey, les Ivoiriens ne sont pas à l’abri d’une flambée des prix de leurs produits.

En attendant, la vague de hausses qui touche les autres produits sur le marché, semble incontrôlable. Le bidon d’huile de 45cl se vend à 800 F ; il faut acheter la boîte de tomate concentrée entre 600 et 700 F, le kg de sucre blanc à 1000 F. Quant au kg de la pomme de terre, il est passé de 500 à 1000 FCFA. Soit, des augmentations de 10 à 100%. Et ce n’est pas près de s’arrêter.

Que faire ? « Nous comprenons tous que l’inflation touche tous les pays du monde, à cause de la guerre en Ukraine. Mais, pour ce qui est de certaines hausses que nous constatons dans nos surfaces, elles sont du fait de la mauvaise foi», reconnaît Lamine Ouattara, Président du Conseil fédéral des commerçants de Côte d’Ivoire (CFC-CI). Qui note au passage, la défaillance des structures de défense des droits des consommateurs. Le droit du consommateur est-il en train de pâlir, noyé dans la vague inflationniste ? Même les associations de consommateurs sont divisées sur la question. Ben N’Faly Soumahoro, président de la Fédération ivoirienne des consommateurs le Réveil (FICR), également vice-président du Conseil national de la consommation, repositionne leurs organisations aux côtés de l’Etat. Ce qui n’était pas le cas, avant.  « Aujourd’hui, les associations de consommateurs sont associées aux prises de décisions, en amont. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous nous étendons de moins en moins dans la presse, parce que nous savons ce qui se passe », informe M. Soumahoro.  Ce que ces associations gagnent en termes d’informations auprès de l’Etat, elles le perdent en énergie aux yeux des populations, qui les considèrent de plus en plus comme des  structures contrôlées par les autorités, incapables de dénoncer.

En coupe réglée

Marius Comoé, Président du Conseil national des organisations de consommateurs de Côte d’Ivoire (CNOC-CI) va plus loin. D’après M. Comoé, de nombreuses associations ne remplissent plus leur rôle aujourd’hui. La faute à l’Etat lui-même qui est parvenu à les mettre en coupe réglée. Mais, souligne le Président du CNOC-CI, dans la lutte contre la cherté de la vie, le rôle des associations de consommateurs n’est pas de prendre des mesures. Ces structures dénoncent et rien d’autre. « Tout ce que nous constatons comme dérive, comme dysfonctionnement, doit être pris à bras-le-corps. Mais, la seule entité habilitée à agir, c’est l’Etat. C’est à lui de prendre des mesures et de les faire appliquer», détaille Marius Comoé. Le Conseil national de lutte contre la vie chère, le Conseil national de lutte contre la concurrence, le Conseil national de la consommation, les Directions générales du commerce intérieur et extérieur, sont pour M. Comoé, autant de structures mises en place par l’Etat pour soulager les populations, en cas de crise comme celle que le monde entier vit en ce moment. « Il faut savoir aujourd’hui ce que font exactement ces structures budgétivores, pour lutter contre la vie chère », relève-t-il. Mais que peut valablement faire ses organismes sur le terrain pour changer les choses ? Selon un proche collaborateur du ministre du Commerce, de l’industrie et de la promotion des PME, Souleymane Diarrassouba, les actions de terrains ont été intensifiées pendant cette période, plus qu’à aucun autre moment, dans la lutte contre la cherté de la vie. « Nous avons effectué plus de 100 000 contrôles, grâce au Conseil national de lutte contre la vie chère. Et ça continue. De nombreuses marchandises ont été saisies », explique notre interlocuteur. La lutte pour le respect des prix plafonnés par le gouvernement n’a jamais été relâchée, à l’entendre. « Un numéro vert a été mis à la disposition de la population pour dénoncer les cas de non-respect des prix plafonnés. Mais nous recevons très peu de cas de dénonciation », déplore notre source. L’autre problème de taille rencontré par le ministère du Commerce, à travers ses structures affiliées dans la lutte contre la vie chère, c’est le très faible effectif des agents de contrôle des prix qui n’atteignent pas le millier, pour des dizaines de milliers de commerces à suivre, rien que dans la ville d’Abidjan. Lorsque, bien sûr,  ce n’est pas leur intégrité qui est remise en cause. Le 9 septembre 2022, la Fédération nationale des commerçants et acteurs du commerce de Côte d’Ivoire (FENACACI) remettait un livre blanc accablant aux autorités ivoiriennes, sur les pratiques peu catholiques de certains contrôleurs du ministère du Commerces. Dans le livre, il y est mentionné des rackets de ces agents qui varient entre 10 000 et 300 000 FCFA. Détenteur également d’un des exemplaires du document, Marius Comoé se montre catégorique : « Le système de contrôle des prix des produits a montré ses limites ». Tout comme les acteurs du secteur le préconisent, pour Lamine Ouattara, Président du CFC-CI, la lutte contre la vie chère doit être avant tout l’affaire de l’Etat. Outre l’autosuffisance alimentaire que la Côte d’Ivoire poursuit, il y a aussi la construction de marchés, au dire du commerçant. « L’Etat gagnerait plutôt à offrir aux populations le maximum de marchés de proximité. C’est plus pratique dans la lutte contre la vie chère. Nous avons aujourd’hui un ratio très faible d’un marché aux normes pour 100 000 habitants. C’est très insuffisant », rappelle Lamine Ouattara. La Côte d’Ivoire envisage déjà la construction de plusieurs marchés. Mais, pour que toutes ces actions prennent, il faudra des années. D’ici là, les Ivoiriens devront serrer très fort la ceinture.

Georges Dagou

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