Le 15 juin dernier, la ministre de la Fonction publique et de la modernisation de l’administration a lancé 372 concours administratifs au titre de l’année 2021 pour 11 874 postes à pourvoir. C’est le baptême du feu pour Anne-Désirée Ouloto depuis sa prise de fonction à la tête de ce département le 6 avril. Elle ambitionne de faire de ces concours des ‘‘sésames’’ transparents, sans fraude, avec le retour de la méritocratie.
Mais, les Ivoiriens, eux, se sont déjà fait leur propre idée sur les concours d’entrée à la Fonction publique : il faut payer pour passer. Vrai ou faux ? Enquête.
En 2014, Pr Joseph Kaudjhis, directeur adjoint de cabinet du ministre de la Fonction publique d’alors, Cissé Ibrahim Bacongo, avait été l’un des premiers à évoquer publiquement les réseaux de fraude autour des concours administratifs.
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En février 2020, après une rumeur de fraude qui éclabousse le ministère de la Fonction publique, Oka Séraphin, le directeur de cabinet du ministre de la Fonction publique est un peu plus précis : il reconnaît qu’il existe bel et bien des réseaux de faussaires au sein même du ministère. L’un de ces réseaux est démantelé par le colonel Koné Zacharia, chef de l’unité de commandement et de soutien à l’armée de terre et ses services.
Pour comprendre ce phénomène, Nord Sud a contacté des sources, des travailleurs qui sont rentrés à la fonction publique via lesdits réseaux ou des candidats malheureux, qui ont «payé» mais qui ont été recalés.
Entrée au cafop : le prix à payer
Les Cafop, ce sont les centres d’animation et de formation pédagogiques. Ils forment les instituteurs de l’enseignement primaire. La pépinière de l’école ivoirienne. Mais pour le concours d’entrée dans ces centres, il existe plusieurs manières de contourner le système. Bema G., un pompiste quinquagénaire, livre son expérience. «À Boundiali, il y a deux réseaux par lesquels nous sommes déjà passés. Le premier réseau est géré par un politicien, le second est contrôlé par un fonctionnaire. Le politicien est un cadre de la ville qui veut aider ses proches. Il a donc une liste, chaque fois que les concours sont lancés. Si vous êtes sur sa liste, vous avez la chance d’être admis. Mais, il y a tellement d’intermédiaires, qu’il faut débourser entre 700 000 FCFA et un million FCFA pour y être inscrit. Beaucoup en profitent pour vous escroquer», explique-t-il. Il ajoute : «Le fonctionnaire, lui, exige entre un million et 1,5 million FCFA. Il affirme avoir des entrées au ministère de l’Education nationale. Dit-il la vérité ?»
Bema a déjà eu recours à toutes ces filières. A deux reprises. La première fois, c’était en 2013. Sa sœur cadette a été admise au concours après avoir payé la somme de un million de FCFA. La seconde fois, c’était en 2017, pour son neveu. La famille a déboursé 1,5 million FCFA. Mais, cette fois, le candidat a été recalé. Ils n’ont jamais été remboursés.

Infas : Payer pour devenir soignants
L’Infas, l’institut national de formation des agents de santé, n’échappe pas à ce système. Jonas, aujourd’hui infirmier, en témoigne. C’est en 2017 qu’il a été admis au concours en tant qu’infirmier. Il lui a fallu débourser deux millions de Francs CFA, à l’entendre. «On nous a mis en contact avec quelqu’un. Un intermédiaire, qui nous a dit que les enseignants de l’Infas ont droit à des quotas de places quand le concours est lancé. Il est donc entré en contact à son tour avec un enseignant de l’institut», explique Jonas. Une information que nous avons tenté de recouper au niveau de l’Infas. «Nous entendons dire que les enseignants ont droit à des quotas de places ici, mais ce n’est écrit nulle part», répond prudemment un membre de la direction de l’institut.
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Par ailleurs, d’autres fonctionnaires rencontrés ont désigné des directeurs de cabinets de certains ministères comme membres actifs de réseau de fraude. Les pots-de-vin réclamés tourneraient autour de un à deux millions de francs CFA.
Ens : Des réseaux gérés par des enseignants
Une autre école de formation où les réseaux de fraudes sont évoqués : l’ENS, l’école normale supérieure qui forme les professeurs des collèges et lycées. Dans ce réseau, ce sont des enseignants, c’est-à-dire les formateurs des formateurs, qui sont le plus pointés du doigt. Interrogé, le secrétaire général de la Coordination nationale des enseignants et chercheurs, section ENS, Professeur N’Guessan Kouamé, explique : «Nous entendons parler de fraude à l’ENS. Nous savons qu’il y a des manipulations de notes et que des gens en interne sont impliqués, mais il est difficile de citer des noms, parce qu’il faudrait ensuite apporter des preuves. Et c’est difficile dans ces circonstances». Toujours est-il qu’ici aussi, les candidats témoignent sous cape et affirment qu’on leur demande entre un et deux millions de francs CFA.
Ena : Toujours parmi les plus critiqués
L’un des concours où l’existence de réseaux est beaucoup plus décriée, c’est l’ENA, l’Ecole nationale d’administration. Ami. C., cadre au Trésor, affirme avoir déboursé 4 millions FCFA, par exemple, pour être admise au cycle supérieur. Elle avait déjà déboursé 2 millions FCFA auparavant. Elle avait été recalée. Son circuit ? Un des enseignants de l’Ecole, pour la première tentative. À la seconde, elle est passée par un bureau de parti politique.
Comme elle, de nombreuses personnes admises ou recalées évoquent l’existence de réseaux de fraude. Un des cadres de l’ENA témoigne sous le sceau de l’anonymat : «Chaque fois que le concours est lancé, il y a des listes qui viennent des ministères et même des institutions. Les personnes inscrites sur ces listes sont prioritaires. Certaines ne sont même pas obligées de composer ».
Police et gendarmerie : frauder à visage découvert
Le concours de la police et le concours de la gendarmerie ont aussi leurs réseaux. Des personnes impliquées dans l’organisation du concours sont prêtes à «aider» les candidats, sans même prendre de gants. Comme s’il n’était point besoin de se cacher. Avec le concours lancé il y a quelques semaines, il ne nous a pas été difficile de rentrer en contact avec un officier. Ce dernier a un contact chargé du «report des notes» des candidats, selon ses propres explications, lorsque ceux-ci finissent de composer. Pour des notes d’admissibilité, le candidat peut débourser jusqu’à 1,5 million de Francs CFA.
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À la police, les enchères peuvent monter davantage, jusqu’à 3 millions de Francs CFA pour accéder aux filières d’officiers et de commissaires.
Il faut cependant nuancer : si la fraude aux concours administratifs existe bel et bien, la proportion de fraudeurs dans les effectifs de l’administration ne peut être déterminée que par une étude sérieuse. Car il y a bel et bien des candidats admis à ces concours… sans débourser un franc.
Raphaël Tanoh
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