Devant son étal de viande de bœuf au marché d’Angré à Cocovico, Inoussa ne mâche pas ses mots : “ Le prix du kilo de viande de bœuf est à 3000f. Il y a quelques semaines, on vendait la même viande à 2500f. Le prix a augmenté à cause de ce qui se passe au Burkina, au Mali et au Niger. S’il n’y a pas de solutions, ça va augmenter encore plus’’.
Comme Mme Kouamé, sa cliente habituelle, de nombreux consommateurs peinent à établir un lien entre les tensions dans ces pays et la flambée des prix de la viande. Pourtant, le phénomène est bien réel. Interrogé sur le sujet, N’Dri Kouassi, président de l’Union des bouchers de Côte d’Ivoire, lève le voile. “ À cause du terrorisme, de moins en moins d’éleveurs au Burkina, au Mali et au Niger réussissent à réaliser correctement leurs activités et à avoir un bétail important. En plus les routes qu’ils doivent emprunter pour acheminer la viande vers la Côte d’ivoire ne sont pas sécurisées à cause des attaques des terroristes. L’offre de viande de mouton et de boeuf diminue et en plus, les rares éleveurs qui vendent leur bétail font un grand tour”.
Grand tour ? En effet, l’itinéraire habituel pour le convoyage du bétail a longtemps été les frontières qu’on en commun le Burkina ou le Mali avec la Côte d’Ivoire. Les voies menant à ces frontières étant le théâtre d’attaques teroristes, un nouveau trajet plus long est utilisé. Le circuit consiste à passer par ‘’ le Bénin pour arriver au Togo, au Ghana avant de rallier la Côte d’Ivoire’’.
Un circuit qui fait exploser les prix du transport. Résultat : une explosion des coûts de transport. ‘’ Alors qu’il fallait environ 700 000 F pour convoyer un camion de bétail, cette somme a désormais doublé, voire davantage ’’, précise N’Dri Kouassi.
Entre la rareté du cheptel et la hausse des coûts logistiques et de transport, la loi de l’offre et de la demande s’applique inexorablement, entraînant une inflation des prix de la viande en Côte d’Ivoire. Une situation qui pourrait empirer avec la percée du terrorisme qui continue d’amenuiser considérablement la production de bétail et par ricochet la disponibilité de la viande en Côte d’Ivoire causant ainsi une hausse de plus en plus accentuée du tarif du kilogramme de boeuf ou de mouton.
Divorce CEDEAO – Pays de l’AES : Le commerce de bétail fragilisé par l’instabilité régionale
Outre la menace terroriste, un autre facteur pourrait venir compliquer davantage la situation : le retrait officiel du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette décision pourrait-elle entraver le commerce du bétail avec la Côte d’Ivoire ? Si la Côte d’Ivoire dépend majoritairement des pays de l’hinterland pour ses besoins en bétail, cette relation commerciale a également été tributaire de l’appartenance des deux pays à la CEDEAO. Une communauté qui permet la libre circulation des biens et des personnes. L’actualité récente du Burkina Faso, du Mali et du Niger ayant été marqué par leur retrait officiel de l’organisation, le commerce du bétail entre les deux pays en a t-il fait les frais ? “Pour le moment le problème est resté politique et ne nous a pas touché, nous les commerçants. Avant nous avions plusieurs dizaines de camions de bétail en provenance du Burkina, du Mali et du Niger qui nous ravitaillaient. Aujourd’hui chaque semaine nous avons tout au plus un seul camion du Burkina et un seul du Mali, il n’ y a que le Niger qui nous apporte deux à trois camions. Ceux qui sont assurés de ne pas rencontrer des terroristes sur la route viennent par la frontière avec la Côte d’Ivoire directement et tout se passe bien comme avant. Les autres font le grand tour par le Bénin”, explique Abdourahmane Diallo, bouvier et commerçant de bétail.
En l’état actuel, conformément au communiqué de la CEDEAO qui maintient la libre circulation des biens et des personnes avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), c’est le statu quo. Dans l’éventualité que la situation change et que les pays de l’AES ne bénéficient plus de cette disposition, les acteurs du marché du bétail craignent pour leur business. “ S’il n’ y a plus cette libre circulation, il y aura beaucoup de taxes, de frais de douanes et cela va se répercuter sur le prix de la viande. Si le terrorisme continue, il y aura moins de bétail et les rares éleveurs qui en auront et qui feront le grand tour devront payer des taxes à 3 frontières : Bénin, Togo, Ghana en plus de la Côte d’Ivoire. Le prix de la viande sera donc très élevé en Côte d’Ivoire. On espère que ce problème va rester politique et ne nous touchera pas sinon notre activité sera menacée”, souligne Diallo.
L’autosuffissance en viande : le remède…
L’unique ébauche de solution demeure l’atteinte de l’autosuffisance en viande, explique le président de l’union des bouchers de Côte d’Ivoire. ‘’ Comme ça a été fait pour le poulet alors qu’on dépendait de ces pays, il faut que la volonté politique et l’intérêt des entrepreneurs permette à la Côte d’Ivoire de se suffire. Ça ne va pas se faire en quelques années mais il faut commencer maintenant pour éviter les problèmes qui arrivent avec nos forunisseurs”.
Pour Abdourahane Diallo, il faut intéresser les jeunes à la filière avant que le pire n’arrive. “ La viande de boeuf est passée de 2500f à 3000f, la viande de mouton est passée de 3500f à 5000f, et ce n’est que le début si la situation ne change pas. Il faut les jeunes s’intéressent aussi à l’élevage sinon dans quelques années la situation risque d’empirer.”
Le Ministère des ressources animales et halieutiques a donc du pain sur la planche pour la mise en place d’une politique publique pour sécuriser l’approvisionnement et préserver le pouvoir d’achat des consommateurs. En attendant, les indicateurs sont au rouge pour la fête de Tabaski en Juin prochain, une période habituellement propice à la surenchère sur le prix de la viande.
Charles Assagba