Depuis plusieurs années, les effondrements d’immeubles en Côte d’Ivoire soulèvent d’énormes questions. Pourquoi le phénomène continue ? Qui est fautif ? Quelles sont les sanctions prévues ? Enquête.
Le 15 novembre dernier, à Yopougon, deux immeubles situés en bordure d’une grande voie de circulation se sont effondrés, causant des dégâts matériels importants. S’il n’y a pas eu de perte en vies humaines, c’est parce que le périmètre avait été évacué quelques jours plus tôt par des éléments du Groupement des sapeurs-pompiers. Diagnostic du chef de service de la brigade d’investigation et de contrôle urbain de l’antenne de Yopougon : «C’est suite aux travaux de modification du rez-de-chaussée du bâtiment en bordure de route, entrepris par le propriétaire des immeubles, que trois poteaux ont été sectionnés, fragilisant ainsi la structure du bâtiment qui s’est finalement affaissé».
Pour Yao Ngoran, c’est «au mépris des recommandations d’arrêt du chantier, faites par la brigade», que le propriétaire de la bâtisse a poursuivi les travaux, conduisant ainsi à l’incident.

Deux semaines plus tôt, un immeuble s’écroulait à Abobo-Baoulé-extension, faisant trois morts et plusieurs blessés. Une enquête a été ouverte pour élucider les circonstances de ce drame. Le propriétaire du bâtiment en construction et le chef chantier ont été interpellés pour homicide involontaire.
Avant ce drame, le 27 octobre, un autre immeuble s’effondrait sur une buvette dans la commune de Yopougon, précisément au quartier Cité-verte à Niangon. Bilan : deux morts, dont un bébé.
Qui ne se souvient pas de l’effondrement de l’immeuble à Yamoussoukro, en juin 2018 qui a fait une dizaine de morts ? Pourquoi tant de bâtiments s’effondrent-ils au fil des années sur le sol ivoirien. Faut-il craindre le pire ?
Laboratoire du bâtiment
Il y a quelques années, Amédée Koffi Kouakou, quand il était directeur général du Laboratoire du bâtiment et des travaux publics (Lbtp) expliquait les causes de ces drames. Il pointait des fondations pas du tout adaptées, des matériaux qui ont été utilisés et qui ne sont pas conformes aux normes qui existent. Notamment, le sable, le gravier, le ciment, le fer à béton. Et, selon l’actuel ministre de l’Equipement et de l’entretien routier, l’entreprise chargée de construire le bâtiment n’a souvent pas la qualité requise.
Mis à l’index, l’ordre des architectes de Côte d’Ivoire est sorti de son silence. Abdoulaye Dieng, le président du Conseil national de l’ordre des architectes (Cnoa), dénonce plutôt des pseudos architectes qui usurpent leur titre et salissent leur nom. «Les architectes d’intérieur ne sont pas des architectes», signale le président du Cnoa. Avant de noter : «L’architecte d’intérieur, à la différence de l’architecte, ne peut que modifier et penser exclusivement l’aménagement intérieur. Il n’est ni habilité à intervenir sur les structures d’un bâtiment ni sur la construction». Malheureusement, selon lui, ils sèment la confusion et induisent de nombreuses personnes en erreur. D’après M. Dieng, «les conséquences de ces dysfonctionnements sont apparues très rapidement sur le terrain avec les effondrements d’immeubles à répétition».
Exercice illégal
L’Ordre des architectes affirme avoir été ainsi saisi de plusieurs cas de sinistres dûs aux architectes d’intérieur qui se sont essayés à concevoir des projets de constructions non viables. L’Ordre des architectes s’engage dorénavant à poursuivre au pénal tous ceux qui se livreraient à l’exercice illégal de la profession d’architecte.
Au niveau du ministère de la Construction, du logement et de l’urbanisme, on durcit également le ton. «Le ministère ne cesse de sensibiliser sur l’importance de l’adoption des bonnes pratiques. Le 28 septembre dernier, à la cérémonie de remise de matériel à la brigade de contrôle de Cocody, le ministre Bruno Nabagné Koné rappelait à juste titre certaines exigences en la matière : toute construction au-delà d’une certaine superficie doit obligatoirement obtenir un permis et être soumise à l’expertise d’un architecte», a rappelé un proche collaborateur du ministre, ce jeudi.

En plus de ces messages de sensibilisation, dit-il, le ministère s’est doté d’un important arsenal juridique qui protège les usagers dans leur ensemble. D’après notre source, le Code de la construction et de l’habitat adopté par les deux chambres du parlement ivoirien dispose en son article 2 que : «Quiconque désire entreprendre une construction à usage d’habitation ou non, doit au préalable obtenir un permis de construire (…) Le permis de construire est exigé sur toute l’étendue du territoire national, notamment pour, la construction de tout bâtiment; toute extension d’un bâtiment ; les travaux exécutés sur les constructions existantes, lorsqu’ils ont pour effet d’en changer la destination, d’en modifier la structure, l’aspect extérieur, le volume ou la distribution intérieure, les clôtures…», énumère notre interlocuteur.
Ingénieur-conseil
Plus loin, à l’article 52, le Code prévoit que toute construction nouvelle, ou toute modification d’une construction ancienne, doit être soumise, au contrôle d’un ingénieur-conseil ou d’un bureau de contrôle. La demande de permis de construire ou de modification ne peut être instruite que si le promoteur a fait appel aux services d’un ingénieur-conseil ou d’un bureau de contrôle agréé, pour le suivi des travaux de l’ouvrage.
«Selon les articles 56 à 59, l’ingénieur-conseil et les bureaux de contrôle ont pour mission de garantir la qualité de la mise en œuvre du bâtiment (…) À la fin du chantier, ils délivrent une attestation de bonne exécution des travaux, complétant les conditions d’obtention du certificat de conformité», ajoutent les services techniques du ministère de la Construction.

«Si le maître d’ouvrage refuse de se conformer aux prescriptions qui visent à garantir la stabilité du bâtiment, l’ingénieur-conseil et les bureaux de contrôle sont tenus d’informer par écrit le Guichet unique du permis de construire ou ses guichets déconcentrés. Dans ce cas, le Guichet unique du permis de construire ou ses guichets déconcentrés procèdent à l’arrêt immédiat du chantier», prévient le ministère. Qui insiste : «l’ingénieur-conseil et les bureaux de contrôle sont responsables de la stabilité du bâtiment».
Beaucoup de personnes, regrette le ministère de la Construction, ne se conforment pas aux dispositions du Code de la construction. «La raison principale qu’ils évoquent, c’est que cela coûte cher. C’est pour cela que le ministère de la Construction a réduit ces coûts. Le coût total des honoraires de l’ingénieur-conseil, du bureau de contrôle agréé et du bureau de contrôle normalisation des risques ne doit pas excéder 5% du coût du bâtiment toutes taxes comprises», signale notre source. Mais le ministère compte sévir. Alors, à bon entendeur…
Raphaël Tanoh