Enquête/Enlèvements: Pourquoi les femmes sont accusées

par nordsud.info
Publié: Dernière mise à jour le 175 vues

À Abidjan, les gens qui disparaissent sont très souvent retrouvés. Morts ou vifs.  Plusieurs de ces cas sont qualifiés, à tort ou à raison, d’enlèvement en vue de sacrifice rituel. Avec l’avènement des réseaux sociaux, le moindre fait est amplifié et la psychose gagne de plus en plus la population. Enquête sur un phénomène aux multiples visages.

Septembre 2012 : un garçon de 5 ans est retrouvé dans un champ, à Bonoua, l’abdomen ouvert, avec plusieurs organes disparus. Le meurtrier, un déséquilibré mental, avoue avoir pratiqué ces mutilations et bu le sang de l’écolier pour mieux réussir dans ses opérations sur Internet. L’année 2014 a particulièrement marqué les Ivoiriens avec une série d’assassinats d’enfants. Des enlèvements suivis de mutilations. Obligée de monter au créneau, la police nationale, par le biais de son directeur général, Bredou M’Bia, avait qualifié le phénomène de «réel et inhabituel». Et puis, il y a eu ce crime crapuleux perpétré fin février 2018 sur le petit Bouba, retrouvé, les membres ligotés et la gorge tranchée et enterré à Angré dans le quartier de Cocody. Selon le meurtrier, un bijoutier de 27 ans arrêté, il a tué l’enfant pour devenir riche.

Plusieurs années après, la psychose des enlèvements envahit de nouveau les Ivoiriens. Particulièrement, les Abidjanais.

Yopougon : La psychose des enlèvements

Groupe scolaire Nid de Fatima, Yopougon-Wassakara. Ce lundi 7 février, autour de 7 heures du matin, une scène peu commune alerte les passants. Un homme est en train de se faire tabasser par la foule. Ses lyncheurs crient, «voleur d’enfant !» L’homme aura la vie sauve grâce à une patrouille de la police municipale de Yopougon de passage. L’information se répand alors comme une trainée de poudre. Certaines structures de défense de droits de l’homme relaient les faits. Un homme a pénétré dans un établissement scolaire et a essayé d’enlever deux gosses. Que comptait-il en faire ? Les vendre ? Un sacrifice rituel ?

Pour comprendre ce qui s’est passé, nous nous sommes rendus ce 21 février au groupe scolaire, Nid de Fatima. Revenus des congés de février, les élèves sont en classes. Certains, dans la petite allée cimentée jouent, sous la supervision d’une dame vigilante. L’établissement est une primaire complète, de la maternelle au CM2.  De petits locaux un peu à l’étroit mais confortables. À l’entrée de la petite cour, se trouvent les bureaux du directeur de l’établissement, Fofana Ibrahima. Il relate ce qui s’est passé ce lundi 7 février. «J’étais dans mon bureau lorsque j’ai entendu l’une des maitresses crier en sortant de la cour aux pas de course. Je l’ai suivie et j’ai vu qu’elle poursuivait un jeune homme. L’homme était entré dans l’enceinte de l’école en se faisant passer pour un parent. Il avait approché deux élèves en douce, quand la maitresse l’a aperçu. Alors, il s’est sauvé. Lorsqu’on l’a attrapé, il avait des bracelets en mains», explique-t-il.

Voleur d’enfants

Selon lui, dès que le voisinage a entendu crier voleur d’enfant, les gens se sont rués sur le type, jusqu’à ce que la police l’amène. Était-il un voleur d’enfants ? Débolo Coulibaly, le directeur de la police municipale de Yopougon, se veut prudent. Ce sont ses hommes qui ont tiré le monsieur des griffes de la foule déchainée. «Difficile pour nous de dire si c’était un voleur d’enfant. On était sur le point de l’interroger lorsque le 16ème arrondissement de Yopougon est arrivé pour l’amener», nous indique-t-il dans son bureau, situé à quelques encablures de là.

Au 16ème arrondissement, selon un officier de police, le client n’était pas venu voler les enfants. «Dès qu’on l’a attrapé, il a très vite confessé s’être introduit dans la cour pour voler des bracelets sur les poignets des enfants», souligne notre source. C’est donc sous le chef d’accusation de vol, que son procès-verbal a été tapé. L’individu se nomme Serges Tao, la trentaine. Il est par ailleurs passé devant le tribunal de première instance de Yopougon, le 16 février dernier, d’après notre source policière. Et a été condamné à 6 mois de prison fermes avec une amende de 50 000 FCFA. Serges Tao aurait dit au juge qu’il a tenté de voler les bracelets sur les poignets des enfants pour les vendre et soigner ses deux gosses malades. Une explication, d’après des témoins, que le tribunal a trouvé étrange, au point où le juge a demandé si Tao était saint d’esprit.

Serges Tao est-il simplement un voleur de bracelets ou en réalité un enleveur d’enfants qui a su se tirer d’affaire ?

Femme enlevée

Quoi qu’il en soit, d’après Débolo Coulibaly, c’est la psychose à Wassakara à Yopougon. Des faits d’enlèvements de personnes sont couramment rapportés sur les réseaux sociaux. Nous avons rencontré Amani Bénédicte Aquici, épouse Oué, présidente de l’ONG Foundi, spécialisée dans la défense des droits humains, la protection de l’enfance et la lutte contre les violences conjugales. Amani Bénédicte explique avoir déjà recensé un certain nombre de cas d’enlèvements qui lui ont été rapportés. «Ce sont des cas qui sont signalés mais très difficiles à confirmer», explique-t-elle.

Selon elle, alors qu’elle empruntait un taxi, le 10 février dernier, le chauffeur lui a dit qu’il venait d’assister à une scène d’enlèvement, au niveau du marché de Wassakara. Le chauffeur de taxi lui aurait expliqué qu’une femme s’est faite enlever aux environs de 5h, par des hommes en voiture. (Des faits que nous n’avons pas pu vérifier).

Le chauffeur a-t-il réellement vécu ces faits ? Si non, quelle raison aurait-il eu de mentir ? «Je me suis posé la même question, parce qu’il m’a conseillé de rester prudente», note la présidente de l’ONG Foundi. «En général, ce qui traverse l’esprit des gens lorsque des enlèvements sont signalés, ce sont des crimes rituels, parce qu’il est très rare qu’un enlèvement soit suivi d’une demande de rançon», souligne Bénédicte Aquici. Avant de souligner qu’il y a de nombreux cas de fugue.

Selon la présidente de l’ONG Foundi, en 2015, son propre frère a été victime d’une histoire similaire. «Un jour, pour des caprices de grossesse, il s’est fâché avec sa femme. En revenant du boulot, il constate qu’elle est partie vivre chez sa sœur. Alors, autour de 23h30, il sort pour prendre un taxi pour la rejoindre. Il habitait Yopougon toit-rouge, en face de Segbé. D’après ses explications, un véhicule est venu garer devant lui, le chauffeur a braqué une arme sur lui et lui a demandé de monter dans la voiture. Il s’est retrouvé à l’arrière. Il y avait un homme du même âge que lui qui était déjà ligoté. On les a conduits dans la forêt du Banco. Lorsqu’ils sont arrivés, selon son récit, ils ont trouvé un autre homme, plus âgé sur place. Et leurs kidnappeurs amenaient deux jeunes dames au fond de la forêt. On les a fait coucher sous la surveillance d’un homme. Comme mon frère était pompier, ils ont attendu le bon moment pour attaquer leur garde. Lui et le jeune homme se sont enfuis, mais le vieil homme est resté. Il est allé porter plainte à la police. Quand les policiers sont revenus sur les lieux, il n’y avait plus personne», relate-t-elle.

Au 16ème arrondissement, des cas de disparitions sont souvent signalés. Les parents attribuent cela en général à des cas d’enlèvement. Mais, par la suite, les personnes sont retrouvées et on comprend alors que c’était simplement des cas de fugue, ou des enfants qui s’étaient perdus. 

Ce qui crée la psychose, au dire de notre informateur au 16ème arrondissement, ce sont les personnes qui signalent les disparitions sur les réseaux sociaux. «Le souci, c’est que la personne est souvent retrouvée. On se rend compte que c’était une erreur. Mais il faut le signaler pour que les gens le comprennent. Beaucoup ne le font pas et la psychose reste pour les personnes qui ont vu l’information», conclut notre informateur. 

Raphaël Tanoh

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