Impossible de mettre la main sur le présumé réseau d’enleveurs de personnes qui sème le trouble à Abidjan. Seulement des mises en scène.
Le 18 février 2022, une élève de 18 ans s’est rendue au commissariat de police de Sikensi pour déclarer qu’elle venait d’être relâchée par ses ravisseurs, qui l’auraient enlevée depuis le mardi 15 février 2022. « (…) Les investigations menées ont révélé qu’elle était constamment en contact avec ses amis dont 6 filles et 1 garçon», souligne une note de la police nationale. «Questionnée sur les incohérences des déclarations, elle a fini par avouer qu’elle n’avait pas été enlevée mais plutôt qu’elle était avec ses amis dont 6 filles et 1 garçon», termine le document de la police.
Afin de comprendre tous les contours de ce phénomène, nous nous sommes adressés officiellement à la direction générale de la police nationale (voir courrier), qui n’a pas daigné répondre. Alors, nous nous sommes adressés à un officier supérieur qui a accepté de parler sous le sceau de l’anonymat. D’après l’officier, il faut séparer les cas d’enlèvements auxquels les Ivoiriens sont confrontés aujourd’hui. Il y a des gens, à l’entendre, qui se sont spécialisés dans les demandes de rançon. En octobre 2021, selon lui, la police a arrêté une ravisseuse, qui s’était spécialisée dans l’enlèvement des bébés, dans plusieurs communes d’Abidjan. Après son forfait, elle réclamait une rançon. Un modus operandi qui tend à prendre de l’ampleur. «Ce sont des cas qui ne vont pas jusqu’à l’homicide. En général, la victime est retrouvée saine et sauve. La motivation des enleveurs reste l’argent. Et si vous fouillez bien, vous trouverez un proche de la famille mêlé à cela. Les enlèvements avec rançon sont une pratique qui a été importée. Ce n’est pas une habitude en Côte d’Ivoire», explique notre interlocuteur.
Enlèvement d’adultes
La cible de ces personnes sont les enfants, dit-il, parce que facile à influencer et à enlever. Mais, ça pourrait très vite évoluer vers les adultes, avec la professionnalisation des acteurs. Par ailleurs, signale-t-il, des enlèvements de personnes sont rapportés à l’extrême nord du pays, qui fait frontière avec le Burkina Faso. Ces enlèvements sont suivis d’une demande de rançon.
Une autre tendance dans ce registre relevée par la police, d’après notre interlocuteur, ce sont les enlèvements de nourrissons par leurs nounous. «Mais, ce sont des phénomènes circonscrits. Jusque-là, les personnes arrêtées ont exprimé des motifs d’enlèvement différents. Parfois, c’est parce que la nounou s’est prise d’affection pour le bébé, parfois c’est pour demander une rançon. Ou, pour vendre l’enfant. Le plus souvent, la nounou seule est impliquée dans l’enlèvement, donc difficile d’établir l’existence d’un réseau », ajoute-t-il. Et l’officier de poursuivre : «dans 90% des cas, ce sont les femmes qui sont derrière ces enlèvements.»
Qu’en est-il des enlèvements suivis de crimes rituels ? Selon lui, ils existent bel et bien en Côte d’Ivoire. En témoignent, poursuit l’officier, les crimes crapuleux recensés en 2014, 2015 et 2018. «Mais ce sont des choses qui ont toujours existé dans notre culture. Le sacrifice humain. Seulement, ils ne sont pas le fait de bandes organisées, comme on l’entend souvent. Les individus arrêtés pour ce type de crimes ont agi de façon isolée. On a souvent vu qu’ils n’étaient pas normaux. Et cela fait environ trois ans que le phénomène a cessé. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est une psychose qui est créée volontairement. La période électorale est en général celle que les gens utilisent pour faire courir les rumeurs. Mais cela se fait maintenant à tout temps».
Sociologue
Pourquoi ? Dr Karamoko Vasséko, sociologue à l’Université Félix Houphouët-Boigny, explique cette tendance. La plupart des cas d’enlèvements qui se sont avérés être des mensonges, à l’entendre, implique des femmes. La femme, au dire de l’expert, est présentée comme un bien moral dans la société. Dans ce contexte, tout ce qu’elle fait choque beaucoup plus, par rapport à l’homme. Que ce soit l’infidélité ou le mensonge. Ainsi, pour cacher une mauvaise action, elle est amenée à mentir, d’après le sociologue. Et comme elles sont enclines à copier, on a vu des cas de présumé enlèvement revenir de plus en plus comme explication. «Si vous le remarquez également, les femmes sont beaucoup plus attachées à l’utilisation des nouvelles technologies de la communication et de l’information pour s’exprimer», ajoute Dr Karamoko Vasséko. Dans la diffusion des rumeurs, elles sont ainsi en premières lignes. Le 23 février dernier, en marge du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, a mis en garde tous ceux qui font courir des rumeurs sur les enlèvements pour créer la psychose. Ils seront punis conformément à la loi. Eh bien, le gouvernement sait où regarder.
Raphaël Tanoh