Reportage: Les dames qui donnent le sourire aux morts

par nordsud.info
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Vues comme des personnes particulières, certaines femmes gagnent leur vie grâce à la confection de vêtements pour les morts. Avec la rentabilité du secteur, il leur arrive même d’élargir leurs services. Immixtion dans un milieu singulier.

Installé dans le prolongement du groupe scolaire Offoumo Yapo, à Yopougon ‘‘toits rouges’’, l’atelier de Germaine Ada est une pièce jouxtant le salon de sa maison. Ancienne couturière des tenues de mariage et de soirée, cette sexagénaire confectionne aujourd’hui des vêtements pour défunts. Et ce, depuis 15 ans. Avec, sous sa coupole, trois employés, tous des jeunes en quête d’emploi, elle est parvenue à asseoir sa réputation, jusqu’en dehors de la capitale économique. On la sollicite depuis Bouaké, Man, Duékoué et même à la frontière avec le Ghana. Son secret ? Le service complet. En plus de la confection des vêtements, elle maquille les morts, fait la décoration des chambres mortuaires.

Ce mardi 20 septembre 2022, l’atelier est jonché de morceaux de tissus. Des vêtements déjà confectionnés sont rangés dans un petit placard au mur. Sur un coin du mur, on peut voir des objets de déco. Sur l’unique machine à coudre de l’atelier, Germaine Ada s’attelle à terminer, dans les délais, une commande.

Il s’agit d’une robe bleu-blanc, gonflée, avec des dentelles, proposée par les parents de la défunte. Elle doit la livrer à temps. «On dit que les tailleurs mentent comme des arracheurs de dents, parce qu’ils donnent des faux rendez-vous aux clients. Mais, dans mon métier, l’erreur n’a pas sa place. Quand vous donnez un rendez-vous, le vêtement doit être prêt, parce que l’inhumation n’attend pas », explique-t-elle.

Pour chaque commande, il lui faut deux jours pour terminer la confection des vêtements. Ce qui demande du temps.

La couturière

Avec une moyenne de cinq commandes par semaine, Ada Germaine s’installe parfois devant sa machine, de 6 heures pour ne se reposer qu’autour de minuit. En quoi un vêtement de défunt est-il différent d’un vêtement ordinaire ?

«Pour un mort, on utilise plus de tissus. Si c’est une robe, par exemple, nous prenons la poitrine 100 pour le cadavre. Parce qu’avant de lui porter les vêtements que je couds, le cadavre doit porter quatre ou cinq vêtements d’abord. Si c’est une robe, elle portera par exemple quatre robes, avant que je lui enfile sa tenue. Pour l’homme, il portera cinq pantalons. C’est pour cela que leurs vêtements doivent être plus volumineux, donc plus de tissus », détaille Germaine Ada.

En plus de ces précisions, la couturière souligne que les vêtements des défunts sont toujours fendus par derrière, avec une fermeture éclair pour pouvoir les habiller facilement.

Ici, le choix du pagne est important. Il y a du Kita, du pagne ‘‘Babangida’’, de la dentelle, etc. Germaine Ada dispose de ces variétés de pagne installées sur ses étagères. 

Lorsque les clients arrivent, elle leur demande de choisir. Parmi les couleurs, le blanc domine.

« Pour des vêtements de défunt, il faut des couleurs gaies. C’est pour cela que nous n’utilisons pas du noir », ajoute-t-elle. Les clients les plus exigeants demandent d’accompagner le vêtement par un chapeau de rois ou une coiffe dorée, pour les femmes. Les vêtements sont le plus souvent accompagnés de perles décoratives, de satin.

Ses tarifs ? 15.000 FCFA pour un vêtement, lorsque c’est le client qui apporte le tissu. Sinon, c’est 50 000 FCFA.

Mise en bière

 Cette dame travaille presque sans répit. Les week-ends, elle porte son manteau de thanatopracteur, pour la mise en bière (Le thanatopracteur a pour mission principale de prodiguer des soins sur le corps d’un défunt en vue d’assurer sa conservation jusqu’à l’heure de la mise en bière).  Les familles qui la sollicitent lui demandent un package, en général. Elle confectionne les vêtements du défunt, fait la mise en bière ainsi que la chambre mortuaire, pour l’exposition du corps. Cette chef d’entreprise se déplace avec ses trois autres employés, plus spécialisés dans la décoration.

Parmi eux, Aké Roland, la vingtaine déjà consommée. En même temps qu’il aide Germain Ada dans la couture, c’est un décorateur hors pair. Les week-ends, il va avec sa patronne sur le terrain. « C’est un métier comme tout autre. Mais qui demande beaucoup d’efforts», explique le garçon. Il n’a pas l’air gêné d’apprendre auprès de Mme Ada. Bakayoko Lamine travaille également avec Germaine Ada, mais uniquement pour ce qui est de la décoration. « C’est un travail qui demande de l’imagination. Il faut être créatif », note-t-il.

La mise en bière d’un corps rapporte à Germaine Ada et sa petite structure, 50 000 FCFA. « J’ai besoin pour cela de savon, de parfum et de sous-corps », précise-t-elle. Quand elle finit, il faut se laver avec de l’eau de javel. Elle n’est pas superstitieuse. Ces précautions sont prises pour se débarrasser de l’odeur et des germes de morts. Le coût de la décoration varie entre 15 000 et 50 000 FCFA, d’après notre hôte. Et elle croule sous les sollicitations. « C’est un métier qui nourrit son homme. Grâce à ça, j’ai construit ma maison », indique-t-elle, toute satisfaite.

Les préjugés?  Autour d’Ada Germaine, beaucoup pensent qu’elle a un secret pour exercer ce métier.  « Mais c’est faux. Je suis une bonne chrétienne. J’ai seulement un don», lâche-t-elle.

Musulmans

Elle n’est pas la seule à exercer ce métier. À Abobo BC, celle qu’on appelle affectueusement dame Alice Adjé s’est lancée dans ce travail, il y a environ 7 ans. D’Anyama, elle a déménagé son atelier dans le coin, sans pour autant rompre avec sa clientèle habituelle. Contrairement à Ada Germaine, Alice Adjé s’est spécialisée uniquement dans la couture de vêtements pour morts. « Au début, mon mari me faisait des reproches sur mon choix. Il me disait que ça va me porter malheur. Lorsqu’il a vu ce que cela rapportait, il m’encourage aujourd’hui. Je peux gagner parfois jusqu’à 300 000 FCFA dans le mois », indique la dame, autour de la cinquantaine. À l’entendre, beaucoup de personnes viennent prendre des astuces avec elle pour se lancer elles aussi dans ce business.

« Je vois ce métier comme une manière de rendre service aux gens, de rendre les derniers instants des morts, beaux. Mais il faut avoir un bon karma avec les morts, sinon ne le faites pas », conseille-t-elle. Même si la plupart de ses commandes viennent de familles chrétiennes, Alice Adjé informe qu’il lui est arrivé de coudre des boubous pour des familles musulmanes, afin d’ensevelir leurs morts.

La demande ne fait que croître. Est-ce si important de redonner le sourire aux morts avant de les conduire à leurs dernières demeures ? Pour Blaise Ouélé, pasteur de l’Église évangélique ‘‘Les ouvriers du Christ’’, l’habillage et le maquillage des corps n’a rien de religieux. « On le fait pour une bonne présentation, avant l’enterrement, afin que les gens retiennent cette image du défunt», indique-t-il.

Bacoundi Ouattara, imam de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) souligne que chez les musulmans, point besoin de maquillage. « Le boubou suffit pour habiller le corps. Après l’avoir revêtu de drap de sorte à former un chiffre impair pour les hommes et un chiffre pair pour les femmes», indique l’imam.

Mais, tous saluent le travail de ces femmes qui donnent le sourire aux morts.

Raphaël Tanoh

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