Reportage/ Région du Gbêkê: Comment l’opposition a préparé le boycott des élections

par nordsud.info
Publié: Dernière mise à jour le 85 vues

Lancé le 20 septembre dernier par l’opposition, l’appel à la désobéissance civile a déjà fait de nombreuses victimes. 85 morts, 242 blessés et d’importants dégâts matériels, selon le gouvernement ivoirien. Alors que la Côte d’Ivoire se relève progressivement de ce mouvement qui a baissé en intensité, il est bon de savoir comment le PDCI-RDA et ses alliés de l’opposition ont préparé cette descente aux enfers notamment dans les localités de Botro, Diabo, Languibonou, Brobo et dans les sous-préfectures de Béoumi, Sakassou où il n’y a pratiquement pas eu de vote à l’occasion de la présidentielle du 31 octobre 2020.

           Esprits d’une transition

Tout commence en réalité à Bouaké, un semestre avant les élections du 31 octobre 2020. L’opposition ivoirienne prépare l’opinion, notamment les esprits de ses partisans à un boycott «par tous les moyens» des élections.  Rien, en ce moment là, ne présage une telle option radicale, le dialogue avec le régime n’étant pas en panne.  Mais déjà, certains chuchotent : Des militants qui sont, semble-t-il,  dans les secrets, rapportent qu’il y aura une transition qui va se faire sans Alassane Ouattara. Cette transition sera dirigée par des hommes qui sont déjà connus avec des noms qu’on retrouvera plus tard sur une liste d’un gouvernement dit de transition qui circulera sur la toile. «Tout est bouclé, il ne reste qu’à s’entendre sur le nom du président de la transition. Certains veulent que ce soit Soro Guillaume. D’autres Laurent Gbagbo. Mais le vieux (ndlr, Konan Bédié) n’a pas encore accepté. Mais ce sera certainement Tidjane Thiam. Soyez sûrs, il aura une transition», rapporte confiant un militant du PDCI-RDA. On croit tous à une causerie de bistrot. Et pourtant…

La liste des candidats est publiée par le Conseil constitutionnel le lundi 14 septembre 2020. Sont retenus comme candidats à l’élection présidentielle d’octobre 2020 Pascal Affi N’Guessan (FPI), Henri Konan Bédié (PDCI), Kouadio Konan Bertin (Indépendant) et Alassane Ouattara (RHDP), Président de la République sortant. Sont rejetées les candidatures de Guillaume Kigbafory Soro, Albert Mabri Toikeusse, Mamadou Koulibaly, Amon Tanoh Marcel et de Laurent Gbagbo. En colère et contre toute attente Bédié et ses alliés de l’opposition décident de passer à l’action de la désobéissance civile puis du boycott actif.

  Des idées à l’action

17 septembre 2020. C’est Guillaume Soro, l’ex-président de l’Assemblée nationale en rupture de ban avec Alassane Ouattara qui appelle depuis son exil parisien à une union sacrée pour barrer la route à un “3ème mandat” à son ex-mentor. Pas en le battant dans les urnes, mais en faisant tout pour ne pas que les élections aient lieu le 31 octobre 2020.

20 septembre 2020

Henri Konan Bédié appelle au nom de l’opposition à la désobéissance civile. Les ivoiriens dans leur très grande majorité ne suivent point ce mot d’ordre. Son discours va prendre une forme plus dure le 15 octobre 2020, à l’ouverture de la campagne électorale, par un appel au boycott actif. 

 Mot d’ordre

«Nous invitons nos militants à mettre en application le mot d’ordre de boycott actif par tous les moyens légaux à leur disposition afin que le pouvoir actuel consente à convoquer l’ensemble des forces politiques nationales afin de trouver des solutions acceptables à toutes les revendications de l’opposition.», lance Pascal Affi N’guessan, porte-parole de la plateforme de l’opposition au domicile d’Henri Konan Bédié.  

Maurice Kakou Guikahué fait partie des personnes déférées.

Feuille de route

Ce mot d’ordre est suivi d’une feuille de route stratégiquement élaborée par un état-major qui est mis sur pied, piloté par des personnes du sérail pour faire tomber le régime et organiser une transition. On le comprendra dans sa mise en œuvre dans les localités de Botro, Béoumi, Sakassou, Diabo, Brobo, Daoukro, Djebonoua, Yamoussoukro, Languibonou, Mbahiakro.

Il s’agit d’empêcher par tous moyens la tenue de toute opération liée au vote. Pour cela, il faut empêcher le convoyage et la distribution de tout matériel électoral. Il faut empêcher donc la distribution et le retrait des cartes d’électeurs, l’affichage électoral, empêcher, par tous les moyens, y compris illégaux, les meetings de campagne.

Stratégie

Pour le faire, des personnes spécialisées dans leur domaine sont recrutées, convoyées, instruites, encadrées et rémunérées. Ces individus doivent par la dissuasion, la violence, les intimidations empêcher la tenue régulière des élections. Ils sont préparés et missionnés pour ériger des barricades, incendier, faire usage des armes blanches ou à feu. Un habitant de Sakassou explique qu’un commerçant dit avoir vendu en un tour de bras une centaine de machettes au marché dominical de Sakassou le week-end précédent les élections. C’est bien plus tard qu’il fera un lien entre cette vente extraordinaire et les événements qui sont survenus.

Sur le terrain, l’on constate que les manifestants obéissent à une hiérarchie, généralement structurée autour des instances locales du parti, le PDCI-RDA à savoir les secrétaires de sections  et les responsables de jeunesses chargés d’exécuter sur le terrain une véritable guérilla. Dans les zones rurales, d’ordinaire tranquilles, l’impact de ces incidents est durement ressenti.  

Témoignages

Le ministre Sidi Touré, directeur de campagne du Rhdp dans la localité de Béoumi, en est temoin. «Je me demande bien comment nos parents qui ont souvent des difficultés pour s’acheter une machette pour les travaux champêtres peuvent subitement être équipés de plusieurs tronçonneuses pour abattre des arbres aussi grands. Ralliant Béoumi à Andokrekrenou, nous sommes tombés sur des troncs d’arbres sur la piste. Coupés à la tronçonneuse, ces gros arbres tombent à l’endroit voulu sans faire de victimes. Un vrai travail de professionnels. Des gens ont été recrutés pour la cause, j’en suis convaincu», confiait-il le le samedi 21 novembre 2020 à sa résidence de Béoumi, aux chefs traditionnels venus présenter leur compassion.

Le ministre de la Communication et des médias est revenu sur l’attaque de son cortège qui a essuyé des tirs le 3 novembre 2020 alors que sa délégation se rendait à Sakassou pour se rendre compte des violences dans cette localité, précisément du 30 octobre au 2 novembre 2020.  Sur l’axe Bouaké-Béoumi, bitumé, une centaine de soldats sérieusement équipés et armés ont dû mettre 4 heures de temps pour rallier Béoumi distant de 60 Km. A partir de Languibonou, des troncs d’arbres coupés un peu plus loin en brousse ont été transportés sur la voie pour avoir accès à la localité.  Des buses en bétons sont utilisées pour obstruer la voie au niveau du village de Golikro. Il faut normalement une dizaine de personnes pour transporter un tel arsenal.

Parvenus à Béoumi, sur le chemin du retour, les soldats constatent que les  mêmes obstacles sont rétablis. C’est au cours de la levée d’une de ses barrières qu’entre les villages d’Assengou et de Golikro que le cortège essuie des tirs. Quatre militaires sont blessés dans cette attaque. Selon le ministre, l’on se rendra compte que les tirs sont venus des fusils calibre 12. L’un des soldats qui a reçu les plombs dans la tête attend de subir une intervention chirurgicale.

Des jeunes militants ou sympathisants de l’opposition manipulés par certains cadres ont été équipés en minutions et en fusils de chasse. C’est l’un de ces tirs qui a fauché à la tête l’adjudant Sanogo Seydou de la maréchaussée dans la localité de Zatta. Les insurgés prendront le soin d’ensevelir le corps du gendarme pour cacher leur forfaiture. Une simple manifestation non dirigée et cordonnée par des mains instruites ne saurait donner une telle réaction. Les manifestants auraient certainement abandonné le corps en prenant la fuite.

Il est rapporté aux militants ou sympathisants de l’opposition qu’ils devront défendre le village en cas d’attaque de telle ou telle communauté «qui veut prendre le pays ou leurs terres». Pour les parents qui sont en ville, ces cadres leur demandent de rentrer dans leur village qui devront être sécurisés par des ‘’frères’’. Mais, on ne leur dira pas contre qui et comment. Car «des miliciens armés», confie une source sécuritaire,  avaient été recrutés pour la cause. Par mesure de sécurité, les populations obéissent sans savoir les desseins des manipulateurs.

Complicités

Selon un chef traditionnel, dans la localité de Diabo, l’incendie du poste de gendarmerie de Ndoumoukro et le blocus de la ville ont été faits sur instruction de certains cadres de la localité connus de tous, issus du village de Télébopkli.

Les usagers de ces routes sont formels. Les jeunes équipés de portables prenaient leurs instructions auprès de commanditaires qu’ils joignaient régulièrement au téléphone. «Nous allons lever les barrages quand on va nous dire de les lever», rapportaient-ils aux passants.

A Sakassou, aux dires d’un des protagonistes, le malheur est venu du chef de village de Oualébo, Kouassi Kouadio. Ce dernier a lancé, via son cellulaire, un appel aux 172 villages indiquant que le palais royal était en feu. Le préfet du département de Sakassou, Coulibaly Gando, n’a pas manqué de s’offusquer des agissements de ce chef traditionnel qui était certainement de mèche avec les opposants. Car il est resté sourd à la médiation et aux appels au calme initiés par l’administrateur civil.

Au total, l’opposition a préparé une transition en recrutant des jeunes gens outillés pour mener une guérilla urbaine ou rurale en vue de contraindre le régime Ouattara à la démission et ouvrir une transition.

Mais le piège n’a pas fonctionné.

Allah Kouamé

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