Secondaire, primaire : Pourquoi l’Etat doit reprendre l’école en main

par nordsud.info
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C’était l’un des messages forts du chef de l’Etat, lundi, pendant son investiture. Les frais des comités de gestion des établissements scolaires (Coges), sources de ‘‘conflits’’ dans les écoles, seront désormais supportés par l’État. Comment cela va-t-il se faire ? Enquête.

«J’ai décidé qu’à compter de janvier 2021, le gouvernement et les collectivités locales prendront en charge les frais Coges, les frais des comités de gestion des établissements scolaires (ndlr, Coges). Oui, les fameux frais Coges qui, jusque-là, sont supportés par les parents d’élèves dans le primaire et le secondaire», a promis le président de la République.

Pour Alassane Ouattara, l’éducation est un droit inaliénable. Et il a assuré qu’il s’engagera à ce que ce droit soit respecté en Côte d’Ivoire, pour tous.

Mais, au lendemain de cette annonce, beaucoup de questions subsistent. Qu’est-ce que les frais Coges, par exemple, et peut-on valablement les prendre en charge ?

Combler le vide

Créés en 1995, selon Edouard Aka, président de l’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (Unapeeci), les Coges sont venus en fait pour combler le vide laissé par l’Etat dans la gestion interne des écoles. Un rôle qui était même assuré par l’Unapeeci, dans le temps. «C’est parce que l’Etat n’arrivait pas à faire face aux charges dans les écoles, que les Coges ont vu le jour », rappelle Edouard Aka.

Par principe, ce sont les parents d’élèves, étudiants et personnels d’établissements qui se réunissent en début d’année, sous la présidence des maires et des conseils régionaux, pour décider la somme à cotiser afin d’entretenir les établissements ou même assurer leur bon fonctionnement.

Voilà ce que sont les Coges. Le souci viendra de l’énormité des sommes à cotiser et de la mauvaise gestion.

«Les frais Coges sont établis dans chaque établissement, selon ses besoins (frais de gardiennage, d’entretien, réparation, peintures, etc.) Et ils varient d’un établissement à un autre», note Claude Kadio, président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (Opeeci).

19 000 F, frais Coges

Au Lycée classique d’Abidjan, par exemple, les élèves de terminale doivent payer 19 000 Fcfa en début d’année pendant leur inscription. Frais Coges obligent. Ceux de la 1ère payent 17 000 F, pendant que les élèves de la seconde s’acquittent de 16 000 F. Ces frais sont fixes. Peu importe les besoins de l’établissement, pour les parents, il faut régler.

Au Lycée moderne d’Ebilassokro dans la région d’Abengourou, le Coges fait cotiser des montants qui varient entre 6 et 8 000 F, d’après André Koffi Tano, président Coges dudit établissement.

Pourtant, le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle a plafonné ces frais à 3 000 F au primaire et 5 000 F au secondaire. Cela, pour éviter les débordements. Hélas, la mesure est foulée aux pieds, au nez et à la barbe des autorités compétentes.

«Il y a une école primaire à Port-Bouët où les élèves payent comme frais Coges, la somme de 10 000 FCFa», notre Claude Kadio.

Est-ce l’ensemble de ces frais que l’Etat compte prendre en charge ? «Ce n’est pas très clair pour nous. Parce que nous avons toujours demandé à être associés aux décisions», fait savoir Edouard Aka.
Avec cette annonce, pour André Koffi Tano, cela revient à dire que l’Etat reprend le fonctionnement de l’école en main.

15 milliards F à investir

En réalité, que représenterait un tel montant ? Afin d’avoir une estimation de la charge que l’Etat s’impose, la rédaction de Nord sud s’est basée sur le Document de statistique scolaire de poche 2018-2019. Ce document chiffre à 3 308 667, le nombre d’élèves au primaire public et à 1 037 590, l’effectif des élèves dans le secondaire public.

«Même en prenant la plus petite moyenne des frais Coges, multipliée par le nombre d’élèves au primaire et au secondaire, c’est très considérable comme budget», note le président de l’Opeeci.

Cette plus petite moyenne, ce sont les 3000 F exigés au primaire et les 5 000 F au secondaire. Ce qui fait 10 milliards F dans l’année au primaire et 5 milliards F au secondaire. Soit, un minimum de 15 milliards F pour l’Etat à investir dans l’éducation, rien que pour le compte des frais Coges.

«Chaque établissement a ses besoins réels. Dans la région, si nous arrêtons les cotisations Coges, par exemple, il y aura des établissements sans enseignants», indique Serges Richard Coumoé, membre de la plateforme des présidents des Coges de l’Indénié-Djuablin. Parce qu’ils sont obligés de lever des cotisations chaque année pour embaucher des enseignants bénévoles.

…Voire, 30 milliards F

Si chaque établissement veut véritablement exprimer ses besoins, au dire des représentants des Coges, il faudra doubler, voire tripler la somme calculée.

Ensuite, notent-ils, la question ne sera pas pour autant résolue si l’Etat consent même à injecter jusqu’à 30 milliards F de plus dans les établissements scolaires publics.

«Cet argent sera-t-il versé aux établissements à la fin de l’année ou en début d’année ? Sera-t-il donné par tranches ou entièrement ?», s’interroge André Koffi Tano.

Pour Serges Richard Coumoé, les payements par tranches par l’Etat sont déjà difficiles à percevoir. «Dans les frais d’inscription en ligne, l’Etat est censé nous reverser 720 Fcfa sur chaque élève. C’est une somme qui arrive par tranches. Nous avons reçu cette année 350 000 F comme première tranche. Et puis, rien», regrette André Koffi Tano.

Comment l’Etat va-t-il gérer cette situation ? D’après le président du conseil régional de la Bagoué, Siaman Bamba, il faut éviter d’aller vite en besogne.

«Le président de la République a bien spécifié que le gouvernement allait gérer la question, en collaboration avec les collectivités. Le moyen de financement sera donc étudié et proposé», explique-t-il.

Quant à l’importance du financement, d’après lui, il mérite effectivement que l’on s’y attarde. «Ce sont des milliards de F. C’est très important comme investissement», indique-t-il. Mais, reconnaît M. Bamba, il était temps que l’Etat revienne à son devoir régalien, c’est-à-dire, s’investir pleinement dans la gestion interne des établissements.

Mission impossible

Mission impossible ? «Il faut le faire. Ce sera un soulagement. Dans les localités, c’est nous qui avons pris la place de l’Etat», note Siaman Bamba.

«Mais, si on peut investir autant dans l’école, pourquoi ne pas en profiter pour s’attaquer aux maux qui minent l’éducation», poursuit Kadio Claude.
Parmi ces maux, il y a notamment la formation, selon Edouard Aka, président de l’Unapeeci.

La qualité de l’enseignement, qui est pointée depuis des décennies, fait partie des problèmes à régler au sein des établissements scolaires. Un sujet sur lequel Bertoli Kouamé, secrétaire général de la Coalition des syndicats du secteur éducation/formation de Côte d’Ivoire (Cosefci), insiste.

«Aujourd’hui, dès qu’un enseignant sort du Cafop, il ne bénéficie plus de formation, souvent, jusqu’à la retraite», déplore-t-il.

À l’entendre, si on veut impulser un réel changement dans le fonctionnement de l’école, il faut investir dans la qualité de l’enseignement pour de meilleurs résultats.

Ekoun Kouassi, secrétaire général du Syndicat des enseignants du second degré de Côte d’Ivoire (Synesci), parle, par exemple, de matériels.

«Pour les enseignants de SVT (ndlr, Science de la vie et de la terre) ou de sciences physiques, on a besoin de laboratoires dans certaines écoles. Il n’y a pas de matériels. Les professeurs d’EPS (ndlr, éducation physique et sportive) n’ont pas de ballon pour faire leurs cours», énumère-t-il.

Autant de plaies à panser pour l’école ivoirienne.

En fin de compte, les Coges, c’est l’arbre qui cache la forêt.

Raphaël Tanoh

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