«J’ai réparé le clitoris de 2000 femmes»

par nordsud.info
Publié: Dernière mise à jour le 1,8K vues

Dr Yao Kouadio Côme, directeur de l’hôpital de police, commissaire divisionnaire de police, spécialiste en chirurgie intime nous explique.

Avant, il opérait dans de nombreux hôpitaux. Aujourd’hui, le Docteur Yao Kouadio Côme préfère travailler uniquement à l’hôpital de police, qu’il dirige. Une structure qui reçoit tout le monde. Avec plusieurs services : la gynéco obstétrique, la pédiatrie, la chirurgie, la médecine, la pharmacie, un laboratoire, une salle de consultation cardiologie, la kinésithérapie, un cabinet dentaire, et l’ophtalmologie.

Nous avons rendez-vous avec lui, ce mardi, au Plateau. Colonel de police, il dispose de plusieurs diplômes universitaires en endoscopie gyneco opératoire, en procréation médicalement assisté, en colposcopie et pathologie cervico vaginale en gyneco obstétrique et en chirurgie intime. 

Pour les femmes, c’est un cadeau de Dieu. Entretien.

Vous êtes très peu ordinaire, pour quelqu’un qui allie la fonction de colonel de police à toutes ces casquettes. Comme en êtes-vous arrivé là ?

Il faut dire que j’ai été influencé par l’Armée. Dans ma famille, il y avait des ‘‘corps habillés’’. Etant déjà médecin, en 2001, j’ai postulé au concours de police et je suis devenu médecin et commissaire de police. En 2014, j’ai commencé à faire de la reconstitution de clitoris.

D’où est partie cette idée ?

Un jour, une de mes patientes est venue m’expliquer son problème. Elle m’a demandé si je pouvais l’aider. Et puis, il y a eu d’autres. Je me suis alors intéressé à la question. J’ai fait la spécialité et je me suis mis à opérer.

Depuis, à combien peut-on estimer le nombre de femmes dont vous avez réparé le clitoris ?

Elles sont entre 1 500 et 2 000 femmes. Mais il faut dire qu’au début, très peu me connaissaient, parce qu’il n’y avait pas eu de publicité autour de ce que je fais. C’est seulement depuis 2018 que j’ai été révélé au grand public, grâce à l’émission ‘‘Matin bonheur’’. Et depuis, j’ai plus de patientes.

Comment est-ce qu’elles vous approchent ?

Il y a une ONG, appelée ‘‘Abefeve’’, qui aident les femmes à venir vers moi en faisant de la sensibilisation. En dehors de cela, d’autres femmes viennent me voir parce qu’elles ont vu mon émission à la télévision. Elles viennent souvent de l’intérieur du pays. Certaines n’ont pas de parents ici et il faut les garder. Parce qu’il faut suivre leur évolution, après l’opération, jusqu’à la cicatrisation. Le suivi peut prendre un mois.

Ces femmes viennent-elles vous voir seules ?

Pas toujours. Il y a des couples qui viennent. J’ai opéré une femme de 57 ans, récemment. C’est son mari qui est venu me voir d’abord. Il y a des femmes qui viennent prendre l’information pour le donner à leurs époux. Il y a aussi des femmes qui ne sont pas mariées, qui viennent me voir.

Sont-elles de tous âges ?

Oui. Je viens d’opérer une femme de 62 ans…

Sont-ce les femmes de classe aisée qui viennent vous voir ?

Elles sont de toutes les couches sociales. De la directrice, à la vendeuse de tomate, en passant l’étudiante.

Les coûts de l’opération sont-ils accessibles ?

Nous n’entrons pas dans les détails, mais en termes d’accessibilité nous faisons du social. J’ai dégagé une salle d’hospitalisation où je garde les femmes que je viens d’opérer, sans qu’elles ne payent un centime. Récemment, deux femmes sont venues de Bouaké et de Dabou se faire opérer. J’ai rendez-vous avec d’autres qui viendront de Bondoukou et de Korhogo pour être également opérées. Il faut dire que le bouche à oreille et l’ONG ‘‘Abefeve’’ aident.

La discrétion est-elle nécessaire avec vos patientes ?

Oui. Elles veulent rester très discrètes. Je viens d’opérer une famille de sept enfants donc 5 sont excisées. J’en ai déjà opérées trois. Quand la première a été opérée, c’est leur maman, qui avait soutenu à l’époque cette excision, qui est venue faire leurs soins. C’est la grande sœur qui a pris l’initiative. Après trois mois, elle est tombée enceinte et je suis son gynécologue.

Quels types de rapports tissez-vous avec ces femmes ?

De très bons rapports. Récemment, les femmes que j’ai opérées ont décidé de créer un groupe Wattsapp, qu’elles voulaient appeler ‘‘les filles du Dr Come’’. J’ai été réticent, alors elles ont changé de nom. Et ont créé le groupe. C’est une plateforme de discussion. Il arrive même que certaines me demandent si une réparation est possible pour les hommes. Je leur dis qu’elles doivent assumer la grosseur ou la petitesse du sexe de l’homme. Ce sont des femmes qui vivent les mêmes réalités, donc elles se comprennent bien.

Toutes les femmes excisées ont-elles besoins d’une reconstitution du clitoris ?

Pas nécessairement. Ce ne sont pas toutes les femmes excisées qui sont éligibles à la chirurgie. Mais pour une femme qui, à 90% trouve le plaisir par le clitoris, c’est un problème. Il faut lui venir en aide. Aussi, quand les femmes viennent se faire opérer, ce n’est pas toujours à cause du sexe. Le volet psychologique intervient également. Pour certaines femmes excisées, tout se passe dans la tête. Elles estiment ne plus être une femme, après l’excision. Au moment de passer à l’acte sexuel, elles se rétractent. Pour être soulagées, elles doivent subir une opération. J’ai opérée une femme il n’y a pas longtemps. Elle m’a dit : « Docteur, grâce à toi je suis à présent une femme ».

Comment jugez-vous la situation de ces femmes ?

Je pense que la politique actuelle met l’accent sur la lutte contre l’excision. Mais, en Côte d’Ivoire, nous avons au moins 33% des femmes excisées. Et le phénomène continue, malgré la sensibilisation. Ces femmes déjà excisées, doivent être aidées. Nous ne voyons pas vraiment une grande politique sociale dans ce sens. La seule politique qui existe, est celle qui cible l’excision. Il faut essayer d’instaurer une bonne politique dans ce sens en Côte d’Ivoire.

Comment cette politique devrait-elle être ?

A Ouagadougou, chaque année, il y a une séance de reconstruction de clitoris gratuite pour les femmes qui le désirent. Cela permet non seulement d’opérer les femmes, mais aussi de former d’autres médecins à cette pratique.

Pensez-vous pouvoir le faire ici en Côte d’Ivoire ?

Oui. Si l’Etat met en place une politique dans ce sens. Une politique sociale pour ces femmes laissées pour compte.

Etes-vous seul à opérer ?

Non, j’opère avec mon équipe. Des Médecins anesthésistes, des infirmiers anesthésistes, etc. Les sages-femmes savent comment faire les soins et le suivi, sous ma supervision, bien entendu.

Combien de personnes pouvez-vous opérer ?

Si nous avons les infrastructures nécessaires, je peux opérer 5 femmes par jour. Ici, nous sommes dans un hôpital où il peut avoir d’autres opérations.

A part l’hôpital de police, avez-vous un autre endroit où vous opérez ?

Avant, j’opérais dans de nombreux hôpitaux. Mais aujourd’hui, avec l’âge, je préfère le faire ici uniquement. Toutefois, avec le matériel nécessaire, je peux opérer partout.

Avez-vous déjà opéré en dehors de la Côte d’Ivoire ?

J’ai seulement opéré à Ouagadougou.

Les gens vous trouvent singulier. Comment vivez-vous cela ?

Je réponds simplement aux besoins des gens. J’ai mal au cœur, quand quelqu’un a un problème que je ne peux pas régler, cela me peine. Je suis comme ça. 

Propos recueillis par Raphaël Tanoh

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