Dossier-Mali: Jusqu’où iront les militaires ?

par NORDSUD
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Le colonel Assimi Goïta a prêté serment, lundi 7 juin 2021, lors d’une cérémonie d’investiture à Bamako. Après son deuxième coup d’Etat en neuf mois, le colonel Assimi Goïta, 38 ans, passé du treillis de camouflage à l’uniforme d’apparat, a été officiellement investi président de la transition par la Cour suprême du Mali.

Comment en est-on arrivé à ce changement brusque de cap, alors que la transition mise en place le 18 août 2020 semblait tenir son agenda, à savoir organiser des élections présidentielle et législatives le 27 février 2022.

Mésentente au sein de la transition

Le 24 mai, le président Bah N’Daw, le Premier ministre Moctar Ouane, et le général Souleymane Doucouré, alors appelé à prendre la tête du ministère de la Défense, ont été arrêtés et emmenés au camp militaire de Kati.

La raison? Ils n’avaient préalablement pas consulté le colonel Goïta pour remanier le gouvernement… Ce que l’intéressé n’a visiblement pas digéré, d’autant plus que les officiers issus du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ne devaient pas tous être reconduits dans leurs fonctions.

Selon nos informations, le colonel Assimi Goïta a saisi plusieurs chancelleries occidentales pour alerter sur la déviation de la feuille de route de la transition.

Mais rien n’y a fait. Les deux têtes de l’exécutif de la transition se sont entêtées à proposer le gouvernement qui leur sied. Et les militaires ne s’en sont pas laissés conter.

Bah N’Daw et et Moctar Ouane ont été forcés de quitter leurs postes. Le colonel Goïta avait justifié leur arrestation par « des différends profonds tant sur la forme que sur le fond par rapport au fonctionnement de la transition ».

Aujourd’hui, le colonel Assimi Goïta, qui a repris tout le pouvoir en main, essaie de se construire une coalition assez large dont l’oublié principal était Choguel Maïga et le Mouvement du 5-Juin (M5), mouvement politique à l’origine des manifestations qui ont abouti à la chute du président Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK).

Choguel Maïga et le M5 forment un réservoir de légitimité politique pour la deuxième version de la transition. Le M5 avait animé les manifestations de 2020 et érigé les victimes au rang de martyrs et dispose donc toujours d’un certain capital politique.

A l’origine de la crise

Le pouvoir IBK avait maintenu les législatives le 29 mars et 19 avril 2020 alors que les toutes conditions n’étaient pas réunies, selon l’opposition.

Après les élections, la Cour constitutionnelle a inversé une trentaine de résultats, dont une dizaine au profit du parti du président, ravivant la défiance envers les institutions.

Des partis d’opposition et des organisations de la société civile ont fait alliance avec l’imam Mahamoud Dicko. Le premier rassemblement qui donnera son nom au mouvement le 5 juin fédère les dépits, des enseignants, des jeunes…

Les enjeux à l’intérieur

Depuis son indépendance en 1960, le Mali a vécu plusieurs rébellions et périodes d’instabilité.

La première rébellion, déclenchée en 1963 sur fond de contestation territoriale, identitaire, de marginalisation socio-économique et de rejet du système politique, a été fortement réprimée, posant ainsi les bases d’une cohabitation difficile entre certaines communautés du Nord, en proie à leurs propres clivages (ethniques, politiques, sociaux, et économiques).

Depuis, les rébellions devenues quasi-cycliques (1990, 2006, 2012) ont accentué les relations de méfiance entre le pouvoir central de Bamako et certaines communautés du Nord notamment.

Les attaques de janvier 2012, la rupture constitutionnelle du 22 mars 2012 ainsi que la tentative de coup d’Etat du 30 avril 2012 et les violences consécutives, ont plongé le Mali dans une crise grave et multidimensionnelle sans précédent.

Y aura-t-il un front uni ?

Dans la droite ligne de ce qu’avait amorcé l’ancien Premier ministre Moctar Ouane le 10 février 2021, au Centre international de conférences de Bamako, les Maliens peuvent constituer un front uni pour sortir durablement de cette crise.

Il s’agit d’impliquer l’ensemble de la classe politique malienne pour travailler sur les réformes politiques et institutionnelles attendues de la transition politique en cours dans le pays.

Il faut souligner que le Mali se trouve dans un contexte de défiance entre une partie de la classe politique et les autorités de la transition.

Quel sera le sort des accords d’Alger ?

Signé en mai et juin 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad (une alliance de groupes rebelles armés), le texte définitif a largement été imposé aux acteurs sous la pression de la communauté internationale.

L’accord prévoit de rétablir la paix au Mali par une décentralisation, la création d’une armée composée des anciens groupes armés signataires et des mesures de développement économiques au Nord du pays.

Toutefois, plus de cinq ans après la signature de l’accord, seules 23% des dispositions de l’accord étaient mises en oeuvre, d’après le Centre Carter, chargé du rôle d’observateur indépendant au Mali.

Selon le Centre Carter, 22% des mesures avaient déjà été mises en place fin 2017. Autrement dit, le processus de mise en oeuvre de l’accord ne progresse quasiment pas.

L’entente avec le M5 RSP suffira-t-elle ?

Vu le positionnement du tout nouveau Premier ministre Choguel Maïga par rapport au processus d’Alger, il y a de quoi s’inquiéter.

Il a toujours estimé que le processus provoquait la partition du Mali et qu’il y était fermement opposé. S’il met en place sa politique selon son positionnement passé, on peut s’inquiéter pour ce processus de paix.

La Russie et la Turquie en embuscade ?

Les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité étaient la pomme de discorde entre les militaires et l’ex- Président Bah N’Daw et l’ancien Premier ministre Moctar Ouane.

D’après Étienne Fakaba Sissoko, directeur du Centre de recherche d’analyses politiques, économiques et sociales du Mali, l’éviction de Sadio Camara à l’occasion de ce remaniement s’expliquerait «en grande partie par sa proximité avec la Russie.»

«Quand vous prenez le colonel Sadio Camara, on lui reprocherait d’être très proche aujourd’hui de la Russie au détriment des autres partenaires comme la France. C’est une des raisons également qui justifierait son éviction parce qu’il s’apprêtait à signer des conventions, et pas des moindres, avec la Russie. On se rend compte effectivement qu’il y a des enjeux géopolitiques et géostratégiques. Il y a des puissances internationales également qui sont à la manœuvre et qui, aujourd’hui, jouent des intérêts gros au Mali», argument M. Sissoko à la Deutsche Welle.

Engagée militairement au Mali avec l’opération Barkhane, la France a mal encaissé le coup devant les derniers développements à Bamako. Elle qui voit clairement des mains obscures derrière les militaires.

«Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou la Turquie», avait dénoncé le président Emmanuel Macron, au sujet de cette «guerre informationnelle» au Mali.

Y aura-t-il des négociations avec Al Qaïda ?

L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger avec les mouvements armés rebelles sous l’égide de la communauté internationale devrait servir de boussole.

En tout cas, les militaires maliens s’emploient à rassurer les ex-rebelles indépendantistes du Nord, réunis dans la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), signataire d’un accord de paix en 2015.

Le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) reste également un élément de la crise. Qualifiée d’élément «perturbateur» par la plupart des acteurs de la crise, cette milice progouvernementale est accusée d’avoir tout fait pour empêcher qu’un terrain d’entente soit trouvé avec la CMA, son ennemi juré.

Certains observateurs à Bamako le voit comme «un vrai problème pour le retour de la paix au Mali».

Comment renouer dans ce cas avec les Français ?

Échaudée par le nouveau coup d’État, la France a annoncé le 4 juin 2021 la suspension de ses opérations communes avec l’armée malienne, après huit ans de coopération étroite contre les jihadistes.

Jusqu’à nouvel ordre, sa force Barkhane, qui intervient dans plusieurs pays du Sahel, ne sortira plus de ses bases pour des opérations sur le terrain au Mali, même si elle continuera à frapper, si l’occasion s’en présente, les chefs jihadistes.

La situation dans la zone d’action de Barkhane reste pourtant préoccupante.

Les militaires respecteront-ils le calendrier de la transition ?

Les militaires s’étaient engagés, après le premier putsch le 18 août 2020, à organiser des élections présidentielle et législatives le 27 février 2022.

Cet engagement a cependant été mis en doute par le second putsch le 24 mai dernier, quand le colonel Goïta, resté l’homme fort du pouvoir, avait fait arrêter le président et le Premier ministre, cautions civiles de la transition ouverte après le premier coup d’État.

« Je voudrais rassurer les organisations sous-régionales, régionales et la communauté internationale en général que le Mali va honorer l’ensemble de ses engagements pour et dans l’intérêt supérieur de la nation », a déclaré le colonel Goïta, lundi, après avoir prêté serment en uniforme d’apparat devant la Cour suprême.

Avant d’ajouter, la main sur le cœur : « Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain (…) de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national ».

Les militaires accepteront-ils de quitter le pouvoir ?

Il est évident, selon plusieurs observateurs, que les militaires chercheront à peser sur les futures échéances électorales. La militarisation de la transition pose la question de la volonté réelle des militaires, et donc de la stratégie politique.

Les militaires ont-ils la volonté d’organiser des élections transparentes en vue d’un retour du pouvoir politique aux civils comme convenu avec la Cedeao ?

La nomination comme gouverneurs de 13 militaires sur 20 nouveaux à la tête des régions – tous proches du désormais président Assimi Goïta – illustre cette militarisation de la transition, quand on sait le rôle que jouent les gouverneurs de région dans l’organisation des élections.

La communauté internationale, en voulant confier à cette transition des réformes nécessitant une révision constitutionnelle, risque de renforcer la position des militaires. Or, tous les experts sont unanimes sur le fait que la crise au Sahel est avant tout une crise sociopolitique avant d’être militaire.

Bakayoko Youssouf

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