Pasteur Sansan Dah, PCA de la confédération des organisations des personnes handicapées de Côte d’Ivoire (Cophci), appelle à cesser la discrimination dans les administrations contre les personnes souffrant de handicap.
A combien peut-on estimer le nombre de personnes souffrant de handicap Côte d’Ivoire ?
Il n’y a pas de statistiques en tant que tel. Les derniers chiffres font état de 453 453 personnes. Mais ces chiffres ne sont pas fiables. Parce que selon les données de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), rien que les handicapés de travail dépassent ces chiffres. Il faut tenir compte des statistiques réels, évaluées à 15% de la population, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En tenant compte de cela, il existe 3 à 4 millions de handicapés en Côte d’Ivoire.
Quel est le handicap le plus élevé dans le pays ?
Le handicap le plus élevé est le handicap physique. Ensuite, viennent les sourds, puis les aveugles, suivis des albinos et des bègues. Et puis, vous avez les personnes de petite taille. La plus petite minorité, ce sont les personnes à la fois sourdes et aveugles. Et n’oublions pas les handicapés psychomoteurs.
La prise en charge des handicapés est-elle satisfaisante, pour vous ?
Elle est satisfaisante, en partie. A l’époque, on se souvient que c’était très difficile, parce que les lois sociales n’étaient pas ratifiées, notamment la loi d’orientation, la loi de 98 qui, depuis cette date, n’a connu les premiers décrets d’application que pendant la mandature de l’actuel président de la République. Il y a la convention des Nations unies qui existe depuis 2006. Mais, c’est en 2014 qu’elle a été ratifiée. Et, dans la déclinaison des articles de la loi d’orientation, le Président Alassane Ouattara a pris des initiatives importantes, en créant des commissions techniques d’orientation à l’emploi. Il existe aussi le fonds d’insertion des personnes handicapées que nous saluons. Il y a des textes qui font obligation aux entreprises d’avoir un quota des personnes handicapées en leur sein. N’oublions pas que les recrutements dérogatoires se font chaque année. Avec le gouvernement, nous avons mis en place un plan national de politique en faveur des personnes handicapées. La typologie des personnes handicapées a été définie. L’aboutissement, ce sont les cartes d’invalidité que nous allons avoir.
Quelle sera l’utilité de cette carte d’invalidité ?
Si vous l’avez, cela signifie que vous êtes une personne handicapée. La carte spécifie la nature de votre handicap. Et sS’il y a des avantages liés à votre handicap, vous devez en bénéficier.
Le quota des handicapés dans le recrutement dérogatoire a-t-il augmenté ?
Le recrutement dérogatoire ne s’assoit pas sur des bases légales, mais plutôt sur une politique sociale. Il n’y a pas une loi qui le dit, par conséquent, c’est selon les besoins de l’Etat que nous sommes recrutés à la Fonction publique. En 2015, l’Etat a recruté 300 personnes handicapées. Mais depuis, le quota est revenu à 200, chose que nous saluons. Nous avions toujours été gazés dans le passé. Aujourd’hui, les recrutements se font en roue libre. Ce que nous demandons, ce sont également des places pour les personnes souffrant de handicap lors des concours. Au Sénégal, cette politique a été suivie. Les personnes handicapées ont pratiquement été tous absorbée. C’est notre souhait en Côte d’Ivoire.
Dans le temps, vous dénonciez une forme de discrimination vis-à-vis des handicapés recrutés à la Fonction publique. Est-ce toujours le cas ?
Oui ça existe encore. Il y a toujours des intellectuels qui pensent que les handicapés sont maudits. Ils se demandent ce que nous venons faire à la Fonction publique. Comme si le handicap n’arrive qu’aux autres. Mais, on peut être bien portant et devenir du jour au lendemain un handicapé de travail. Des personnes handicapées affectées dans des services sont ramenées dare-dare à la fonction publique par certains DRH. Ou alors, ils font traîner leurs affections, parce qu’ils ne veulent pas d’eux. Certains DRH ne veulent pas de nous à la Fonction publique.
Quel est les handicapés le plus difficile à intégrer en Côte d’Ivoire ?
Ce sont les handicaps lourds. Si une personne handicapées psychomotrice a, en plus, les membres supérieurs et inférieurs paralysés, alors, elle a un handicap lourd. Les sourds ont également beaucoup de problèmes parce que la communication a du mal à passer. C’est plus compliqué avec les personnes à la fois sourdes et aveugles. A tel point que, pour les recruter, on est obligé de mettre soit sourd, soit aveugle. Mais pas les deux. Les handicapés mentaux ont aussi du mal à être intégrés. De façon générale, ce sont les sourds qui ont plus de difficultés à être intégrés. Les gens s’imaginent que ce sont les aveugles les plus touchés, mais ce n’est pas le cas.
Existe-t-il des infrastructures publiques pour la prise en charge des handicaps lourds ?
Oui, il devait avoir ce genre d’infrastructures à l’époque. Parce qu’on pensait que le handicap était un problème médical. Or, on voit aujourd’hui le handicap sous l’angle du droit. On parle donc d’inclusion plutôt que prise en charge. Vous verrez des écoles inclusives, par exemple, au lieu des écoles ghettoïsées. Pour mieux intégrer les personnes souffrant de handicap, il ne faut pas les catégoriser, mais enlever les barrières. Il n’y a pas d’université pour aveugles ou pour sourds mais, ils y sont. Doit-on créer une administration pour les aveugles ou pour les sourds ? Non.
Le projet pour faciliter l’accessibilité des personnes handicapées aux bâtiment publics est-il une réalité aujourd’hui ?
Les nouveaux bâtiments publics qui naissent ont des ascenseurs adaptés avec des écritures en braille et des sonorités pour les guider. Il y a parfois des rampes. Mais, les anciennes administrations n’ont pas changé. Au niveau des universités, il y a également des rampes. Pareil dans certains hôpitaux. Cependant, de façon générale, ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de parkings pour personnes handicapées en Côte d’Ivoire.
Dans quelques semaines, la Côte d’Ivoire choisira son futur président de la République. Quel message avez-vous pour les Ivoiriens ?
Nous devons prier pour que la Côte d’Ivoire soit en paix. Si nous ne surmontons pas les épreuves, ce sera pour multiplier le nombre de personnes souffrant de handicap. Ce sera pour augmenter la pauvreté et détruire les biens. Les politiques nous fatiguent. Quand X ne s’entend pas avec Y, il se met ensemble avec Z pour combattre Y. Quand Z n’est pas d’accord avec X, il noue une entente avec Y contre X. C’est une moquerie contre les Ivoiriens. Qu’ils arrêtent cela.
Interview réalisée par Raphaël Tanoh
