Didier Awadi: «Le partenariat entre l’Afrique et l’Europe doit être gagnant-gagnant»

par NORDSUD
Publié: Dernière mise à jour le 48 vues

L’Union européenne (UE) et les pays ACP ont débloqué 4 milliards de Fcfa pour soutenir des projets d’opérateurs culturels des pays de l’Afrique de l’Ouest sur une période de 3 ans. Dans cette interview réalisée, à Lomé, au Togo, à l’occasion de la Première université d’été organisée par ces deux entités pour renforcer les capacités de ces opérateurs culturels, l’artiste sénégalais engagé, Didier Awadi, situe les enjeux de cette aide et fait le tour de l’actualité politique sur le continent.

Quelle est l’actualité de Didier Awadi ?

Comme vous le constatez, je suis à Lomé pour un séminaire de formation avec le comité de l’Union européenne, les ACP et l’Institut français. Je suis à la finalisation de mon prochain album, et des projets télévisuels et cinématographiques à Dakar.

Comment s’intitulera ce nouvel album ?

Je ne sais vraiment pas. Je ne peux pas donner de titre encore mais il y a plein de titres qui me plaisent. Après on choisira. J’ai une idée mais comme ce n’est pas encore clair, je ne veux pas donner de titre.

Awadi, artiste engagé et révolutionnaire, doit-on s’attendre à cette couleur sur l’album ?

Oui ! Je ne peux pas ne pas faire de textes qui parlent de la réalité de l’Afrique. Les gens disent que je suis engagé. Oui, c’est vrai et cela se ressent beaucoup dans cet album.

Malgré votre engagement, les coups d’Etat et la mal gouvernance se poursuivent. Est-ce une régression pour l’Afrique ?

Depuis, qu’il y a des médecins, les gens soignent mais il y a toujours des malades. Donc tant qu’il y aura des malades, il y aura des médecins.

Alors donc aujourd’hui, comment voyez-vous cette Afrique où les coups d’Etat reviennent ?

Cette Afrique où les coups d’Etat reviennent, c’est cette Afrique où la démocratie régresse. Chaque fois qu’on a voulu agresser la démocratie, les coups d’Etat sont nés. Donc, nos dirigeants doivent écouter le peuple. Chaque fois qu’un Président n’a pas écouté son peuple, le peuple s’est rebellé et souvent l’armée a pris ses responsabilités. Ça s’est passé au Mali, en Guinée. Donc le problème ne vient pas des militaires qui prennent le pouvoir. C’est surtout les dirigeants qui ne respectent pas la parole donnée.

Beaucoup de pays ont des mouvements de révolution. Au Sénégal, il y a le mouvement «Y en a marre», au Burkina Faso «Balai citoyen», etc. L’Afrique a-t-elle besoin de tous ces mouvements de jeunes souvent violents pour se développer ?

Effectivement, l’Afrique a besoin de tous ces mouvements. Dans certains pays, on n’a jamais laissé la jeunesse s’exprimer. Et quand dans un pays on refuse que la liberté d’expression se fasse, ce sont les rebelles qui s’expriment. En Côte d’Ivoire, c’est ce qui s’est passé. Quand la jeunesse n’arrivait pas à s’exprimer, la rébellion est née. Quand les voix ne s’expriment pas, c’est la voie des armes qui prennent place. Voilà pourquoi il faut laisser les gens s’exprimer même si les sons discordants et divergents.

Revenons à votre carrière musicale. Cela fait un bout de temps qu’on ne voit plus sur la scène. En lieu et place, vous faites beaucoup de productions télé. Est-ce un choix ou une reconversion qui est en cours ?

La production télé est une vraie passion pour moi aujourd’hui. Plus je découvre cet univers, plus je suis passionné par ça. Tout ce qui est production de contenus m’intéresse. J’estime qu’il nous appartient qu’africain de créer notre imaginaire et de projeter notre image. Il est arrivé par moment de voir des images qui ne correspondaient aux réalités de notre continent. Il nous appartient de fabriquer notre image et de la mettre au service de tout le monde.

Dans les années 1990, le Rap voire le Hip-Hop était très en vogue sur le continent. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Que s’est-il passé pour qu’on arrive à une telle situation ?

Rien ne s’est pas passé. Je ne partage pas cet avis. Au Burkina Faso, le Rap est la musique n°1, en Côte d’Ivoire, le Rap est revenu au premier plan malgré le coupé décalé. Dans tous les pays d’Afrique, le Rap est devenu n°1. C’est vrai que générationnel. C’est la jeunesse qui fait ce genre musical. Or aujourd’hui, nos populations sont jeunes. Et ce sont elles qui sont adeptes du Rap. Tout ça pour vous dire que le Rap tient la route malgré d’autres courants musicaux.

Nous allons aborder un autre phénomène qui mine le secteur musical africain. C’est la constitution des différents groupes. Au départ, les groupes sont à 3 voire 4 personnes. A l’arrivée, ce sont les carrières individuelles qui prennent le dessus. Comme c’est le cas pour vous à «Positive black soul». Qu’est-ce qui peut expliquer une telle dislocation ?

Cela fait partie du parcours humain. Ce n’est pas parce que chacun va de son côté qu’on n’est plus de la même famille. En ce qui concerne «Positive black soul», ce n’est pas parce qu’il y a des carrières solo qu’il n’y a plus l’esprit du groupe. De temps en temps, on fait des projets ensemble. Mais cela ne peut pas empêcher chaque fils de la famille de s’exprimer individuellement. Il n’y a pas de problème personnel.

Le Sénégal était le pays invité d’honneur au FEMUA 13. Vous étiez présent à Abidjan, mais vous n’avez pas joué. Y a-t-il des explications.

C’est vrai que j’étais présent à Abidjan, mais je ne faisais pas partie des artistes sénégalais invités. Le Sénégal, ce n’est pas qu’Awadi, je pense qu’A’Salfo a jugé bon de donner la chance aussi à d’autres artistes qui ne connaissaient pas la Côte d’Ivoire. J’étais surtout là pour accompagner mes frères et sœurs du Sénégal à cette belle fête panafricaine.

Parlons de cette présence ici en terre togolaise. Les pays ACP et l’UE ont débloqué 4 milliards pour soutenir la création des opérateurs culturels des pays du sud. Ce qui justifie votre présence à cette première de l’université d’Eté. Que pensez-vous de cette aide du Nord ? N’est-ce pas encore une façon de domination culturelle des pays du Nord ?

Cet accompagnement de l’Union européenne (UE) et des pays ACP (Afrique caraïbe pacifique) à nos projets n’est que le fruit d’une coopération nord-sud qui doit exister. Autant la coopération sud-sud doit exister. Pour moi, le monde doit être rythmé par ce genre de coopération gagnant –gagnant. Je ne vois donc pas les choses dans un point de vue d’une suprématie d’une culture des pays nord sur celle du sud. C’est plutôt un partenariat gagant-gagnant qu’il faut voir. Le partenariat entre l’Afrique et l’Europe doit être gagnant-gagnant. L’aide des pays du nord n’est pas un asservissement».

Ce genre d’accompagnement peut-il vraiment aider nos industries culturelles ?

Pour nous, c’est l’occasion de former des jeunes aux métiers de l’audiovisuel, du son, à la régie, etc. Nous profitons donc pour former beaucoup de jeunes afin qu’eux même soient autonomes demain. Moi je suis optimiste. La culture sur le continent à un bel avenir.

Mais comment expliquez-vous le fait que nos dirigeants n’investissent pas beaucoup d’argent dans ce secteur alors qu’il existe une économie de la culture ?

Nos dirigeants ne voient que l’aspect folklorique de la culture. Malheureusement, ils ne voient pas l’aspect économique. Je pense qu’ils vont se réveiller et qu’ils comprendront qu’il faut aider la culture. Nous à notre niveau, nous avançons. Nous avons un marché, des talents, des moyens de paiement, tout est réuni pour que notre culture contribue au PIB de nos pays.

Qu’attendez-vous concrètement au sortir de cette première université de Lomé ?

Cette université a renforcé nos capacités managériales. A cela s’ajoute le réseautage, le lobbying qu’il va falloir développement en s’appuyant sur les expériences et des autres.

Interview réalisée à Lomé par Yvan Aziz

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