Le poids du passé colonial, les relations complexes et particulières qu’entretiennent la France et l’Algérie plus d’un demi-siècle après la rupture des liens physiques entre les deux pays, oscillant depuis 1962 entre tensions et détentes, continuent de polariser les passions. Les relations entre la France et l’Algérie connaissent un nouvel épisode de tensions depuis ce 3 octobre 2021 avec la décision d’Alger d’interdire le survol de son espace aérien aux avions militaires français participant à l’opération «Barkhane». C’est qu’Emmanuel Macron, le président français, a tenu des propos sur l’histoire algérienne jugés « irresponsables » par Alger. Alger avait commencé sa protestation par le rappel de son ambassadeur Mohamed Antar-Daoud pour consultation à Paris. Il justifie cette décision par « une « situation particulièrement inadmissible engendrée par (des) propos irresponsables » d’Emmanuel Macron.
Comment en est-on arrivé là ? Pour comprendre ces tensions entre les deux pays qui doivent bientôt commémorer les 60 ans de la fin de la guerre d’Algérie et son indépendance, il faut s’intéresser aux « propos non démentis » d’Emmanuel Macron rapportés par Le Monde. Lors d’une rencontre avec une vingtaine de jeunes descendants de protagonistes de la Guerre d’Algérie, le chef de l’État français a déclaré que l’Algérie s’est construite après son indépendance en 1962 sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire ». Il a aussi critiqué « une histoire officielle totalement réécrite » par Alger qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».
Depuis quelques semaines, les points de désaccords entre la France et l’Algérie se sont multipliés. Premier point de crispation, la coopération de l’Algérie dans les procédures d’expulsion qui visent ses ressortissants. Le gouvernement français a décidé, fin septembre, de réduire fortement le nombre de visas accordés aux citoyens de trois États maghrébins: l’Algérie, la Tunisie, et le Maroc. La France reproche ces pays de ne pas délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France.
Déjà des tensions. Les relations franco-algériennes ont déjà connu d’autres épisodes de tensions ces dernières années. En avril 2021, le Premier ministre Jean Castex avait annulé au dernier moment une visite, à la demande d’Alger, mécontente, selon des sources informées de l’AFP, d’une délégation trop restreinte à leur goût. L’année d’avant, en mai 2020, l’ambassadeur algérien à Paris avait aussi été rappelé après la diffusion d’un documentaire par deux chaînes publiques françaises sur les manifestations pro-démocratie (Hirak) en Algérie.
Et l’une des crises les plus importantes qui a marqué la relation entre les deux pays remonte au 23 février 2005, jour où le Parlement français a adopté une loi reconnaissant « le rôle positif de la colonisation ». Une loi par la suite abrogée mais qui avait provoqué l’annulation d’un Traité d’amitié voulu fortement par le président Jacques Chirac et son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika. Sur la longue liste des points d’achoppement entre Paris et Alger, il y a le détournement tragique de l’Airbus de la compagnie Air France en décembre 1994. Le jeune Algérien, Khaled Kelkal, grandi à Vaulx-en-Velin radicalisé au contact des groupes islamistes armés, avait participé aux attentats terroristes de 1995. Puis ce furent l’enlèvement et l’assassinat des sept moines trappistes de Tibhérine en 1996, qui ne sont d’ailleurs pas les seuls religieux de confession chrétienne à être victimes : plus de quarante ecclésiastiques environ furent assassinés en1992.
La vague d’attentats perpétrés à Paris début 1995 et fin 1996 a placé les pouvoirs publics devant un sérieux problème de sécurité. Viennent s’y ajouter les attentats de Mohamed Merah à Toulouse en 2012, les carnages des frères Kouachi au début de l’année 2015 de Charlie Hebdo et de l’hyper casher de la Porte de Vincennes, et l’assassinat en Algérie d’Hervé Gourdel, un guide de montagne, le 23 septembre 2014 par les «soldats du califat». Plus de dix militaires sont assassinés, plusieurs blessés depuis 2012 et plus de 250 Français tués depuis 2015.
L’Algérie et la guerre d’indépendance ne sont pas, là aussi, étrangères à ce déferlement de violence contre la France.
Efforts d’apaisement. Leurs relations avaient en revanche connu des moments d’apaisement récemment, comme en juillet 2020, quand Paris a fait un geste envers Alger en restituant les crânes de 24 résistants algériens décapités au XIXe siècle lors de révoltes dans le sud de l’Algérie contre l’occupant français.
Un peu plus tôt, en mars 2020, la France a aussi reconnu pour la première fois que l’avocat algérien Ali Boumendjel, mort en mars 1957, a été torturé et tué par l’armée française lors de la Bataille d’Alger. Enfin, Emmanuel Macron a aussi, pendant sa campagne présidentielle en 2017, qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », lors d’une visite à Alger, lui valant des éloges de la part de la presse algérienne.
Bakayoko Youssouf