Musiciens de renom, acteurs de talents ou encore figures de proue des réseaux sociaux. Leurs fortes audiences sur la toile, auprès des mélomanes et cinéphiles tapent dans l’oeil des recruteurs des chaînes de télés ivoiriennes. Des 3 canaux du groupe national RTI à A+ ivoire en passant par la Nouvelle Chaîne Ivoirienne (NCI) et Life Tv, l’omniprésence des stars du 2.0, du cinéma et de la musique dans le costume de chroniqueurs ou d’animateurs défraie la chronique. Les contenus animés par cette vague de reconvertis, représentatifs des nouveaux visages de la télé, divisent le grand public. Une frange de l’opinion d’ores et déjà allaitée à la mamelle de leurs contenus cinématographiques, discographiques ou sur les réseaux sociaux est enchantée à l’idée de voir ses stars rallier les devants de la télévision. Vent debout contre ces transfuges, une partie du public estime à rebours, que ces stars sont propulsées au grand dam des diplômés des instituts de formation en journalisme et qu’ils transplantent les buzz loufoques de la toile sur les tubes cathodiques.
Omniprésence implacable
Parallèlement à la libéralisation du paysage audiovisuel ivoirien, les rangs des animateurs et chroniqueurs télés connaissent un boom. Les stars du 2.0, du cinéma et de la musique y ont le vent en poupe. Un tour d’horizon de ces nouvelles figures qui crèvent l’écran lors des émissions proposées par la grille de programme des chaînes de télévision ivoiriennes ne laisse planer l’ombre d’un doute : des feux de la rampe dans le monde des arts, aux coups de projecteurs à la télé, il n’y a plus qu’un pas, un claquement de doigt. Un cap dorénavant aisément franchi par les personnalités publiques issues des autres arts. Dernière illustration en date, un teaser de la chaîne Life TV annonce que Suspect 95, rappeur à succès ivoirien, assurera l’animation d’une nouvelle émission télé intitulée : ‘’La réunion’’. Outre le président du syndicat, Kevine Obin (influenceur sur la toile et animateur du canapé des affairés), Willy Dumbo (figure connue de la sphère humoristique et animateur de Willy à Midi) et Marie Paule Adjé (étoile montante du 7ème art et chroniqueuse du Life Week-end), etc., constituent une infime partie des animateurs de Life TV, issus du monde des arts. Il en est de même sur NCI, avec Kadhi Touré, actrice et réalisatrice de haut acabit qui anime ‘’les femmes d’ici’’ en compagnie d’Aurélie Eliam et Yasmine Reda, deux figures également connues de l’univers de l’actorat. Idem pour les artistes coupé-décalé, Mulukuku et Carina Style, qui sont au gouvernail de la modération de Show Buzz sur NCI. De Boukary (humouriste et animateur de Tu me connais) et Bilé Didier (Artiste et animateur d’Esprit Zouglou) sur A+ Ivoire à Serges Beynaud (artiste et animateur de 100% coupé-décalé). Sans oublier Eunice Zunon (humouriste web et chroniqueuse à PPLK) sur la 3. En passant par Stoni (humouriste web et chroniqueur à Madame Monsieur Bonsoir) sur Rti2 et les buzz de Flora sur RTI1 (humouriste web et chroniqueuse à C’midi), quasiment aucune chaîne ne déroge au principe. Et la liste n’est pas exhaustive.
Vaches à audiences pour les chaînes de télé
Autodidactes, apprentis sur le tas ou diplômés du secteur, les animateurs originaires d’autres arts tiennent la dragée haute à leurs confrères qui n’ont que la corde d’animateurs de métiers à leur arc. Leur popularité a visiblement un pesant d’or sur leur curriculum vitae comparativement aux diplômés qualifiés mais méconnus du grand public. D’ores et déjà coqueluches d’une partie de la population sur fond des arts qu’ils exercent, ces transfuges sont des poules aux oeufs d’or pour les chaînes de télé. D’autant qu’ils transforment leur fan-base en téléspectateurs des émissions dont ils assurent l’animation. Leurs profils constituent donc des vaches à lait pour les tubes cathodiques qui s’en servent comme fonds de commerce pour grossir leur audimat. Interrogé à ce sujet, au cours d’une interview accordée au Nouveau Réveil le 19 novembre 2021, Ange Guéï, DG de la chaîne de télévision NCI, coupe court. «Pour le choix des animateurs des émissions de divertissement, évidemment, nous ne regardons pas que les diplômes mais le talent et le savoir-faire. Et ces jeunes, qu’il s’agisse de Mulukuku DJ, Kadhy Touré ou Yvidero, qui sont aussi des Ivoiriens comme les autres, ont les atouts que nous recherchons. Ils savent mettre l’ambiance, la bonne humeur et la détente nécessaires pour ce type d’émissions. Dans certains cas, ce sont eux-mêmes qui viennent nous voir avec leurs idées et projets d’émissions. Pourquoi ne pas leur donner une chance ?», indique Ange Guéï.
Miroir d’une partie de la société
C’est un secret de polichinelle, ces stars ont fait leur trou dans le cœur des internautes. Ils sont en passe de rééditer l’exploit à la télé. En l’absence de baromètres de mesures d’audiences consensuels à même de donner des indicateurs chiffrés sur les audiences pour les différents contenus télévisés, les vues sur YouTube pour les émissions animées par ces transfuges sont symptomatiques de l’intérêt qui leur est porté. A titre illustratif, sur le compte YouTube de Life Tv, dans le giron des émissions les plus vues en 2022, figurent en pole position «le Willy à Midi» du 6 janvier courant, animé par l’humouriste Willy Dumbo qui culmine à 110 K vues. Le Canapé des stars du 1er janvier 2022, animé par la star des réseaux sociaux Kevine Obin occupe le rang de dauphin avec 77k vues. Sur Nci, dans le gotha des deux pics d’audiences en 2022 sur la chaîne YouTube, l’émission «Les femmes d’Ici» animée par l’actrice Khady Touré occupe le fauteuil de leader avec 98k vues pour son émission spéciale du 10 janvier avec Tiken Jah et 83 K vues pour son émission du 5 janvier 2022. Les indicateurs sont donc au vert pour signifier que les programmes animés par ces hommes de médias multi-casquettes sont plébiscités. Leurs modes d’animations et le contenu ‘’internautephile’’ de leurs émissions sont appréciés et portent du fruit auprès d’un pan de la société. Appelées à faire la promotion du pluralisme selon leurs feuilles de route et happés par les animateurs amplificateurs d’audiences, les télés restent fidèles à leur canevas en offrant le micro d’animateurs à ces stars issus du 2.0, du 4è art ou du 7è art qui demeurent des modèles et des reflets de la société ivoirienne.
Dérives
Toutefois, le revers de la médaille est qu’ils sont taxés de transplanter souvent des buzz loufoques des réseaux sociaux en passant à la trappe les règles d’éthique et de déontologie. Ils sont également accusés de dénaturer la profession en assimilant les plateaux télés à des cadres d’expressions de leurs arts.
«Yvideroshow» de Yvidero sur NCI. Récemment, au cours de Yvideroshow, une émission de NCI, éponyme du pseudo de l’animatrice, Yvidero, comédienne vedette sur la toile, un pasteur qui se fait appeler général Makosso est invité. Colportant des ragots qui font florès sur les réseaux sociaux, le «père de la marmaille» traite une influenceuse de «gibier» et allègue avoir «mangé ça» (ndlr, avoir eu des relations sexuelles avec elle). En lieu et place d’une remontée des bretelles suite aux propos crus de son hôte à une heure de grande écoute, l’animatrice rit aux éclats et continue la conversation. La toile s’embrase, crie à la promotion de la décadence des mœurs, fustige le manque de professionnalisme de la comédienne et appelle la Haute autorité de la communication à la rescousse. Un épisode aux milles et une allures des sujets de prédilection abordés sans fard sur les réseaux sociaux.
“Willy à Midi” de Willy Dumbo sur Life TV. Quelques mois avant cet épisode, dans une séquence culte de l’émission «Willy à Midi» sur Life TV, dont l’animation est tenue par Willy Dumbo, maestro de l’humour, Vitale, artiste coupé-décalé et ‘‘son époux’’ Momo Wang, arrangeur occupent le siège des hôtes du midi. Suspectés suite à la diffusion des photos de leur mariage de fomenter un buzz en prélude à la sortie d’un nouvel opus, les deux tourtereaux bien déterminés à clouer le bec aux critiques s’adonnent à un long baiser langoureux en direct à 12h, sans signalétique. La scène suscite une onde de choc. S’ensuit une levée de boucliers sur Internet. Une sanction de la Haca est en outre plébiscitée.
«Tu me connais» de Boukary sur A+Ivoire. Animateur chevronné, Georges Tai Benson a pointé du doigt Boukary, un as de l’humour qui a empoigné le micro de présentateur de télé sur la chaine A+ ivoire pour l’émission «Tu me connais». «Je suis un fanatique de l’humoriste Boukary dont je raffole des sketchs. Mais ce matin, je découvre une émission de jeu télévisé, assez intéressante, qui est censée être regardée par tous, enfants, adolescents, adultes, parents et grands-parents. Les jeux de ce genre aident à enrichir les connaissances et à améliorer la culture générale. Voilà que l’animateur de cette émission n’est autre que cet humoriste dont le fonds de commerce est l’exploitation de l’illettrisme de son personnage analphabète Boukary, avec un fort accent étranger. Mais diantre ! Déjà le problème de l’orthographe, du vocabulaire et de la grammaire à l’école fait débat national…. Des fautes à foison, tout au long de cette émission. (…)», a-t-il tiré à boulet rouge sur le transfuge. Un réquisitoire qui a également suscité, dans la foulée, une flopée de commentaires, y compris celui du principal accusé, Boukary.
Relativité
Les détracteurs des animateurs issus des autres arts brandissent ces bourdes comme un mantra pour clouer au pilori leur manque de professionnalisme. Une position à relativiser d’autant que les animateurs professionnels ne sont pas exempts de reproches. Dans les faits, c’est une évidence, certains programmes télés animés par des professionnels de l’animation sont souvent voués aux gémonies et taxés de mettre en lumière les anti-modèles de la société. A titre d’exemple, Peoplemik dirigé par Yves-Aymard, un diplômé d’école d’animation, a été affabulé du statut de plateforme qui fait la part belle aux buzz indélicats et futiles de Facebook suite aux invitations de «Le père Daloa : Amonan c’est cuu, Dougoutigui, Placaliman, etc.». Corrélée à l’épisode Yves de M’bella avec la simulation d’un viol sur NCI qui avait suscité une levée de bois vert, les pièces du puzzle s’assemblent pour prouver que nul n’est à l’abri des coups de boutoirs de l’opinion. Par ailleurs, sous d’autres tropiques, notamment dans l’hexagone, les exemples d’animateurs issus d’autres arts sont légion. Issus des autres arts ou animateurs de métiers, ces hommes et femmes de médias sont les boucs émissaires, les parties visibles de l’iceberg des lignes éditoriales des différentes chaînes de télévisions. Entre le marteau de la recherche de pics d’audimat et l’enclume des codes d’éthiques et de déontologies de la communication audiovisuelle, les chaines généralistes ivoiriennes sont prises dans un étau. Faire uniquement place aux animateurs ‘’ pro’’ et aux contenus ‘’à priori instructifs’’ dont les audiences sont moindres afin de s’attirer les félicitations des partisans de ‘’la télé exclusivement véhiculatrice des valeurs morales‘’. Ou faire un cocktail en ajoutant aux animateurs de métiers, aux émissions instructives, des ‘’figures connues d’autres arts’’ avec des ‘’émissions moins sérieuses’’ mais pourvoyeuses d’audiences records. La balance sembler peser d’un côté au vu de l’intérêt fulgurant accordé aux ‘’futilités‘’ sur la toile et aux hautes audiences enregistrées par les émissions télé calquées sur ces ‘’buzz’’. Dans un cas comme dans l’autre, le verre reste à moitié vide ou à moitié plein et les pseudos critiques 2.0 s’en donnent à cœur joie.
Charles Assagba