« Gouvernement 20 ans »: Tiken Jah tire…sur les poteaux

par NORDSUD
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Le nouvel album de Tiken Jah intitulé « Gouvernement 20 ans » était annoncé pour le 7 janvier. Mais avant, le 5 janvier, des mélomanes ont pu découvrir, comme en prime time, les paroles du titre éponyme sur les réseaux sociaux.

Extrait: «Si tu parles un peu, c’est 20 ans. Si tu t’opposes, c’est 20 ans. Si tu lèves le doigt, c’est 20 ans. Quand tu es opposant, c’est 20 ans. La démocratie est menacée par un bâton de 20 ans…»

L’affection de très nombreux mélomanes pour le chanteur n’est pas discutable. Mais ce dernier titre a suscité, sur la toile, beaucoup de réactions.  Chez ses propres fans.

Il faut le dire tout net. Cette fois, pour marquer son retour sur le marché discographique depuis 2019 avec «Le monde a chaud», le reggaeman a eu la critique facile. On le sait, le genre musical qu’il a choisi depuis le début de sa carrière, dans les années 90, le reggae, est une musique revendicative, un vecteur privilégié de lutte. L’Unesco a même souligné « la contribution » de cette musique à la prise de conscience internationale « sur les questions d’injustice, de résistance, d’amour et d’humanité ».

Si la musique reggae parle à ses affidés, ces derniers lui parlent aussi. C’est pourquoi Tiken Jah devrait savoir que le procès qu’il fait au pouvoir ivoirien, sans le citer, est pour le moins caricatural. Ça sonne faux. Et pire, Tiken Jah semble avoir la mémoire courte. Après s’être exilé au Mali en 2002, il est revenu en 2021 en Côte d’Ivoire.  Sans qu’il soit inquiété par qui que ce soit, sous le pouvoir du «gouvernement 20 ans».

Comme il le rappelle lui-même chez le confrère Hommes & Migrations Année 2003 1241 pp. 114-118, il avait dû fuir le pays sous la pression des armes des hommes de Laurent Gbagbo. «Le 20 septembre 2002, des militaires ont débarqué chez moi. Ils ont dit qu’ils étaient venus voir si j’étais en sécurité, mais je sais que c’était pour m’arrêter. . . Je sais qu’aujourd’hui, je ne serais pas le bienvenu en Côte d’Ivoire.Si j’y restais, je ne pourrais pas continuer à chanter comme je le fais, alors que je sais que la jeunesse a besoin de moi. Et je ne veux pas non plus donner l’occasion à ceux qui sont au pouvoir de m’arrêter dans mon combat. Je ne me sens pas en sécurité en Côte d’Ivoire, donc je n’y irai pas, même si les rebelles se retirent, parce que je n’ai aucune confiance dans l’actuel chef du pouvoir», décrivait-il ainsi la chape de plomb qui menaçait de s’abattre sur lui sous le régime frontiste.

Mais comme il sait que la jeunesse l’attendait, il lui fallait trouver un thème décapant. Cette fois, le souffre-douleur idéal pour lui, c’était le gouvernement du Président Alassane Ouattara. Mais le fait de rester éloigné des réalités quotidiennes du peuple ivoirien a certainement biaisé les messages des chansons de Tiken Jah. Son album est effectivement sorti ce 7 janvier 2022. L’artiste constatera qu’aucun détachement de militaires n’a débarqué à son domicile abidjanais pour tenter de l’arrêter. Tout simplement parce que la Côte d’Ivoire, sous Alassane Ouattara, a changé. Positivement. La police n’a jamais tiré à bout portant sur aucun manifestant protestataire. L’armée se professionnalise. L’amélioration de notre appareil judiciaire n’est plus un tabou. Le débat est aux mains des ivoiriens. Le reggae de Tiken Jah ne parlera donc pas à cette frange de la population qui pourtant l’adule.

Le reggaeman ne le sait peut-être pas, le pays a entamé sa transformation structurelle : Institutions, démocratie, redistribution, infrastructures routières, économie, santé, éducation…Alassane Ouattara est en train de rattraper 20 ans de retard dans le développement de la Côte d’Ivoire et la liberté d’expression. Sur le plan politique national, l’opposition a voix au chapitre. Elle est présente au sein de la Commission électorale indépendante (CEI), prend régulièrement part à toutes les élections nationales. Le « gouvernement 20 ans » travaille d’arrache-pied pour rétablir une paix civile durable et mettre fin au cycle des assassinats politiques qui avaient conduit Tiken Jah à l’exil.

Sur la question précise des prisonniers, Tiken Jah sait que même aux Etats-Unis, la plus grande démocratie, les fauteurs de troubles sont condamnés. Jacob Chansley, «l’homme aux cornes de buffle» de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 au pays de l’Oncle Sam, a été condamné à 51 mois de prison.

Avec le « gouvernement 20 ans »,  Tiken Jah a malheureusement offert un cri de ralliement aux opposants vindicatifs qui mettent la paix et la sécurité nationale à l’épreuve et aux dictateurs d’hier. 

Avec 12 albums à son actif, 4 disques d’Or et plus d’une vingtaine de récompenses, Tiken Jah veut continuer à parler au nom du peuple.

C’est noble, à condition de parler profond et de parler juste.

Bakayoko Youssouf

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