Ousmane Diaby Adams: «Beaucoup sollicitent les détectives privés avant de se marier »

par NORDSUD
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À première vue, on dirait une agence de voyage. Sauf que c’est une couverture. Le siège du Service d’enquête et d’investigation privées de Côte d’Ivoire (Seip-CI), situé à la Riviera Palmeraie, se veut discret comme toute agence de détective privée qui se respecte. C’est dans ces locaux, avec une poignée de travailleurs devant leurs ordinateurs, que nous rencontrons, ce vendredi 16 septembre 2022, Ousmane Diaby Adams, directeur d’enquête du Seip-Ci et vice-président de la Chambre nationale des détectives privés et enquêteurs professionnels de Côte d’Ivoire (Cndpep-CI).

Pourquoi une telle discrétion autour du métier ?

Il faut que le client soit à l’aise en entrant dans notre cabinet. C’est pourquoi nous ne mentons pas d’insigne. Avec le contexte ivoirien, les gens ne sont pas habitués à voir un cabinet de détective privé.

Déclinez-vous votre identité pendant vos enquêtes ?

Non. Le détective privé doit rester discret, pendant et après l’enquête.  Bien sûr, quand un client vient nous voir, nous sommes tenus de nous présenter dûment. Nous sommes aussi tenus de lui dire quelles sont nos limites, comment nous travaillons, et aussi, si le dossier qu’il vient nous présenter est légitime ou pas. Car, un détective privé ne mène pas tout type d’enquêtes. Il n’est pas policier ni gendarme. Son rôle, c’est de recueillir des informations sur le terrain.

Vous parlez de légitimité du dossier, qu’est-ce que c’est ?

Par exemple, vous ne pouvez pas venir me demander de retrouver le domicile de l’amant de votre femme. Un détective privé n’a pas le droit de le faire. Imaginez que vous retrouviez le domicile de l’amant et que le client se sert de cette information pour débarquer chez lui et commettre un meurtre. Vous devenez complice. Le détective privé peut suivre la conjointe d’un client pour vérifier des soupçons d’infidélité. Mais, avant de le faire, il doit s’assurer que le client est bien en couple avec la personne sur laquelle il va enquêter.  Il peut exiger la photocopie de l’acte de mariage, ou tout autre chose qui justifie que c’est sa conjointe (des enfants, etc.). Il y a aussi les enquêtes de moralité qui s’appliquent à cela. Des clients nous demandent de faire une enquête de moralité sur le conjoint, avant le mariage. Il doit pouvoir prouver qu’effectivement il est en couple avec ladite conjointe. Sinon, l’individu peut récupérer le rapport que vous faites pour faire du chantage à cette personne. Et vous risquez d’être complice de la malversation.

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Est-ce légal de faire une enquête de moralité sur une personne avant le mariage ?

Oui, vous en avez le droit, pour votre sécurité. Connaître la moralité de cette personne avant de s’engager est important.

Quels types de services vous demande-t-on en général ?

En Côte d’Ivoire, les gens pensent qu’on vient voir les détectives privés seulement pour des problèmes d’infidélité. Ce qui n’est pas le cas. Il y a aujourd’hui ce qu’on appelle, l’intelligence économique. On parle de guerre économique. Ce sont des stratégies vis-à-vis de la concurrence, du marché. Pour éviter de faire des erreurs, il faut faire la veille économique. Alors, quelqu’un qui veut se lancer dans une activité commerciale peut demander à un détective privé de mener une enquête de terrain pour lui, afin de savoir quels sont les documents nécessaires, quel est l’environnement, les risques, etc. Vous voulez engager un directeur général, vous faites appel à un détective privé pour savoir s’il n’a jamais été condamné, s’il n’est pas trop impliqué dans la politique, si son CV est vrai, etc. En gros, vous vérifiez si la personne a une bonne moralité. Vous pouvez mener aussi une enquête sur la concurrence, en tant que patron d’entreprise.

N’est-ce pas un peu illégal de donner des informations confidentielles sur une entreprise ?

C’est pour cela qu’un détective privé recueille les informations en toute discrétion. Mais il faut que ce soit légitime. En l’occurrence, ça l’est. C’est une guerre, chacun veut prendre des parts de marché. Il faut voir comment la concurrence se positionne. Dans toutes les grosses structures, ça existe. Beaucoup de particuliers, des investisseurs, nous contactent aussi avant de se lancer dans les affaires.

Quels autres types d’enquêtes menez-vous, à côté du monde des affaires ?

Il y a les cas d’escroquerie. En général, le client a porté plainte, mais la police est surbookée. Alors, il prend un détective privé pour retrouver l’escroc. Mais une fois retrouvé, le détective est tenu d’alerter les forces de l’ordre. Pour classer les différents types de sollicitations, après les études de marché, il y a les cas d’escrocs qui disparaissent sur qui nous enquêtons. Plusieurs fois, des huissiers ou des notaires nous contactent pour vérifier la concordance d’un client. Après ces cas, arrivent les enquêtes de moralité avant mariage, qui existent déjà à la police et dans l’armée. Car, il faut savoir que si vous êtes militaire, gendarme ou policier que vous devez vous marier à une tierce personne, la hiérarchie mène une enquête de moralité sur votre conjoint ou conjointe avant de donner l’autorisation de vous marier. Nous sommes contactés pour cela. Ce sont là, les principaux cas. Nos clients ne sont pas que des Ivoiriens. Des gens qui sont à l’étranger, qui veulent se marier à des Ivoiriens ou à des Ivoiriennes nous contactent pour mener une enquête de moralité. A l’issue du rapport que nous leur envoyons, ils annulent ou maintiennent le mariage.

Les cas d’enquête de moralité avant le mariage sont-ils fréquents en Côte d’Ivoire ?

Assez fréquents. Pour beaucoup, ils n’habitent pas ensemble, mais se fréquentent. Avant le mariage, l’un d’eux décide de faire d’abord une enquête de moralité sur l’autre. Parfois, cela arrive même lorsqu’ils habitent ensemble.

Sont-ce les hommes ou les femmes qui demandent le plus souvent des enquêtes de moralité avant le mariage ?

Les deux le font. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le niveau des Ivoiriens dans ces procédures est élevé. Le nombre de sollicitations qu’il y a, nous surprend. Beaucoup d’Ivoiriens font appel aux services des détectives privés. Je reçois 10 à 15 visites dans mon bureau, tous les jours.

Quelle place les enquêtes sur les cas d’infidélité occupent-elles dans vos dossiers ?

Contrairement à ce que les gens pensent, l’infidélité vient en dernière position, dans le classement de nos sollicitations. Nous avons dans le même ordre des clients qui viennent nous voir, parce qu’ils veulent divorcer. Ils ont besoin d’apporter les éléments de preuves de l’infidélité de leur conjoint ou conjointe.

Enquêtez-vous sur les affaires criminelles ?

Cela dépend de la gravité de l’affaire. La police peut mener son enquête, mais vous pouvez prendre un détective privé en appui, qui ne marchera pas sur les platebandes des forces de l’ordre.  Quand vous recueillez les informations, vous les amenez à la police ou à la gendarmerie. Le détective privé ne procède jamais à une arrestation.

Quelles sont les missions les plus difficiles, pour vous ?

Curieusement, ce sont les enquêtes sur l’infidélité. Démontrer la preuve de l’infidélité d’un époux ou d’une épouse est difficile. Il faut les prendre sur les faits. Ce sont les missions les plus chères.

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Vos tarifs sont-ils à la portée du premier venu ?

Nos prix varient de 100 000 à 10 millions FCFA. Tout dépend de la difficulté de l’enquête. Je peux être sollicité pour suivre un époux infidèle. S’il habite à Bouaké, ce ne sera pas le même prix que s’il habite à Abidjan. S’il est sédentaire, ce ne sera pas pareil que s’il est commercial parce que je dois me promener avec lui, etc. Mais sachez que nous alignons autant que faire se peut, nos prix à la situation du client, en essayant de faire du social. Il faut savoir également que le rôle premier d’un détective privé est le conseil. Il ne faut pas prendre une mission de façon systématique. Car, la personne qui vient vous voir est parfois en détresse, sous le coup de l’émotion. Il faut d’abord l’apaiser, l’écouter, lui donner des conseils. Ce n’est qu’après, vous acceptez son affaire.

Une dame enceinte de sept mois est venue me voir un jour pour que j’enquête sur l’infidélité sur son époux. Après l’avoir écoutée, j’ai constaté que cela faisait dix ans qu’elle tentait d’avoir un enfant avec lui. Maintenant que c’était fait, fallait-il prendre autant de risques ? Imaginez que je découvre que le mari est infidèle…C’est la vie des couples que nous tenons parfois dans nos mains. C’est pour cela que le détective privé doit avoir un rôle de conseiller. Aujourd’hui, des clients m’appellent pour me dire merci, parce que je les ai dissuadés un jour de mener une enquête qui pouvait mener à leur perte.  

Vous arrive-t-il de brandir votre badge pour vous identifier lors d’une enquête ?

Vous pouvez tomber dans un endroit où il y a des policiers ou des gendarmes, alors vous déclinez votre identité. Ça sera à eux d’apprécier.

Quels sont vos rapports avec la police ?

Nous avons de très bons rapports. Parce qu’ils sont conscients du fait qu’ils n’ont pas le temps matériel pour mener toutes les enquêtes qui leur tombent sur la main. Il arrive que dans la recherche de personnes, ils vont indiquer à un plaignant un détective privé en qui ils ont confiance.

Cela arrive-t-il couramment que la police conseille à une personne de venir vous voir ?

Oui. Plusieurs fois, des commissariats ont dirigé vers moi des personnes pour que je les aide à retrouver quelqu’un recherché pour escroquerie. Cela peut arriver quand les policiers amènent des convocations à une personne et qu’elle ne répond pas, et reste impossible à localiser. Ils vont vous conseiller un détective privé en appui. Parce qu’ils fonctionnent par urgence. Lorsque nous localisons le lieu de cette personne, nous appelons la police. Mais le détective privé n’indiquera pas directement au client où habite la personne recherchée. Il le fait en présence des forces de l’ordre. Car, le client peut se rendre au domicile de l’individu recherché et un drame est vite arrivé. Donc, si vous connaissez vos limites, les policiers seront compréhensibles à votre égard. Si vous vous prenez pour un policier ou pour un gendarme, ça ne marchera pas.

Avez-vous déjà été marqué par une enquête, depuis que vous exercez ?

J’évite d’entrer dans les émotions. Rien ne me marque à part la rapidité avec laquelle je finalise une enquête. Ou bien, le ouf de soulagement que je pousse après une enquête. Nous avons mené par exemple, une investigation pendant plus d’un mois, sans rien trouver. Le client a finalement décidé d’arrêter. Le même jour, nous avons attrapé la partenaire qui allait dormir avec son amant.  Mon enquête la plus courte a duré deux jours. Elle était prévue pour durer trois semaines. Tout cela, pour dire que le flair et la chance comptent beaucoup dans notre métier. Il y a des enquêtes que nous n’arrivons pas à boucler. Le client peut être frustré mais nous n’avons pas obligation de résultat. Le résultat, c’est ce que le client attend. Or, le terrain peut livrer un tout autre verdict. Si vous êtes persuadé que votre mari vous trompe, si nous ne trouvons rien, nous ne pouvons pas inventer des preuves.

Vous avez parlé de flair et de chance. Dans le métier, ce sont les hommes ou le matériel qui font la qualité d’un cabinet de détective privé ?

Les hommes d’abord, mais sans matériel vous ne pourrez rien faire. (Il nous montre des lunettes-caméra espion). Ce sont des lunettes de soleil, en même temps, une appareil photo. Il suffit de regarder simplement quelqu’un pour faire des photos. (Il montre ensuite un petit boîtier noir). Si j’ai envie de faire un recueil d’informations sur une personne, je n’ai qu’à déposer cet appareil devant chez elle. Le lendemain, je viens le chercher. Il fonctionne comme une caméra. (Puis il nous montre une balise). Voici une balise pour suivre quelqu’un. Tout ça pour dire que celui qui n’a pas d’équipements ne peut pas faire ce métier. (Il sort une jumelle dotée d’un appareil photo). Dans l’obscurité comme dans la journée, nous prenons des images avec ceci. Nous avons des outils qui nous permettent de prendre des photos à un kilomètre. Au Seip-CI, nous avons un pôle investigation, un pôle recherche d’individus, un pôle veille stratégique. Pour ceux qui sont spécialisés dans la filature, il ne suffit pas d’avoir un véhicule. Car, il faut éviter d’éveiller des soupçons chez la personne que vous filez.

Quel est le meilleur outil pour un détective privé ?

Je vais vous surprendre, mais le meilleur outil d’un détective privé, c’est son téléphone portable. Avec le téléphone, vous pouvez prendre des photos, enregistrer, etc. 

Le métier nourrit-il son homme ?

Ça peut nourrir son homme si vous êtes sérieux. Ce que je remarque, c’est qu’on a beaucoup de plaintes de clients, par rapport à des détectives que nous ne connaissons pas.

Il y a des brebis galeuses dans cette profession, comme tout autre. Comment faire pour reconnaître le bon détective privé ?

 Il y a des conditions minimales requises, pour faire confiance à un détective privé. La première, c’est de connaître ses locaux. Il faut se renseigner sur son niveau, savoir s’il est enregistré au Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). Si vous prenez un détective privé qui est moins cher, il ne fera pas votre travail. Si vous le rencontrez dans la rue, sans connaître son bureau, il ne décrochera plus vos appels après paiement.  

Quel danger un détective privé mal intentionné peut-il représenter pour le client ?

Le détective privé mal intentionné peu utiliser les informations que vous lui donnez pour faire du chantage. Ne le faites pas venir chez vous, si vous ne le connaissez pas. Ne lui donnez aucune information tant que vous n’avez pas signé un contrat de confidentialité. Beaucoup de couples ont été détruits par la faute de certains détectives privés mal intentionnés, parce qu’ils se sont servi des informations que le client leur a données pour les faire chanter. Si vous signez un contrat de confidentialité, vous pouvez l’attaquer en justice. Donc, c’est aux clients de nous aider à assainir le métier.

Quel est le niveau pour devenir un détective privé ?

Au moins, un bac plus 3. Il faut avoir une connaissance du droit. On peut ne pas faire des études dans ce sens, mais la formation de détective privé vous amène à le faire.

La chambre vous aide-t-elle à assainir le métier ?

Oui. Nous avons la carte professionnelle que la chambre nous attribue. Nous avons un code de déontologie à respecter. La chambre fait le nécessaire pour combler le vide juridique que nous avons en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, les preuves recueillies par un détective privé doivent pouvoir être acceptées devant une cour de justice. C’est pour cela que nous demandons à l’Etat de reconnaître notre métier.  Bien que le vide juridique existe, nous arrivons quand même à produire des rapports que nos clients présentent au tribunal, mais sans l’entête ‘‘détective privé’’. Nous avons un code d’éthique et de déontologie à la Cndpep-CI. Il est à la disposition des détectives privés faisant partie de la chambre. Dans un futur proche, l’Etat pourrait nous donner l’autorisation d’exercer. C’est ce que le chambre s’attelle à faire.

Combien de détectives privés existe-t-il en Côte d’Ivoire ?

À la chambre, nous avons environ une trentaine. C’est-à-dire, ceux qui ont la carte.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh

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