Exclu de la course à la présidentielle du 25 octobre 2025, Laurent Gbagbo a choisi de se faire entendre autrement. Dans une interview accordée à Alain Foka, le président du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPACI) s’est livré à une violente charge contre le pouvoir, accusant le président Alassane Ouattara de préparer un « coup d’État civil ». Une sortie médiatique qui, visiblement, vise à mettre en cause la légitimité du président Alassane Ouattara, bien parti pour se succéder à lui-même.
« Ceux qui pouvaient gagner ces élections ont été écartés. Je n’accepte pas cela. Ce qui va se faire le 25 octobre n’est pas une élection, c’est un coup d’État civil, un braquage électoral », a accusé l’ancien chef de l’État, contestant ainsi la décision du Conseil constitutionnel qui a rejeté sa candidature.
Une telle remise en cause de l’institution suprême le place de fait en porte-à-faux avec la loi. Car, si Laurent Gbagbo conteste son exclusion du scrutin, il sait pourtant qu’une condamnation pénale entraîne automatiquement la perte des droits civiques et politiques.
Condamné à vingt ans de prison pour le ‘’casse de la BCEAO’’, l’ancien président estime que cette affaire ne devrait pas lui être reprochée, arguant que la Banque centrale n’a jamais porté plainte et que les autres mis en cause ont bénéficié d’une amnistie. Mais, il omet de rappeler que, du fait de son dossier pendant encore devant la Cour pénale internationale (CPI) au moment de la mesure d’amnistie, il ne pouvait y être inclus afin de ne pas interférer avec la décision finale de la juridiction de La Haye.
Un soutien ambigu aux manifestations
Interrogé sur les troubles qui agitent certaines villes du pays, Laurent Gbagbo a tenu des propos encore plus ambigus.
« Je ne donne pas l’ordre aux gens d’aller voter. Ceux qui sont dans la rue, je les soutiens, il ne faut même pas qu’il y ait l’ombre d’un doute », a-t-il déclaré, avant de nuancer : « Je ne leur demande pas de descendre dans la rue, mais je soutiens ceux qui protestent contre ce braquage électoral ».
Ces propos, interprétés comme un soutien tacite aux manifestations interdites, contrastent avec sa volonté affichée d’apaisement. D’autant plus que le Front commun dont le PPACI est membre a effectivement appelé à la mobilisation, malgré l’interdiction des rassemblements publics. Face aux débordements et aux pertes en vies humaines, Laurent Gbagbo semble désormais tenter une prise de distance tardive et maladroite.
Un désaveu interne et des clarifications tardives
Sur le plan interne, l’ancien président a profité de cette interview pour régler ses comptes avec un ancien compagnon de route, Ahoua Don Mello. Deux mois plus tôt, une lettre signée de l’ex-vice-président du PPACI avait fuité dans la presse. Il y suggérait à Laurent Gbagbo d’envisager une candidature alternative au cas où la sienne serait invalidée. La direction dudit parti, par la voix de son président exécutif, Sébastien Dano Djédjé, avait nié avoir reçu ce courrier, accusant Don Mello d’en être à l’origine. Ce dernier avait alors démenti, avant de se déclarer lui-même candidat à la présidentielle, provoquant son exclusion du PPACI.
Resté silencieux jusqu’ici, Gbagbo a enfin pris position, désavouant implicitement son ancien collaborateur, sans toutefois clore la polémique. « Ce qui est sûr, c’est que je lui effectivement soumis une note interne qui a fuité dans la presse. En plus, une commission a été mise en place par lui pour mener le débat. Pour moi, ce n’est pas cela le plus important. Je comprends mieux toutes les crise internes et les luttes de clans et de tendance à l’intérieur du PPACI », a réagi ce jeudi 23 octobre Ahoua Don Mello à la sortie de Laurent Gbagbo.
Mémoire sélective sur la liberté de la presse
Dans la même interview, Laurent Gbagbo a affirmé qu’aucun journaliste n’avait été emprisonné sous sa présidence. Une affirmation contredite par les faits. Plusieurs journalistes, dont Antoine Assalé Tiémoko (alors journaliste au Nouveau Réveil), Théophile Kouamouo, Saint-Claver Oula et Stéphane Bahi, ont effectivement connu la prison en juillet 2010 pour leurs écrits durant son mandat.
Des contre-vérités en série
Interrogé sur sa candidature, Laurent Gbagbo a affirmé qu’il avait été « poussé » par ses partisans à se présenter, tout en réaffirmant avoir remporté l’élection de 2010. « En 2010, j’ai gagné. Le Conseil constitutionnel m’a proclamé vainqueur. Ouattara a contesté. Aujourd’hui, il dit qu’on ne conteste pas une décision du Conseil constitutionnel. Il se contredit ». Une rhétorique bien connue de l’ancien président, qui persiste à se poser en victime. Pourtant, il indique clairement, qu’il a rêvé d’un remake de la compétition de 2010, en affrontant Alassane Ouattara. Par ailleurs, il remet sur la table un vrai faux débat au sujet du vainqueur de la présidentielle. Les Nations Unies et d’autres organismes présents en Côte d’Ivoire, dans le cadre de leur accompagnement de la sortie de crise, ont certifié la victoire de celui qui était à l’époque, candidat du Rassemblement des républicains (RDR), soutenu par une large coalition, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Marc Dossa
