Le far ouest-africain

par NORDSUD
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204 coups d’Etat en Afrique. En 70 ans.  Environ 40 pour la seule région ouest-africaine. Laquelle région améliore son record avec, rien que pour ces derniers dix-huit mois, 3 putschs réussis (au Mali, en Guinée et au Burkina Faso) et  une tentative  manquée (en Guinée-Bissau).

Un palmarès impressionnant.  Que certains intellectuels, journalistes ou chercheurs, s’exercent expliquer. Et même à justifier. 

On a avancé l’argument du «troisième mandat», sur la Guinée et sur la Côte d’Ivoire. Sauf qu’ici, à Abidjan, la crise de l’élection présidentielle de 2020 est derrière nous. Elle a fait place à un pays stable qui déroule tranquillement son agenda électoral. Les législatives se sont déroulées en 2021. Les élections locales sont prévues pour 2023.

Des 4 pays secoués par des remous ces derniers mois, seule la Guinée Conakry a mené le débat du troisième mandat. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée-Bissau sortent tous d’une élection où les présidents venaient juste d’entamer un second ou même un tout premier mandat.

L’argument du «troisième mandat» me paraît donc court.

Plus encore,  les mêmes penseurs évoquent la «mauvaise qualité de la gouvernance» en Afrique pour expliquer et légitimer les putschs.

J’ai même entendu ceci, il y a quelques semaines, sur les antennes de la chaîne internationale France 24, de la bouche d’un éminent membre de la société civile guinéenne, Maître Mamadou Traoré, avocat du FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution) : «Il va falloir s’habituer à la notion de coup d’Etat salvateur»

Ces intellectuels africains. Peu inspirés pour proposer des stratégies pertinentes de développement. Très inventifs pour justifier l’injustifiable.

Un argument tout aussi court. Pour cela, regardons deux exemples. Pour montrer que la politique n’est pas une science exacte. Et la crise de gouvernance n’est pas une fatalité africaine.

La France. Emmanuel Macron a été élu en mai 2017. Deux graves crises ont éclaté quelques mois seulement après son entrée en fonction.

La première, c’est en juillet 2017. Un désaccord profond entre le président français et le Chef d’état-major de l’armée, le général Pierre De Villiers, au sujet d’une coupe de 850 millions d’euros dans le budget de la défense. Les militaires ont grogné. Leur patron a dû se plier à la volonté du président de la République qui est le chef suprême des armées. Le chef état-major a démissionné. Sans que l’armée française ne prenne prétexte de cette crise pour faire un putsch.  

L’année suivante, le 17 novembre 2018, démarre la révolte populaire «des gilets jaunes». Un conflit social profond assimilable à une lutte des masses populaires contre les élites. Le signe d’une fracture profonde au sein de la société française.   

Ce conflit va durer trois ans, mobiliser dans toute la France près de trois millions de citoyens, faire 11 morts, 4.500 blessés, près de 12.000 interpellations et 400 emprisonnements fermes.

Une crise sociale majeure dans laquelle le gouvernement a eu à ses côtés les forces armées.  Pour rétablir l’ordre.  Et non pas pour renverser les institutions. 

Aux Etats-Unis. Donald Trump conteste sa défaite à la présidentielle du 3 novembre 2020. Il refuse de coopérer à la transition qui doit aboutir au passage de témoin au profit de Joe Biden, le président élu.

Dans la crise, la haute hiérarchie de l’armée prend position et affirme «sa loyauté à la constitution des Etats-Unis». Le 6 janvier 2021, Trump lance ses partisans à l’assaut du Capitole. Pour empêcher la 117ème session du parlement qui doit certifier le vote du collège électoral. Un des pires moments de l’histoire de la démocratie américaine.

Trump a été accusé d’avoir voulu organiser rien moins qu’un putsch. Il a été lâché par tous : L’armée, les services de renseignements, la majorité républicaine au sénat et même par son vice-président, Mike Pence.

L’affaire est revenue devant la justice. Et les premières condamnations sont tombées depuis décembre dernier pour refermer la crise.

Les démocraties française et américaine ont plus de deux cent ans. Cela n’empêche pas que les crises, comme le Président Houphouët le disait, «naissent dans l’esprit des hommes». Ce sont les institutions qui amortissent le choc de ces crises.

Les institutions. «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes».  C’est Barack Obama qui a lancé cette formule choc le 11 juillet 2009, à la fin de son périple africain, à Accra au Ghana.

Depuis, c’est un slogan pour tous ceux qui théorisent sur les échecs supposés des expériences démocratiques en Afrique.

Des institutions fortes, ça ne se décrète pas. Cela se forge. Dans le temps. Le temps des épreuves, des accidents de l’histoire, de l’évolution des pratiques et des mentalités.

Cela se forge également par l’exemple. Surtout au niveau des élites.

La vitalité de la démocratie dans un pays dépend du leadership. Celui du Président de la République certes. Mais également de l’opposition et de toutes les autres institutions par ceux qui les incarnent.                                                                                              

L’armée. Elle n’est pas en reste.

L’Afrique aura fait un grand pas sur le chemin de la normalisation institutionnelle quand les militaires admettront que leur mission, c’est justement de protéger les institutions et non de les suspendre ou les dissoudre.

Que voyons nous ? Les militaires sont acclamés, encouragés et même poussés à prendre le pouvoir.

Le peuple. Comment un peuple en arrive à perdre confiance dans la force de son propre suffrage ? Comment un peuple renonce-t-il à son droit de vote pour donner un blanc-seing à une junte par des acclamations sur la place publique ?

En Guinée-Bissau, aucun président sorti des urnes n’est allé jusqu’au terme de son mandat. Situation presqu’identique au Mali : Alpha Oumar Konaré a été le seul président civil élu qui a entamé et terminé ses deux mandats, du 8 juin 1992 au 8 juin 2002. Il avait un accord avec les militaires. Lui a succédé un certain Amadou Toumani Touré. Qui a été renversé le 22 mars 2012. A six mois de la fin de son second mandat.

Ces derniers dix-huit mois, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et la Guinée-Bissau ont fait de l’Afrique de l’ouest un Far Ouest-Africain.

La raison du plus armé s’enracine. La population applaudit la démocratie des baïonnettes.

Sans savoir qu’un coup d’Etat en appellera toujours un autre. Et que chaque coup d’Etat creusera l’abîme pour affaiblir davantage les fondements de la nation.

Il faut donc condamner les coups de force. Sèchement, clairement et fermement.

Comment des militaires peuvent-ils réussir à refonder là où les civils ont échoué ? N’est pas Rawlings, Kagamé ou Compaoré qui veut !

Et si d’aventure les militaires réussissaient, quelle logique y aurait-il à redonner le pouvoir, au nom du «retour à l’ordre constitutionnel»,  à des civils qui sont les responsables supposés de l’irruption des militaires sur la scène politique ?

Ce qui nous apparaît clair par contre, c’est que les coups d’Etat résultent de la faillite collective des élites : Pouvoir, opposition, société civile, armée, intellectuels, médias…

À cette élite, il incombe de montrer le cap et de proposer un modèle qui fonctionne et stabilise nos pays.

Méité Sindou

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