Depuis plusieurs décennies, la Côte d’Ivoire s’est inscrite dans une logique de représentativité des femmes à tous les niveaux. Une tâche gangrenée par les us et coutumes. Quelle réalité aujourd’hui ?
Selon le dernier rapport 2020 de l’Unicef, en Côte d’Ivoire, plus d’une fille sur quatre ne va pas à l’école primaire. Au niveau de l’enseignement secondaire, seulement 25% des filles achèvent leur scolarité contre 31% chez les garçons.
À Abidjan, ce taux est de 68% pour les filles contre 78% pour les garçons.
Un tableau noirci par l’Agence française de développement (AFD). Les enfants issus du monde rural, dépeint l’AFD, rencontrent plus de difficultés pour accéder au collège et aux classes supérieures. Et les filles sont particulièrement concernées. Ainsi, en Côte d’Ivoire, seulement 2 % des filles issues de familles pauvres en milieu rural peuvent espérer achever le secondaire, contre 49 % des garçons urbains riches, d’après l’AFD. «Ce sont nos réalités. Dans nos villages, les mentalités mettent du temps à changer. Les parents refusaient déjà d’envoyer les garçons à l’école. Aujourd’hui, ils le font. Mais au niveau des filles, cela prend encore du temps. Nous le voyons dans les classes, lorsque les filles repartent à la maison à midi, beaucoup restent pour faire le ménage», explique Abba Eban, président du Mouvement national des enseignants de Côte d’Ivoire (Muneci).
Un diagnostic confirmé par Kadio Claude Aka, président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (Opeeci). «Le taux de réussite des filles à l’école reste très faible à cause de cela», regrette-t-il.
Inégalité
Pourtant, souligne l’Unicef, l’éducation des filles permet généralement d’accroître leurs revenus potentiels et de réduire les risques de perpétuer le cycle de la pauvreté. Chaque année d’enseignement secondaire permet aux filles d’accroître leur salaire à l’âge adulte dans une proportion pouvant aller jusqu’à 25%. Hélas, cette inégalité se poursuit également dans le monde du travail. Les filles qui parviennent à la fin de leurs études, sont confrontées à une inégalité dans le monde du travail.
En témoigne Alhouceine Sylla, président de l’Association des professionnels des ressources humaines de Côte d’Ivoire (Aprhci). «Tous les jours, nous constatons la discrimination à l’embauche. Des entreprises, par exemple, qui refusent de recruter des femmes. Tout en se disant qu’elles peuvent tomber enceinte à tout moment, ou convoler en justes noces. Cela, avant même qu’elles ne commencent à produire», dépeint-il. Il y a des annonces, dit-il, qui comportent en elles-mêmes des germes de discrimination.
«Par exemple, pour un poste qui requiert la compétence d’un homme, le professionnel ne vous le fera jamais savoir. Après l’entretien, les femmes sont purement et simplement rayées de la liste», note-t-il.
Pour le président de l’Aprhci, c’est le lot quotidien de la gent féminine en Côte d’Ivoire. «Des femmes enceintes sont écartées à cause de leur état. Bien sûr, à l’entretien, l’employeur vous demandera subtilement si vous portez une grossesse», fait-il savoir.
Discrimination
Cette forme de discrimination touche, selon Alhouceine Sylla, beaucoup de femmes. Et lorsqu’elles parviennent sur le marché du travail, indique la Banque Mondiale, les Ivoiriennes touchent en moyenne un salaire à peine égal à la moitié de celui des hommes.
Sans parler de certaines professions auxquelles elles ont peu de chance d’accéder, notamment dans la fonction publique où elles ne représentent qu’un tiers des effectifs, et exercent essentiellement dans les grades inférieurs.
La dernière étude de l’Unesco montre qu’environ 60% des analphabètes en Côte d’Ivoire sont des femmes, sur un taux d’environ 44%. Ce qui constitue un handicap dans leur accès aux opportunités d’emploi.
Par ailleurs, les stéréotypes sexistes issus du patriarcat les confinent dans des filières dites féminines peu qualifiantes et peu rémunérées.
Scolarisation
C’est conscient de cela que le gouvernement a décidé de passer à la vitesse supérieure. D’abord, en attaquant le mal à la racine, avec notamment sa politique «école pour tous».
Aujourd’hui, le taux de scolarisation de la jeune fille est en progression. Dans le primaire, le taux net de scolarisation (TNS) est passé de 77,10% en 2015 à 90,10% en 2018, soit une progression de 13%.
Dans le premier cycle du secondaire, ce taux est passé de 29, 90% en 2015 à 39,60 en 2018, soit une hausse de 9,7 %, tandis que dans le second cycle du secondaire, ce chiffre est passé de 8, 80% en 2015 à 15% en 2018, soit une hausse de 6,2 %.
De plus, l’Agence Côte d’Ivoire PME, Agence d’exécution de l’État, chargée de la promotion des PME, informe que la proportion d’entreprises détenues en majorité par des femmes qui était estimée à 15% en 2015, a évolué pour se situer autour de 20% des entreprises formelles en 2019. Aussi 20 femmes sont-elles dénombrées parmi les 430 dirigeants des grandes entreprises en Côte d’Ivoire et 26,3% des entreprises ivoiriennes comptent au moins une femme comme actionnaire. Un progrès certes mais reste encore en deçà des objectifs des autorités qui est d’atteindre une représentativité des femmes de 30% dans la décennie à venir.
Raphaël Tanoh